Les beaux discours du général
Le Général de Gaulle et le Monde Arabe,
dirigé par Jean-Paul Bled,
éd. Dar An-Nahar, 2009
(Préface de Jacques Chirac).
.
Lucide et visionnaire, pondéré mais déterminé sont les qualificatifs qui se cachent derrière la fameuse phrase du général De Gaulle : « Vers l'Orient compliqué je volais avec des idées simples ». C'est tout du moins ce que retient un panel d'intellectuels et de diplomates dans un ouvrage collectif Le Général De Gaulle et le Monde Arabe paru en 2009. Le bilan de la « politique arabe » du général De Gaulle reste pourtant mitigé, particulièrement en Algérie. Car à cette époque, l'espoir et le combat d'un peuple tiennent au bout des lèvres du général, des lèvres hésitantes qui finiront par prononcer un mot, celui que les Algériens attendent : « indépendance ». Les mots de « politique arabe », la volonté de construire un Machreq soudé, l'espoir de voir le tiers-monde se doter d'une voix indépendante et puissante resteront pourtant à l'état d'idéaux et semblent aujourd'hui bien éloignés des réalités troubles qui régissent le monde. Un rapide coup d'œil sur l'ensemble de la Méditerranée suffit à comprendre que l'écho du général résonne désormais dans le vide. L'Algérie peine à sortir des miasmes de l'après-indépendance, la Libye s'embourbe, la Palestine se meure et le Liban se déchire. Et que dirait le général face à Israël, lui qui le qualifiait déjà en 1967 comme « sûr de lui-même et dominateur » ? Pour apprécier De Gaulle, il faut retourner dans le passé car dans le présent bien peu de lui subsiste.
Ainsi le perçoit Dominique Baudis (président de l'Institut du monde arabe) dans son essai De Gaulle et le Liban, une tragédie en trois actes. En 1929, le jeune commandant Charles de Gaulle est envoyé en poste au Liban sous mandat français. Un an après, il déclare lors d'un discours à l'Université de Saint-Joseph à Beyrouth : « Le moment est venu de rebâtir. (…) Il vous appartient de construire un Etat ». Le deuxième acte sera celui de l'indépendance, en Syrie et au Liban, le général souhaite y conserver des intérêts « culturels et spirituels ». Puis vient la tragédie : après 1967, le Liban paye de lourds tributs en conséquence de la défaite arabe, Israël détruit l'aéroport de Beyrouth et les avions de ligne libanais. Le général condamne fermement l'attaque après avoir déclaré la fin de la livraison d'armes françaises à Israël. Pour Baudis, le Liban regrette la France du général, critique implicite de la politique française d'aujourd'hui et de l'abandon de ce que De Gaulle qualifiait comme « une civilisation, une culture, un humanisme, un sens des rapports humains que nous avons tendance à perdre dans nos sociétés industrielles et qu'un jour nous serons probablement très contents de retrouver ». Si De Gaulle avait peur d'être « compris trop tard », il semble aujourd'hui que sa crainte était fondée.
