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« Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassée d’argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres» . Peut-on dissocier Albert Camus d’Alger ? Peut-on dissocier Albert Camus de l’Algérie ? Impossible ! Sans l’Algérie, Camus aurait-il écrit « l’Etranger » ? Camus est-il algérien ? La réponse dépend de vous et de l’idée que vous vous faites de l’identité. C’est d’ailleurs le principal sujet d’actualité en France et en Algérie après le match Algérie-Egypte. En Algérie, l’identité est toujours liée à la notion de descendance, c'est-à-dire l’héritage linguistique, religieux et culturel. Pour obtenir la nationalité algérienne, il faut pouvoir présenter un certificat délivré par les institutions religieuses pour prouver que vous êtes musulman ! Ce fait est d’ailleurs contradictoire aux valeurs républicaines et à la Constitution Algérienne qui garantit la liberté des consciences. Si vous êtes résident étranger, de culture et de foi autre que musulmane, vous serez obligés de renoncer à votre propre religion pour obtenir la nationalité algérienne. A ce propos, l’identité n’est pas basée sur l’apport de la citoyenneté : les droits et les devoirs, les valeurs communes (culturelles, morales et autres), avec les spécificités individuelles. Elle est basée en réalité sur la descendance. D’ailleurs, c’est l’idéologie approuvée par l’extrême droite dans les pays européens ! Or, l’identité peut être à la fois individuelle et collective. Les deux peuvent se croiser et se superposer, sans pour autant qu’elles se trahissent. Comme par exemple, les Algériens de France qui, pour une raison ou une autre, ont choisi de porter (d’adhérer à) la nationalité française sans renoncer à la nationalité algérienne. C’est la même chose pour les Algériens qui vivent au Canada.
Si l’on suit les valeurs républicaines, Camus est algérien car il est né en Algérie, il a connu la misère comme tout algérien. C’est un enfant qui a dédié un roman à sa mère par cette phrase : «A toi qui ne pourras jamais lire ce livre. », tout comme tous les écrivains algériens de l’époque (Kateb Yacine, Mammeri, Feraoun, Dib, etc.) qui auraient pu dédier ainsi leurs romans à leur mère. Pourquoi l’Algérie n’a-t-elle pas reconnu ce fils exilé ? J’ai l’impression qu’en repensant aux années cinquante et postindépendance, l’élite algérienne ne parvient pas à dissocier Camus de la politique. Pourtant, Camus n’était pas un politicien ! Peut-être incarnait-il l’espoir d’une révolution intellectuelle émise par l’élite algérienne de l’époque ? La lecture de ses ouvrages nous laisse le sentiment qu’il était proche de la misère de l’Homme, qu’il refusait l’esprit totalitaire. Il affirmait que « la révolte est profondément positive puisqu’elle révèle ce qui, en l’Homme, est toujours à défendre » . Un homme qui refusait les injustices mais « qui préférait sa mère à la justice » comme tout méditerranéen vénère sa mère. Quel algérien préfèrerait la justice à sa mère ? Et pourtant, c’est toujours cette phrase qui revient à chaque fois qu’on aborde Camus en Algérie, comme si Camus se réduisait à cela. Quand j’étais étudiant à l’université d’Alger, lorsqu’on parlait de lui c’était souvent cette phrase qui revenait. On oublie le Camus qui a écrit sur la misère des Algériens, sur les massacres du 8 mai 1945, ses interventions auprès du Général de Gaulle pour les condamnés à mort. On oublie également qu’il faisait partie des fondateurs de « Alger Républicain », ce journal qui a tant éveillé les consciences nationales. Le rôle de Camus et son attachement à sa terre natale ne peuvent pas être réduits à une phrase. J’avoue qu’à cause de ces idées fausses répandues dans le milieu universitaire, l’idée de lire Camus ne m’avait jamais