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La vie d’Annie Steiner s’est muée en destin algérien, un jour de février 1956, après son arrestation par la police coloniale pour « activités subversives », entendre pour engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie, ce qui n’était pas si peu.
C’était l’an II de la Révolution et une répression des plus sauvages s’était abattue sur les militants algériens. Annie Steiner, née Fiorio, avait alors 28 ans. Rien ne présageait d’une telle destinée pour cette native de Hadjout (ex-Marengo). Issue d’une famille de pieds-noirs depuis trois générations, Annie a grandi dans un milieu plutôt protégé et n’a connu ni la misère ni les privations qui frappaient des millions d’Algériens. Mais Annie est une rebelle-née, une révolutionnaire qui place les valeurs de liberté et de justice au-dessus de tout. Justement, le dénuement et l’exclusion, elle les côtoie quotidiennement dans ces centres sociaux d’Alger où elle travaille pour venir en aide aux démunis. C’est là où la guerre la surprend.
Elle n’est alors militante d’aucun parti politique ni organisation, et c’est souveraine mais lucide qu’Annie la « Française » opte pour « l’Algérie algérienne » en s’engageant dans les réseaux clandestins du FLN. L’histoire lui donnera raison, mais à quel prix ! Par ce choix, elle signera son premier « acte de divorce » avec sa communauté d’origine. Les pieds-noirs qui, comme elle, ont fait le pari de l’Algérie libre et fraternelle, une infime minorité dont certains membres ont payé de leur vie leur engagement pour l’indépendance de l’Algérie seront vite taxés de « traîtres » et reniés par famille et amis. Comme elle, Henri, Fernand, Yvette, Georges, Jacqueline et d’autres encore n’étaient prédestinés ni par leur noms ni par leurs origines à épouser la cause des « fellagas ».
La rupture d’avec les siens, Annie l’expérimentera une seconde fois, en prison même : M. Steiner, son époux, furieux d’apprendre son appartenance au FLN, demandera le divorce et l’obtient. Plus tard, la garde de ses deux fillettes lui sera, elle aussi, retirée. La chaleur familiale, c’est en prison qu’Annie la retrouvera parmi « l’khouatate » (les sœurs) comme elle continue à appeler, tendrement, ses anciennes codétenues. Ces années de prison la marqueront à jamais. D’anciennes camarades de détention se souviennent de la militante à toute épreuve. « Forte en gueule », mais pas seulement, Annie ne laissait aucun répit à l’administration pénitentiaire pour faire reconnaître le statut de détenues politiques aux militantes FLN.
La juriste – elle est licenciée de la faculté de droit d’Alger – utilise pour ce faire tout son savoir pour harceler l’ennemi jusque dans les cellules de prison, territoire de non-droit s’il en est. D’une grande rigueur intellectuelle, elle se méfie des mythes et l’histoire, pour elle, est une œuvre collective qui transcende les individus et leur ego. Annie Steiner était militante de la zone autonome dans le réseau Alger-Sahel, celui même dans lequel était affectée Hassiba Ben Bouali. Condamnée à la réclusion « criminelle » par le tribunal des forces armées d’Alger, elle fut « trimballée », cinq ans durant, d’El Harrach à Serkadji, en passant par d’autres lieux d’enfermement.
Au lendemain de l’indépendance, on la retrouve parmi une poignée de cadres algériens autour de Mohamed Bédjaoui, assumant la lourde tâche de réorganiser la nouvelle administration après le départ de l’encadrement français. Haut fonctionnaire au secrétariat général du gouvernement, elle contribuera, jusqu’à sa retraite en 1990, à la formation de dizaines de cadres de la Fonction publique algérienne.
Femme de conviction, femme d’action et de réflexion, elle continue, à ce jour, à être active. A sa manière. Grande lectrice, amie d’écrivains et de poètes. Jean Sénac dont elle fut très proche lui a dédié, dit-on, l’ensemble de sa poésie. Elle est habitée, elle aussi, par la Muse, même si ses poèmes restent inédits. A quatre-vingts ans aujourd’hui, cette dame reste étonnamment belle, le temps a passé, marquant de son empreinte la frêle silhouette, mais le regard d’Annie, lui, n’a pas pris une seule ride.
