.
" Quelle que soit la cause que l'on défend, elle restera toujours déshonorée par le massacre aveugle d'une foule innocente..." Albert Camus
Le 16 Octobre 1957, Albert Camus, grand écrivain français né du petit peuple pied-noir d'Algérie, recevait à 44 ans le Prix Nobel de littérature pour
l’ensemble de son œuvre , débutée en 1936, dont les célébrissimes
ouvrages «L’Etranger» en (1942), «La Peste» (1947), " «Actuelles I et
II, Chroniques» (1950, 1953)….
De Mondovi (aujourd’hui Dréan, Est algérien, région où naquit en 354 le futur Saint-Augustin) qui le vit naître en
1913 d’un père commis de ferme tué en octobre 1914 lors de la bataille
de la Marne et d’une mère employée de maison analphabète, à Alger ville- lumière source d’inspiration et d’aspirations, en passant par Paris ville des Lumières
où il fut de tous les combats empreints d’humanisme, il aura été une
des grandes Consciences universelles du 20 ième siècle, un Juste parmi
les Justes dont la voix si moderne ne cesse de résonner. Sujet de très
nombreuses recherches, il est notre contemporain.
Quel destin, quelle ligne de vie !
Sans l’opiniâtreté de son instituteur Louis Germain qui lui permit d’accéder au lycée Bugeaud d’Alger (il
n’eut de cesse de lui rendre hommage pour l’avoir ainsi aidé, lui, le
fils de pauvres), sans l’attention fraternelle de son professeur Jean
Grenier, le monde n’aurait pas vu éclore l’œuvre d’Albert Camus,
connaître la beauté de ses textes. Il reste un des écrivains les plus
lus sur la planète, une référence morale, l’un des plus thèsè par les
étudiants des 4 coins du monde. Ce n’est que mérite quand d’autres
illustres, qui surent se montrer parfois cruels (jaloux ?) à son égard,
sont quelque peu passés aux oubliettes.
Sa disparition lors d’un accident le 04 janvier 1960 sur
une route de l’Yonne, avec son ami éditeur Michel Gallimard, fût à
l’image de sa vie. Telle une tragédie grecque pour cet enfant de la
Méditerranée qu’il a si bien louée (notamment «Noces» en 1939), il
mourut comme il vécut, intensément.
En souvenir du 50 ième anniversaire du Nobel, Monaco rend hommage à Camus en 2007 en éditant un timbre commémoratif à son effigie.
Et sa Patrie française? Et sa Patrie algérienne ? direz-vous à juste raison ! Silence à ce jour…
Du côté français entre les résultats d’un match de foot et de rugby,
calé entre les mauvaises nouvelles du monde, peut-être aura-t-il droit,
le Grand homme authentique, à un petit entrefilet pour s’en rappeler au
moment de décerner les Prix Nobel 2007.
Mais
en Algérie dont il est l’un des illustres enfants, alors que la plus
grande part du pays réel cherche (en résistance à la nomenklatura au
pouvoir depuis 45 ans s’arc-boutant sur ses privilèges) à renouer avec
tous les pans de sa mémoire collective, dont celle pied-noire, qu’en
sera-t-il… ?
Si
Camus dans sa quête de l’Universel posa la question de «l’absurde» (Le
Mythe de Sisyphe – 1942), du pourquoi de l’Homme en ce monde, c’est
bien l’absurde au sens de ce qui peut relever de la plus franche
absurdité (du point de vue de sa reconnaissance officielle, du bout des
lèvres, mais rien n'empêchant de rêver qu'il en soit autrement demain.
Le rêve est-il encore possible en Algérie ?) qui frappe Camus sur sa
terre natale. Cette terre d'Algérie qu'il a vantée avec tant de
ferveur, d'ardeur, exprimant également avec foi ardente et sans ambages
son amour fraternel envers tous ceux qui peuplaient
alors cette terre de tous les métissages, de toutes les histoires aux
couches de sédimentations profondes et successives.
Au nom de quoi ?
De la sempiternelle et infondée attaque dont il est l’objet depuis le discours de Stockholm le 10/12/57 au moment du Nobel.
De quoi s’agit-il ?
Haro
sur «le petit blanc algérois raciste», soutien de l'oppresseur colonial
! Totale contradiction avec ce qu'était Camus au plus profond de
lui-même, ses engagements et ses écrits en faisant foi.