séduit. Jusqu’au jour où, dans une bibliothèque d’Alger, j’ai sympathisé avec un européen qui m’a demandé de l’accompagner visiter Tipasa. J’étais tout fier à l’idée de lui montrer la beauté de l’Algérie. Une fois arrivé à Tipasa, je vis mon interlocuteur ouvrir un livre, « Noce » d’Albert Camus, et lire des extraits sur les ruines tout en contemplant le soleil et respirant l’odeur de la mer bleue. Mon enthousiasme s’est soudainement attristé, mes connaissances sur mon histoire étaient finalement limitées. Des années plus tard, je me suis interrogé : doit-on intégrer cette histoire dans notre histoire ? Doit-on la rejeter ? Au nom de quoi ? De qui ? Ne se disaient-ils pas algériens ? Sont-ils algériens ? Cette journée m’a marqué, surtout lorsqu’on a rencontré le fils du gardien qui nous a fait visiter l’endroit où Camus aimait s’asseoir pour contempler le couché de soleil de fin d’été. La lecture des œuvres de Camus m’a permis de mieux comprendre ce qui s’est passé, mais aussi de prendre conscience de la misère des algériennes de cette époque. Plus loin, la lecture de Camus m’a permis de comprendre que finalement « la vérité n’est pas un absolu mais doit être recherchée dans le bonheur, le tourment et la contradiction ». Camus m’a réconcilié avec le soleil d’Algérie. La lecture de « l’Etranger » m’a complètement bouleversé. Un nouveau style d’écriture et surtout beaucoup d’interrogations, notamment comment l’Arabe était-il perçu. Comment la justice des plus fort impose-t-elle sa loi au plus faible ? Le génie de Camus était de dépasser les notions philosophiques habituelles sur l’absurde en les sublimant dans la romance. Pourquoi Camus est-il toujours d’actualité ? Ses romans se classent toujours parmi les meilleures ventes. Ses textes sont enseignés partout dans le monde. Ce qui veut dire que partout dans le monde on parle de l’Algérie. Un écrivain algérien de retour des Etats Unis m’a confié que Camus est toujours d’actualité, à tel point qu’un lecteur lui a demandé de lui dédicacer le roman « l’Etranger ». L’auteur lui a dit : « Mais ce n’est pas moi qu’il l’ai écrit ». Le lecteur lui a répondu : « Vous venez d’Algérie, Camus aussi est né en Algérie ! Tout comme lui, vous portez en vous l’odeur de Camus ». Quels sont les secrets des romans de Camus ? Ceci reste un mystère ! Peut-être a-t-il décrit la misère non pas en tant que concept mais plutôt telle qu’il la vécue. Peut-être refuse-t-il l’injustice, les idées totalitaires quelle que soit leur origine ! À ce propos, il écrit : « (…) Renoncer à toute valeur revient alors à renoncer à la révolte pour accepter l’Empire et l’esclavage. La critique des valeurs formelles ne pouvait épargner l’idée de liberté. Une fois reconnue l’impossibilité de faire naître, par les seule forces de la révolte, l’individu libre dont rêvaient les romantiques, la liberté a été, elle aussi, incorporée au mouvement de l’histoire. Elle est devenue liberté en lutte qui, pour être, doit se faire. » Camus mérite une place dans notre histoire ; qu’on le veuille ou pas, il fait partie de nous. Le nier, me semble-t-il, c’est nier une partie de notre mémoire et de notre histoire. Nous devrions dépasser le Camus politique, quelle que soit sa vision de l’histoire de l’époque pour lui donner la place qu’il mérite, en commençant par l’école. Il a tant donné pour l’Algérie, à la terre qui l’a vu naître et qui l’a rayonné par son soleil. Cependant, sa place n’est pas au Panthéon, elle est parmi les siens, au cimetière qui prédomine la baie d’Alger en accueillant la mer bleue à bras ouverts.
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Yazid HADDAR
auteur d’un Roman « le hasard parlant » et d’un essai « l’Algérie en attente » aux édition Edilivre Paris 2009.
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