UN DEMI-SIECLE APRES SA DISPARITION, CAMUS EST-IL ENCORE NOTRE CONTEMPORAIN ?
[b]Cinquante ans après l’accident automobile qui lui coûta la vie, du « Figaro » à « Télérama », du « Monde » au « Magazine littéraire », les tirés-à-part se sont multipliés pour saluer en Albert Camus (1913-1960), selon le mot de Sartre, « l’admirable conjonction d’une personne, d’une action et d’une œuvre ». L’universitaire Jeanyves Guérin, maître d’œuvre d’un exhaustif « Dictionnaire Albert Camus », du à quelque à quelque soixante-cinq spécialistes de la littérature française, s’interroge sur cette postérité si favorable à l’enfant pauvre d’un pied-noir d’Algérie, symbole de la méritocratie républicaine, couronné en 1957 de la renommée universelle du Prix Nobel de littérature. Sans doute est-ce l’écrivain américain William Faulkner (1897-1962) qui a le mieux compris le phénomène. Il écrit : « On dira qu’il était trop jeune, qu’il n’a pas eu le temps d’achever (son œuvre). Mais la question n’est pas combien de temps, ni quelle quantité, mais simplement quoi. » (Camus, l’Âme qui s’interroge, NRF, 1967) La réponse réside dans la diversité des moyens d’expression de l’artiste comme dans l’unité d’une pensée constamment entée sur les grandes interrogations du monde contemporain. Sous la forme du roman, « L’Etranger » (1942) pose la question majeure du sens de l’existence : où ça va et qu’est-ce que ça veut dire ? Que prolonge la réflexion sur l’impuissance de la raison (Le Mythe de Sisyphe, 1942). « La Peste » (1947) énonce en une fable symbolique cette « guerre civile européenne » irriguant notre XXe siècle, dont parle l’historien Enzo Traverso. Commencée avec 14/18 (son père y est tué) et close, pour Camus, avec la décolonisation en Afrique du Nord - qui illustrera ses contradictions politiques et citoyennes… Jalonnée par le guerre d’Espagne, la Résistance, la Shoah, Hiroshima, le stalinisme… Au théâtre, avec « Les Justes » (1948), il renouvellera l’interrogation sur la fin et les moyens de la lutte révolutionnaire. Qu’il étoffe d’un essai intempestif, « L’Homme révolté » (1951), dont l’accueil polémique à gauche traduit l’acuité de la « guerre froide » dans le champ des idées. Et qui incarne le contresens majeur dont l’étrilla le chroniqueur Jean-Jacques Brochier, le taxant de « philosophe pour classes terminales ». Albert Camus - journaliste, essayiste, penseur, écrivain - dont Roland Barthes admirait l’ « écriture blanche « faite d’un lyrisme sobre - est, en effet, bien plus qu’un créateur de système d’explication du monde, le témoin déchiré, et souvent déchirant, du conflit permanent entre l’Histoire et le fait moral.
Michel Boissard, Historien
http://biblinimes.over-blog.com/article-un...--43920363.html
Les commentaires récents