AU PAYS DE TAHAR BEN JELLOUN
Des situations extravagantes que seul le génie littéraire de l’écrivain, né à Fès en 1944, pouvait transformer en des romans suaves.
Le lecteur ayant suivi le parcours de l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, depuis ses débuts, ou particulièrement depuis qu’il a obtenu le prix Goncourt, aura sans doute du mal à ne pas faire de lien avec sa vie en lisant son nouveau roman Au pays. Comme toujours, Tahar Ben Jelloum, confirme qu’il est un spécialiste dans la narration simple mais pas du tout simpliste. Son nouveau roman se lit d’une traite. On parcours les 180 pages sans pouvoir s’en détacher. Il n’existe sans doute pas de recette miracle dans l’écriture des romans tels que pratiquée par Tahar Ben Jelloun. Il s’agit plutôt d’un style acquis dès son jeune âge puisque Tahar Ben Jelloun, depuis la sortie de son premier roman, a démontré qu’il était né pour cet art. Qui ne se souvient de Harouda ou de Noha le fou, Noha le sage et La nuit sacrée. des romans où Tahar Ben Jelloun avait fait preuve d’un talent exceptionnel. En plus de son style lyrique extraordinaire, il a su imaginer des histoires dépassant tout entendement.
Des récits où une
fille devient un garçon, puis un homme devient une femme. Des
situations extravagantes que seul le génie littéraire de l’écrivain, né
à Fès en 1944, pouvait transformer en des romans suaves. Cette fois-ci,
l’écrivain ne s’est pas du tout éloigné de son sujet de prédilection, à
savoir l’émigration et la solitude de celui qui s’est retrouvé du jour
au lendemain loin de sa terre natale et loin des siens.
Un sujet très important et d’actualité que Tahar Ben Jelloun a traité plus d’une fois, notamment dans ses romans «Partir»,
Le dernier ami, La Réclusion solitaire. Mohamed vient de partir à la
retraite. C’est à cet instant qu’il se rend compte qu’il avait gaspillé
sa vie en France. Tant qu’il était préoccupé quotidiennement par le
travail dans un pays où un émigré ne peut rien faire d’autre, Mohamed
n’y pensait pas, même pas à ses enfants qui ont grandi en cette terre
étrangère et où ils sont nés.
Soudainement, Mohamed découvre qu’il ne connaissait pas ses enfants. Il est gagné par une grande angoisse car il se retrouve seul au moment où il a le plus besoin de compagnie. Ses enfants, élevés par et dans la société française, ont volé de leurs propres ailes. Et contrairement aux enfants élevés sur l’autre rive de la mer Méditerranée, ceux de France ne pensent qu’à leur propre avenir lorsqu’ils sont en mesure de se passer des parents. Ce qui fait le plus souffrir Mohamed c’est l’indifférence de ses enfants malgré ses appels incessants. Au moment où il prend sa retraite, Mohamed voit défiler sa vie comme dans un film. Il pense à la journée où il avait quitté Marakech, sa ville natale pour atterrir sur une autre planète qu’est la France. Il est pris de remords mais tardivement. Il ne peut rien rattraper. Toutes les choses importantes de la vie, celles que chaque être humain porte à l’intérieur de soi, se sont envolées. La course vers la matière a pris de court cet homme pourtant d’une intégrité sans faille. Meme quand il constatait que dans son entourage, des hommes peu scrupuleux parvenaient à bâtir des fortunes, Mohamed reste de marbre. Sa forte personnalité lui a permis de se prémunir contre le joug de la tentation. Il a résisté à tout sauf au vent de l’émigration. Il ne savait sans doute pas qu’en traversant la mer pour aller en France, il se dirigeait vers un paradis artificiel. Il a quitté une terre où l’on craignait de mourir de faim vers une autre où il était certain de mourir de solitude.
D’ailleurs, c’est ce qui arriva quelques mois
après, en retraite. Mohamed reprend sa valise. Il rentre au bercail.
Seul! Ses enfants refusent de l’accompagner. Une évidence à laquelle il
aurait dû penser des années auparavant. Il n’y a pas pensé. Le temps
avait fait le reste. Mohamed constate qu’il n’est pas chez lui tandis
que ses enfants pensent le contraire: «Qu’est-ce que j’ai fait de ma
vie? J’ai travaillé tous les jours et le reste du temps, j’ai dormi
pour récupérer. C’est une vie qui a la couleur de ma blouse. Je ne
m’étais jamais demandé si ma vie pouvait avoir d’autres couleurs. Quand
je suis au bled, je ne me pose pas toutes ces questions. Je suis en
accord avec la nature, même quand elle est jaunie par la sécheresse. Je
suis chez moi. Ce sentiment n’a d’égal nulle part au monde. C’est se
sentir en sécurité même quand l’orage et la foudre menacent, même quand
l’eau et le sucre manquent...C’est ça, ici je ne me suis jamais senti
chez moi, chez-nous.»
Tahar Ben Jelloun prouve une fois de plus
que partir c’est mourir un peu. Il montre la face cachée de l’iceberg.
Il démontre l’impossibilité de se sentir chez soi si l’on est loin de
sa terre nourricière. Tahar Ben Jelloun confirme surtout qu’il reste un
grand romancier.
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Aomar MOHELLEBI
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