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« Il faut savoir supporter les injustices jusqu’au moment où on peut en commettre soi-même. »
Jeudi 17 avril 2008 -- « Les gens vous pardonnent quelquefois le bien que vous leur avez fait, mais rarement le mal qu’ils vous ont fait. La liberté est un mot qui a fait le tour du monde et n’en est jamais revenu. » Ecouter Annie parler de sa personne relève de l’exploit ! Il aura fallu de la patience et l’intervention complice de Sid Ali et de Fadila de la librairie Mille feuilles, où elle a ses habitudes, pour que la militante de toujours consente enfin à accepter cet entretien. C’est que cette femme d’une modestie qui confine à l’effacement aime parler beaucoup plus des autres que de sa propre personne. « Il y a tellement de gens qui ont fait mille fois plus que moi et qui ont souffert le martyre que je trouve indécent qu’on parle de ma petite personne », annonce-t-elle d’entrée. La regrettée militante Zahia Taghlit avait témoigné : « L’apport d’Annie à la révolution a été discret mais efficace. C’est une authentique révolutionnaire ». « Je suis du côté des humbles, c’est important d’avoir cette position », affirme Annie pour commencer la conversation. Et puis de bifurquer sur un autre terrain, celui du foot. Dans la grande équipe de foot du Brésil, raconte-t-elle, il y avait Pelé et Garincha. Ma préférence va à ce dernier qui vient des miséreuses favelas. Ce joueur, diminué physiquement, est resté lui-même ; il n’a pas renié ses origines. Il n’a jamais oublié d’où il venait. Il a commencé dans la misère et a terminé dans le dénuement. Le roi Pelé, quant à lui, a su gérer sa carrière.
Cheveux blancs coupés courts, silhouette avenante, elle a l’air d’une
jeune grand-mère à la fois active et sereine. Parler d’elle ? En
novembre dernier, elle s’est exprimée sur Canal Algérie,
après 22 ans de silence : « J’ai dit que j’étais venue parler des
inconnus. C’est grâce à eux qu’il y a eu la victoire. Franchement, je
commence à être très agacée par ce qu’on appelle ‘’le culte de la
personnalité’’. Ce sont toujours les mêmes qui sont mis en avant et qui
ne parlent pas ou très peu des autres, des anonymes, ceux qui sont
allés au charbon, mais qui sont restés dans l’ombre. On n’est rien sans
les autres. C’est une longue chaîne. Ce que je vois m’irrite et
m’attriste. C’est le contraire de l’Histoire. »
Militante infatigable de la liberté, Annie a vu le jour le 7 février 1928 à Marengo (Hadjout). Son père, Fiorio Marcel, né au début du siècle dernier à Tipaza, est issu d’une famille originaire de Florence en Italie. Il travaillait dans les hôpitaux. Lors de l’épidémie de typhus, il a été dépêché à Sidi Bel Abbès comme directeur de l’hôpital pour y mettre un peu d’ordre. Qu’est-ce qui a donc poussé les Fiorio, famille prospère, à quitter le symbole de la renaissance pour s’installer en Algérie ? Nul ne le sait. « Mon père est mort à 41 ans, emporté par une crise cardiaque. Quant à ma mère, elle était enseignante, institutrice comme sa sœur et leur mère. Ma grand-mère, Virginie Malavial-Truel, était institutrice à Borely Lasapie (El Omaria) village au-dessus de Médéa, où elle exerçait selon le système de la classe unique. J’ai rompu la tradition. Mon grand-père, né à Theniet El Had en 1870, est enterré à Palestro. »
Annie dut bourlinguer très jeune au gré des affectations de son père. A Boufarik, elle y effectua l’école primaire et à Sidi Bel Abbès c’est l’EPS. « De là, je suis allée à Blida, une ville qui a beaucoup compté pour moi. J’y ai fait mes études secondaires au lycée Duveyrier (Ibn Rochd), un excellent établissement qui a vu défiler des chouhada comme Ali Boumendjel, Abane Ramdane et des responsables comme Benyoucef Benkheda, M’hamed Yazid, Sadek Hadjeres… A l’origine, ce lycée était réservé aux garçons, mais après le débarquement des Américains, qui ont occupé le collège des filles, on a dû jumeler filles et garçons après la fermeture de l’internat pendant la Seconde Guerre mondiale. » D’une extrême pudeur, cette grande militante, citoyenne du monde, défenseur de la liberté, possède l’aura de celles qui ont su se réinventer sans se renier...
