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Albert Camus, pressenti pour entrer au Panthéon, est accusé de ne pas avoir assez soutenu la décolonisation de l'Algérie. Pour Philippe Bilger, au contraire, Camus était un intellectuel courageux qui a su faire preuve de mesure durant la Guerre d'Algérie.
Albert
Camus a eu tort : il ne s’est jamais trompé. Pour un monde qui n’aime
rien tant que les repentis, les anciens communistes recyclés, les
gauchistes d’hier reconvertis, les nostalgiques encore frémissants de
violence révolutionnaire et les manichéens fiers de l’être, Camus pâtit
d’une tare indélébile.
Sur son oeuvre, sur son génie, pas l’ombre d’une trace suspecte, pas la moindre apologie de crime, pas la plus petite incitation au meurtre, aucune comparaison bestiale pour humilier l’adversaire, seulement des mots, des arguments, de la morale, l’exigence d’honnêteté et de rigueur portée au plus haut (France 2, Le Figaro Magazine, Le Figaro littéraire, Le Monde, Le Nouvel Obs).
L’insupportable, surtout, c’est un intellectuel qui s’est obstinément évertué à tenir les deux bouts de la chaîne, à ne pas choisir absurdement un camp contre l’autre et à ne pas légitimer les morts de ceux qui, placés du mauvais côté de l’Histoire, pensaient mal pour ne s’indigner que des cadavres « progressistes ». Il y a une volonté chez lui inébranlable et sans cesse respectée en dépit des tensions, de ne pas noyer l’éthique dans le flot du siècle et de ne pas justifier l’injustifiable qui consiste à sacrifier, délibérément et avec une idéologie allègre, l’humain.
Quel remords pour cette « intelligentsia » qui croyait n’être jamais ralentie dans sa ruée vers le sang impur et se faisait fort de démontrer que l’équilibre de la mesure ne pouvait être qu’apparent et dissimulait en réalité une passion pour les bourreaux ! Quelle brèche semblait s’ouvrir pour les contempteurs condescendants, comme Alain Badiou récemment, qui s’imaginaient pouvoir prendre Camus, surtout mort, de haut en vantant par contraste Jean-Paul Sartre dont les vertus d’intellectuel auraient été exemplaires !
Camus résiste à tout, même aux hommages trop officiels qu’avec bonne volonté on voudrait lui rendre. Il ne succombe ni à l’excès d’eau bénite ni à l’aigreur de ceux qui critiquent son être et son talent parce qu’ils envient le premier et sont éloignés du second.
Si encore cet homme trop fidèle à soi n’avait pas été un admirable écrivain, on aurait pu lui pardonner. Certes, on aurait admis à la rigueur qu’il ait des idées, on aurait même accepté de le considérer comme un philosophe même petit, on ne lui aurait pas dénié, ici ou là, de la richesse, de la finesse, parfois de la force, un sens de la révolte, une obstination estimable au service des humiliés et des offensés s’il avait eu l’élégance, la décence de se comporter par écrit comme il convenait.
Il lui suffisait d’emprunter les chemins, en définitive confortables, de l’obscur et du filandreux, d’user d’un langage donnant l’impression de devoir être décrypté avant d’être compris et d’habiller l’ensemble de son oeuvre d’une forme morose et austère, un tantinet ennuyeuse, pour échapper à la jalousie et au ressentiment.
Mais le provocateur, au contraire, pour narguer l’élite dont il aurait voulu être aimé sans la respecter, avait eu le front d’écrire une langue magnifique, claire, limpide, sensuelle ou précise, accessible sans être dévoyée, profonde sans être hermétique, une merveille de langue qui, sans fuir les effets, se tenait dans une sobriété qui parvenait à être somptueuse.
Sur ce plan aussi, Camus damait le pion. Il avait encore plus perdu puisqu’il avait gagné. Ses livres, pour les jeunes coeurs, les esprits tendres, n’ont pas pris une ride et ils dominent le temps. Il y a de mauvais augures qui se plaisent à annoncer son déclin mais pour Camus il n’y a pas de purgatoire qui tienne !