Briser les chaînes de l'Algérie
Au fil des pages et des essais émanant d'une trentaine de personnalités, ministres ou professeurs, députés ou journalistes, égyptiens, syriens, jordaniens, français ou libanais, un mot sans être écrit ne cesse de revenir : regret. Le regret d'une vision jamais vraiment accomplie, mais dont les traces persistent encore dans les esprits peut-être plus que dans les gestes. D'une vision qui, pour Yusuf Al-Hassan des Emirats arabes unis, a légué « à la conscience de la jeunesse arabe un droit de résister contre l'occupation étrangère et celui de refuser un monde bipolaire ». L'homme de la troisième voix, celle de Bandung en 1955, a pourtant longtemps hésité à tenir ce discours entravé par les chaînes de la guerre d'Algérie. Ce n'est qu'après 1962, date de l'indépendance de l'Algérie, que le ton du général durcira à propos d'Israël et sa main mise sur les territoires, jugeant que l'occupation ne peut aller sans oppressions, répressions, expulsions et il s'y manifeste contre lui une résistance qu'à son tour il qualifie de terrorisme ». Les pressions sur Israël se succèdent : à partir de 1967, De Gaulle exige un retrait sur les frontières d'avant-guerre et dénonce l'agression de Tsahal. Devant les visées impérialistes d'Israël, il craint une nouvelle guerre mondiale car « Dayan risque de devenir le maître et il veut aller vers le Nil, vers l'Euphrate, aller à Beyrouth, à Damas et il le peut car il en a les moyens », dit-il lors d'une réunion avec Nixon. Henry Laurens, professeur au Collège de France, ne peut être qu'admiratif devant « la lucidité gaullienne » quant aux risques de déstabilisation permanente causés par les ambitions israéliennes. « Pour autant, dit Laurens, le grand nationaliste qu'il était ne semble pas avoir compris qu'Israël avait les moyens de résister à une politique de pressions » ; était-ce utile d'ajouter que la situation n'a pas changé ?
En France, le Charles de Gaulle glorieux restera celui de la résistance contre l'occupation allemande. Dans le monde arabe, il est ce chef d'Etat tiers-mondiste, celui qui osa dire non aux Etats-Unis et condamner Israël. A l'exception de l'Algérie, l'image du leader est celle d'un homme dont la vision dépassait sa capacité d'action, d'un président qui ne se laissait pas dicter ses principes par les puissances dominantes d'un monde bipolaire. De Gaulle et le Monde Arabe, édité à la suite d'un colloque de l'Université Sorbonne Abou-Dhabi, prend ses distances avec les actions polémiques du général pour ne garder que le meilleur : la politique étrangère du général après 1962, en discours plus qu'en action.
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Alban de Ménonville
Parution.
Entre échecs et succès, la politique étrangère du général De Gaulle
restera celle de l'indépendance et du refus d'un ordre imposé par les
Etats-Unis . Mais dans les faits, ses idées n'auront qu'une faible résonance.
Le Général de Gaulle et le Monde Arabe,
dirigé par Jean-Paul Bled,
éd. Dar An-Nahar, 2009
(Préface de Jacques Chirac).
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Lucide et visionnaire, pondéré mais déterminé sont les qualificatifs qui se cachent derrière la fameuse phrase du général De Gaulle : « Vers l'Orient compliqué je volais avec des idées simples ». C'est tout du moins ce que retient un panel d'intellectuels et de diplomates dans un ouvrage collectif Le Général De Gaulle et le Monde Arabe paru en 2009. Le bilan de la « politique arabe » du général De Gaulle reste pourtant mitigé, particulièrement en Algérie. Car à cette époque, l'espoir et le combat d'un peuple tiennent au bout des lèvres du général, des lèvres hésitantes qui finiront par prononcer un mot, celui que les Algériens attendent : « indépendance ». Les mots de « politique arabe », la volonté de construire un Machreq soudé, l'espoir de voir le tiers-monde se doter d'une voix indépendante et puissante resteront pourtant à l'état d'idéaux et semblent aujourd'hui bien éloignés des réalités troubles qui régissent le monde. Un rapide coup d'œil sur l'ensemble de la Méditerranée suffit à comprendre que l'écho du général résonne désormais dans le vide. L'Algérie peine à sortir des miasmes de l'après-indépendance, la Libye s'embourbe, la Palestine se meure et le Liban se déchire. Et que dirait le général face à Israël, lui qui le qualifiait déjà en 1967 comme « sûr de lui-même et dominateur » ? Pour apprécier De Gaulle, il faut retourner dans le passé car dans le présent bien peu de lui subsiste.