Faux
procès des falsificateurs les plus retors mais que ne trompe pas ses
fidèles lecteurs et ses compatriotes. Camus faisait référence aux
attentats aveugles quotidiens aux milliers de victimes dans les villes
et villages d'Algérie (prémices du terrorisme moderne) des terribles
années 56 et 57 («la bataille d'Alger») visant à toucher
la population civile européenne innocente, à la briser physiquement,
émotivement (sans qu'elle soit aidée par des cellules de soutien
psychologique), sans distinction d'âge, de sexe, de qualités par des
bombes «non sélectives» meurtrissant également des musulmans. Agissant
ainsi, un des objectifs du FLN était de déclencher une terrible
répression militaire au marteau pilon (la torture y pris
malheureusement place) contre une population musulmane alors
«suspecte». La stratégie FLéniste était de voir se grossir ses rangs
disparates (notamment ceux de la ligne dure de la fracture totale avec
la France) en contraignant de la sorte les récalcitrants, les indécis,
les hésitants, les attentistes (ou bien encore ceux, nombreux, attachés
à la Nation française) parmi ceux «d'origine autochtone» comme on le
disait aussi alors, sujets des brimades et violences françaises en
boomerang. Je précise ma pensée en affirmant qu'on ne peut pas faire
abstraction d'avoir à se poser honnêtement la question des origines des
violences afin de décrypter cette guerre qui fut aussi une guerre
civile.
Cela marcha en partie.
Il
y avait aussi la volonté calculée, aux dramatiques et tragiques
conséquences, de creuser un irréductible fossé de sang entre les
communautés (mais dont l'espoir existait encore parmi les populations
de le combler comme le démontrèrent les fraternisations de mai 58
desquelles naquit la IV République). Quand il est aisé de trouver de
quoi remonter les ressorts de la haine, la violence démesurée en étant
un des terribles leviers à la force incontrôlable, comment résister à
une telle horrible pression quotidienne?
Certainement
faut-il pour cela être éclairé afin de ne pas tomber dans la bestialité
mâtinée aux slogans de «résistance ». Intervient alors le rôle majeur
éveilleur de Conscience de Camus, parfois incompris des siens, comme
lors de son appel à «la trêve civile» en 1956 où il enjoignait
tous les protagonistes d'épargner les populations civiles objet de
toutes les «convoitises», de tous les chantages. De tels hommes sont
alors indispensables et c'est pour cela que tout est tenté pour les
museler, les faire taire.
En
agissant sciemment de la sorte, les poseurs de bombes des réseaux de
Yacef Saadi pouvaient par leurs engins de mort, dans un bus ou dans la
rue, tuer la mère de Camus, innocente parmi les innocents, seulement
coupable «d'être». C'est cette peur là d'un fils pour sa mère (tous les
fils, toutes les mères), cette douleur là ressentie par une population
apeurée mais refusant d'abdiquer en continuant de vivre malgré tout (le
peuple algérien des années 90 sait de quoi il s'agit et a, en tant que
peuple frère du peuple pied-noir, tous les éléments pour comprendre)
que Camus voulut exprimer, amener à en saisir toute la dimension
tragique.
Après
la décennie sanglante en Algérie, et au moment du procès de Rachid
Ramda s'y rapportant, responsable des attentats du GIA à Paris en 1995,
chacun est capable de saisir le sens profond de la réponse de Camus en
réaction, dignement, au terrorisme aveugle pouvant nous faire perdre
d'horrible manière un être cher. Sachons entendre les victimes, être
compatissants eu égard à leurs douleurs.
Aujourd'hui,
alors que le terrorisme est devenu «L'Arme» (comment en sommes-nous
arrivés là ?), avec Camus nous ne pouvons que tous nous interroger sur
le «que ferions-nous si nous étions confrontés à de telles situations»
ainsi que dénoncer la perversité intellectuelle et active de ceux
cautionnant «la fin justifiant les moyens», tous les moyens, pour
toutes les fins, même les plus funestes pourvu qu'elles satisfassent à
leurs horribles desseins. La liste est longue. Camus est là encore un
éveilleur de notre conscience d'Homme, un grand parmi les grands.
Faudrait-il
se retrancher derrière un mur d'idéologie aveuglante et confortable ne
tolérant aucune remise en question pour ne point comprendre à leurs
justes et dignes portées ces mots du cœur que l'on retourne contre
Camus pour le salir.
Il
était d'autant plus libre, trop au goût de ses adversaires, qu'il
n'avait pas une analyse caricaturale de cette guerre fratricide où la
légitimité des uns s'opposait à la légitimité des autres face à un
pouvoir politique défaillant, incapable de proposer ce qui pouvait
unir, rassembler dans un projet commun d'avenir toutes les composantes
algériennes (ce sera pire après 58 et bien plus encore après son décès
en1960 – mensonges, manipulations, intoxications, manigances,
enlèvements et disparitions, violences extrêmes - où Camus manqua face
aux enjeux dont on connait les drames qui en découlèrent et dont les
témoins souffrent encore aujourd'hui au plus profond de leur être). La
fraternité n'était pas pour lui un vain mot.
Il
n'avait pas une vision simpliste, réductrice et manichéenne des
évènements dramatiques en cours. Il ne se réfugiait pas dans le confort
intellectuel visant à classer «les bons» d'un côté (ceux luttant pour
leur émancipation, leur indépendance dont nombre souhaitait qu'elle se
fasse dans un cadre fédéraliste avec la France), de l'autre «les
mauvais» (s'y opposant, «bien sûr»!). En conscience, très justement, il
dénonçait avec force les méthodes musclées et la torture pratiquées par
des militaires sous les ordres du général Massu auquel le gouvernement
avait donné, se défaussant, tous les pouvoirs civils et militaires.