Il aurait pu encore être sauvé et combler tout son passif d’un coup. Sa personnalité aurait adopté « un profil bas ». Il n’aurait pas été un homme séduisant, adoré des femmes. Il n’aurait pas éclaté de vie, dans la danse, dans l’amitié, dans l’amour, dans les conquêtes. Il n’aurait pas aussi naturellement épousé le monde, goûté ses couleurs, ses odeurs et sa magie. Il n’aurait pas été empli, d’une manière aussi évidente, de la grâce et de l’infini don de se mouvoir sans se briser entre les êtres et les choses.
Il aurait offert sur tous les plans une piètre image de lui-même. Ses adversaires auraient pardonné à l’intellectuel ses oppositions et ses défis. On l’aurait acquitté pour son incroyable et polymorphe talent puisque celui-ci aurait eu pour rançon la laideur, l’inélégance, la solitude, l’ennui, le vin triste, l’amour amer, la tristesse trop grave, la pensée trop lourde, l’art trop pontifiant et le bonheur abstrait.
Camus, lui, n’a jamais eu besoin de jouer la comédie de l’être sensuel et spontané parce qu’il l’était. Il n’a jamais présenté comme un tour de force le fait d’être un vivant, de rire ou de s’abandonner à l’immédiateté des sentiments que le jour et la nuit suscitent. Il ne récite pas sa leçon sur l’existence. Comme on comprend qu’il ait été l’un des rares, peut-être le seul, à résister aux attraits de Simone de Beauvoir dans l’environnement de celle-ci !
Il devait sentir le gouffre qui séparait une allégresse authentique d’une joie apprise, la spontanéité du corps d’une sexualité programmée, sa nature de sa culture, le soleil de sa représentation. On ne mesure jamais assez, dans les antagonismes qui font date, le poids des humeurs personnelles et l’antipathie des instincts.
Sur son oeuvre, sur son génie, pas l’ombre d’une trace suspecte, pas la moindre apologie de crime, pas la plus petite incitation au meurtre, aucune comparaison bestiale pour humilier l’adversaire, seulement des mots, des arguments, de la morale, l’exigence d’honnêteté et de rigueur portée au plus haut (France 2, Le Figaro Magazine, Le Figaro littéraire, Le Monde, Le Nouvel Obs).
L’insupportable, surtout, c’est un intellectuel qui s’est obstinément évertué à tenir les deux bouts de la chaîne, à ne pas choisir absurdement un camp contre l’autre et à ne pas légitimer les morts de ceux qui, placés du mauvais côté de l’Histoire, pensaient mal pour ne s’indigner que des cadavres « progressistes ». Il y a une volonté chez lui inébranlable et sans cesse respectée en dépit des tensions, de ne pas noyer l’éthique dans le flot du siècle et de ne pas justifier l’injustifiable qui consiste à sacrifier, délibérément et avec une idéologie allègre, l’humain.
Quel remords pour cette « intelligentsia » qui croyait n’être jamais ralentie dans sa ruée vers le sang impur et se faisait fort de démontrer que l’équilibre de la mesure ne pouvait être qu’apparent et dissimulait en réalité une passion pour les bourreaux ! Quelle brèche semblait s’ouvrir pour les contempteurs condescendants, comme Alain Badiou récemment, qui s’imaginaient pouvoir prendre Camus, surtout mort, de haut en vantant par contraste Jean-Paul Sartre dont les vertus d’intellectuel auraient été exemplaires !
Camus résiste à tout, même aux hommages trop officiels qu’avec bonne volonté on voudrait lui rendre. Il ne succombe ni à l’excès d’eau bénite ni à l’aigreur de ceux qui critiquent son être et son talent parce qu’ils envient le premier et sont éloignés du second.