Ainsi le perçoit Dominique Baudis (président de l'Institut du monde arabe) dans son essai De Gaulle et le Liban, une tragédie en trois actes. En 1929, le jeune commandant Charles de Gaulle est envoyé en poste au Liban sous mandat français. Un an après, il déclare lors d'un discours à l'Université de Saint-Joseph à Beyrouth : « Le moment est venu de rebâtir. (…) Il vous appartient de construire un Etat ». Le deuxième acte sera celui de l'indépendance, en Syrie et au Liban, le général souhaite y conserver des intérêts « culturels et spirituels ». Puis vient la tragédie : après 1967, le Liban paye de lourds tributs en conséquence de la défaite arabe, Israël détruit l'aéroport de Beyrouth et les avions de ligne libanais. Le général condamne fermement l'attaque après avoir déclaré la fin de la livraison d'armes françaises à Israël. Pour Baudis, le Liban regrette la France du général, critique implicite de la politique française d'aujourd'hui et de l'abandon de ce que De Gaulle qualifiait comme « une civilisation, une culture, un humanisme, un sens des rapports humains que nous avons tendance à perdre dans nos sociétés industrielles et qu'un jour nous serons probablement très contents de retrouver ». Si De Gaulle avait peur d'être « compris trop tard », il semble aujourd'hui que sa crainte était fondée.
Briser les chaînes de l'Algérie
Au fil des pages et des essais émanant d'une trentaine de personnalités, ministres ou professeurs, députés ou journalistes, égyptiens, syriens, jordaniens, français ou libanais, un mot sans être écrit ne cesse de revenir : regret. Le regret d'une vision jamais vraiment accomplie, mais dont les traces persistent encore dans les esprits peut-être plus que dans les gestes. D'une vision qui, pour Yusuf Al-Hassan des Emirats arabes unis, a légué « à la conscience de la jeunesse arabe un droit de résister contre l'occupation étrangère et celui de refuser un monde bipolaire ». L'homme de la troisième voix, celle de Bandung en 1955, a pourtant longtemps hésité à tenir ce discours entravé par les chaînes de la guerre d'Algérie. Ce n'est qu'après 1962, date de l'indépendance de l'Algérie, que le ton du général durcira à propos d'Israël et sa main mise sur les territoires, jugeant que l'occupation ne peut aller sans oppressions, répressions, expulsions et il s'y manifeste contre lui une résistance qu'à son tour il qualifie de terrorisme ». Les pressions sur Israël se succèdent : à partir de 1967, De Gaulle exige un retrait sur les frontières d'avant-guerre et dénonce l'agression de Tsahal. Devant les visées impérialistes d'Israël, il craint une nouvelle guerre mondiale car « Dayan risque de devenir le maître et il veut aller vers le Nil, vers l'Euphrate, aller à Beyrouth, à Damas et il le peut car il en a les moyens », dit-il lors d'une réunion avec Nixon. Henry Laurens, professeur au Collège de France, ne peut être qu'admiratif devant « la lucidité gaullienne » quant aux risques de déstabilisation permanente causés par les ambitions israéliennes. « Pour autant, dit Laurens, le grand nationaliste qu'il était ne semble pas avoir compris qu'Israël avait les moyens de résister à une politique de pressions » ; était-ce utile d'ajouter que la situation n'a pas changé ?
En France, le Charles de Gaulle glorieux restera celui de la résistance contre l'occupation allemande. Dans le monde arabe, il est ce chef d'Etat tiers-mondiste, celui qui osa dire non aux Etats-Unis et condamner Israël. A l'exception de l'Algérie, l'image du leader est celle d'un homme dont la vision dépassait sa capacité d'action, d'un président qui ne se laissait pas dicter ses principes par les puissances dominantes d'un monde bipolaire. De Gaulle et le Monde Arabe, édité à la suite d'un colloque de l'Université Sorbonne Abou-Dhabi, prend ses distances avec les actions polémiques du général pour ne garder que le meilleur : la politique étrangère du général après 1962, en discours plus qu'en action.
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Alban de Ménonville
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