Discrètement,
Camus agissait, notamment avec Germaine Tillion la célèbre ethnologue,
pour sauver de la guillotine des activistes algériens (lire de
G.Tillion «les ennemis complémentaires», éditions Tirésias 2005) tout
en ayant fait le choix de rester publiquement silencieux au sujet de
cette sale guerre : «le terrorisme tel qu'il est pratiqué en Algérie a
beaucoup influencé mon attitude (sur l'Algérie). Quand le destin des
hommes et des femmes de son propre sang se trouve lié, directement ou
non, à ces articles que l'on écrit si facilement dans le confort du
bureau, on a le devoir d'hésiter et de peser le pour et le contre. Pour
moi, si je reste sensible au risque où je suis, critiquant les
développements de la rébellion, de donner une mortelle bonne conscience
aux plus anciens et aux plus insolents responsables du drame algérien,
je ne cesse pas de craindre, en faisant état des longues erreurs
françaises, de donner un alibi, sans aucun risque pour moi, au fou
criminel qui jettera sa bombe sur une foule innocente où se trouvent
les miens» (cf «Avec Camus. Comment résister à l'air du temps» Jean
Daniel Gallimard 2006).
Quelle belle leçon d'humanisme, de
journalisme. Ce propos me fait penser au titre et à l'objet du livre de
André Rossfelder, ami de Camus (concepteur de la COMEX, un des
découvreurs de pétrole en Algérie en 1947 âgé de 82 ans il vit aux USA)
«le Onzième Commandement» Gallimard 2000, « tu seras fidèle aux tiens,
surtout quand la nation les oublie ou les diffame»… A méditer !
Est
donc assassinable, aux yeux d'un terroriste (notre semblable ? Quelles
Valeurs nous en protègent ?) celui qui a le seul tort d' «être»,
entrave physique à son délire ethnicide!
En réalité, la phrase complète de Camus à son interrogateur/interlocuteur, lui donnant ainsi tout son sens, est la suivante: «
En ce moment on lance des bombes dans les tramways d'Alger. Ma mère
peut se trouver dans un de ces tramways. Si c'est cela, la justice, je
préfère ma mère ». Tout homme, qui plus est méditerranéen quand on
connait la place qu'occupe la Mère dans nos cultures de toutes les
rives de la Méditerranée, ne peut pas ne pas comprendre, sans a priori,
ce que dit Camus.
En
2005, un colloque sur Camus est organisé à Alger. Une première, perle
rare! Le Président algérien A. Bouteflika y fit une visite et à Jean
Daniel, présent, il dit ceci qui ne peut pas manquer de nous surprendre
: «Vous savez comment je vérifie que Camus est un véritable enfant de
l'Algérie? C'est lorsqu'il dit que si sa mère était attaquée, il
préférerait la défendre plutôt que la justice. Et bien, c'est
exactement ce que je sens, ce que je ferais, et je ne vois pas pourquoi
Camus n'aurait pas eu le droit de le dire».
Bravo Monsieur le Président! Alors, qu'attend l'Algérie officielle pour honorer un de ses illustres enfants???
Pas une rue, pas une place, pas un lieu en Algérie, aujourd'hui ne porte son nom. Quel comble pour ne pas dire plus!
En
1960, après sa mort, le Conseil Municipal de Mondovi (Dréan de nos
jours), son village natal, souhaita baptiser la rue centrale de son
nom. L'exode des Français d'Algérie et l'Histoire en voulut autrement.
Peut-être qu'aujourd'hui, Dréan (ancien Mondovi) pourrait le reprendre
à son compte....?
Ah
si, un lieu, un seul sur la terre algérienne pour honorer
symboliquement Camus: une stèle sur le merveilleux site romain de
Tipasa, ancien comptoir punique, patrimoine mondial de l'UNESCO depuis
1982 (l'Algérie regorge de ces sites merveilleux : Djemilla, Lambèse,
Hippone, Tiddis, Timgad, Guelma...) déposée avant l'indépendance par un
de ses amis, artiste, reprenant une des phrases de son livre, Noces,
«ici on comprend ce qu'on appelle gloire, le droit d'aimer sans
mesure».(*)
A méditer!
Quelle ode à la Méditerranée, à l'algérianité, à l'amour de la terre algérienne.
L'exilé Camus repose en terre de France, à Lourmarin dans le Vaucluse où il avait acquis une demeure.
Alors, chère Algérie, à quand une «rue Albert Camus, écrivain, Prix Nobel de littérature, enfant d'Algérie» à Alger qu'il chérissait tant et/ou ailleurs en ce beau pays?
Nous sommes très, très nombreux à l'espérer.
.
Eric-Hubert Wagner
(*)
Il s'agit de son ami Louis Bénisti (écrivain, peintre, sculpteur né à
Alger en 1903 – 1995 Evian) qui a gravé et érigé cette stèle à Tipasa
en 1961
Les commentaires récents