Si encore cet homme trop fidèle à soi n’avait pas été un admirable écrivain, on aurait pu lui pardonner. Certes, on aurait admis à la rigueur qu’il ait des idées, on aurait même accepté de le considérer comme un philosophe même petit, on ne lui aurait pas dénié, ici ou là, de la richesse, de la finesse, parfois de la force, un sens de la révolte, une obstination estimable au service des humiliés et des offensés s’il avait eu l’élégance, la décence de se comporter par écrit comme il convenait.
Il lui suffisait d’emprunter les chemins, en définitive confortables, de l’obscur et du filandreux, d’user d’un langage donnant l’impression de devoir être décrypté avant d’être compris et d’habiller l’ensemble de son oeuvre d’une forme morose et austère, un tantinet ennuyeuse, pour échapper à la jalousie et au ressentiment.
Mais le provocateur, au contraire, pour narguer l’élite dont il aurait voulu être aimé sans la respecter, avait eu le front d’écrire une langue magnifique, claire, limpide, sensuelle ou précise, accessible sans être dévoyée, profonde sans être hermétique, une merveille de langue qui, sans fuir les effets, se tenait dans une sobriété qui parvenait à être somptueuse.
Sur ce plan aussi, Camus damait le pion. Il avait encore plus perdu puisqu’il avait gagné. Ses livres, pour les jeunes coeurs, les esprits tendres, n’ont pas pris une ride et ils dominent le temps. Il y a de mauvais augures qui se plaisent à annoncer son déclin mais pour Camus il n’y a pas de purgatoire qui tienne !
Il aurait pu encore être sauvé et combler tout son passif d’un coup. Sa personnalité aurait adopté « un profil bas ». Il n’aurait pas été un homme séduisant, adoré des femmes. Il n’aurait pas éclaté de vie, dans la danse, dans l’amitié, dans l’amour, dans les conquêtes. Il n’aurait pas aussi naturellement épousé le monde, goûté ses couleurs, ses odeurs et sa magie. Il n’aurait pas été empli, d’une manière aussi évidente, de la grâce et de l’infini don de se mouvoir sans se briser entre les êtres et les choses.
Il aurait offert sur tous les plans une piètre image de lui-même. Ses adversaires auraient pardonné à l’intellectuel ses oppositions et ses défis. On l’aurait acquitté pour son incroyable et polymorphe talent puisque celui-ci aurait eu pour rançon la laideur, l’inélégance, la solitude, l’ennui, le vin triste, l’amour amer, la tristesse trop grave, la pensée trop lourde, l’art trop pontifiant et le bonheur abstrait.
Camus, lui, n’a jamais eu besoin de jouer la comédie de l’être sensuel et spontané parce qu’il l’était. Il n’a jamais présenté comme un tour de force le fait d’être un vivant, de rire ou de s’abandonner à l’immédiateté des sentiments que le jour et la nuit suscitent. Il ne récite pas sa leçon sur l’existence. Comme on comprend qu’il ait été l’un des rares, peut-être le seul, à résister aux attraits de Simone de Beauvoir dans l’environnement de celle-ci !
Il devait sentir le gouffre qui séparait une allégresse authentique d’une joie apprise, la spontanéité du corps d’une sexualité programmée, sa nature de sa culture, le soleil de sa représentation. On ne mesure jamais assez, dans les antagonismes qui font date, le poids des humeurs personnelles et l’antipathie des instincts.
Albert Camus, parlant des attentats du FLN qui tuaient des innocents dans les tramway, soulignait que si sa mère en était victime, il préfèrerait sa mère à la justice. Rien de plus authentiquement humain, de plus viscéralement juste. Non pas le principe en gala mais la prose douloureuse du malheur et de l’affection mêlés. Camus ne s’est jamais trompé : il a eu tort.
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http://www.marianne2.fr/savoirsvivre/Albert-Camus-a-sa-place-au-Pantheon_a164.html?com#comments
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