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A 80 ans, elle garde le même regard, les mêmes convictions, les mêmes
rêves. « Je suis fille unique. J’ai vécu dans un milieu aisé. Je ne
manquais de rien. J’aurais pu être très gâtée, mais mes parents m’ont
transmis certaines valeurs. Mon père, libre penseur, m’a inculqué les
valeurs du travail, de l’honnêteté et de la rigueur. Ma mère, qui m’a
élevée et ne s’est pas remariée, venait d’une région de France très
catholique et m’a donné une éducation chrétienne. Mes parents, au
demeurant modestes, étaient dignes et ne fréquentaient pas la haute
société. Ils étaient sensibles aux souffrances humaines. »
Elle en possède la fièvre inventive et le mépris du danger. « Quant à moi, je ne militais nulle part, ce qui m’a beaucoup servi. Je discutais avec les vieux militants. Je les écoutais surtout et j’avais compris déjà qu’on doit presque tout aux autres. » Rebelle, elle voulait révolutionner le monde. Un monde bien triste, celui qu’elle a côtoyé dans les centres sociaux d’Alger, où elle exerçait et où le dénuement le disputait à la misère et l’exclusion. Avec son éducation et son esprit combatif, elle se montre chaleureuse et distante à la fois, gardant quelque chose d’inaccessible : « Ce sont des choses qu’il faudrait écrire un jour », reconnaît-elle, prévenante. Ses mots bien choisis arrivent à percer les formules cadenassées. Dans son discours, on perçoit en filigrane sa croyance au groupe et au monde.
Lorsque la lutte de libération éclate en 1954, elle « se sent mûre ». Elle est licenciée en droit. Avec son mari, le Suisse Rudolf Steiner, architecte, elle a été amenée à connaître des gens de ce milieu à Paris, où le couple a séjourné. Son époux était lié aux architectes du bureau de Le Corbusier. Dans la capitale française, ils sont restés deux ans. Retour à Alger fin 1953, où elle retrouve ses amis Jean Senac, Roland Simounet, architecte originaire de Aïn Benian, et Jean de Baisonseul, responsable du service d’urbanisme de la ville d’Alger, arrêté, et incarcéré à Barberousse en 1956. « Il y est resté très digne. Il a sauvé beaucoup de choses à Alger qu’on est en train de détruire. C’était un peintre et un sculpteur qui avait fait visiter La Casbah à Le Corbusier (Corbu pour les intimes). On dit que Le Corbusier, grand admirateur de La Casbah et du M’zab (Ghardaïa) y avait puisé des idées pour son ''modulor'' ».
Bien avant le déclenchement de la guerre, Annie avait pris conscience de la situation désastreuse des « indigènes ». Elle avait choisi son camp. Elle était dans le réseau FLN clandestin, dans lequel elle a été engagée en 1955 après avoir cherché un contact dès la fin de 1954. « J’ai pu faire beaucoup de choses, tout simplement parce qu’étant d’origine européenne, je n’éveillais pas les soupçons et je n’étais pas fichée par la police. » Quel était le regard porté sur elle par ses amis pieds-noirs, elle qui avait pris le parti de lutter pour l’indépendance de l’Algérie. « Personne ne savait ce que je faisais. Leur surprise a dû être grande lorsqu’ils l’ont appris dans le journal, en page une et en gros titre. »
Arrêtée en octobre 1956, elle est condamnée à 5 ans de réclusion par le tribunal militaire d’Alger, lors d’un procès qui a duré 3 jours et appelé à tort « Le procès des médecins ». Pourquoi cette expression ? Voulait-on associer intentionnellement le mot « médecin » à une des activités du groupe concernant un laboratoire d’explosifs ? On ne sait pas. Dans ce procès, où les accusés avaient des origines politique et ethnique variées, se trouvaient A. Bensadok (vieux militant du PPA puis du FLN), les 3 frères Timsit (médecins) et Georgio Arbib (ingénieur) anciens militants du PPA, Djaballah (jeune étudiant chimiste), E. Neplaz (instituteur de Constantine), etc.
Beaucoup, qui étaient clandestins, ont été jugés par contumace, parmi lesquels Hassiba Ben Bouali, chahida à 18 ans, morte héroïquement avec Ali la Pointe, petit Omar et M. Bouhamidi. Le lendemain du procès, elle écrivait un poème qui sera souvent lu à la Chaîne 3 par Djamel Amrani qui savait si bien lire la poésie : « Cette femme n’est pas une mère, a dit Monsieur le procureur. Cette femme n’est pas une mère, ont répété les cervelles dociles. Vous avez le jugement prompt. Soyez loué par les cervelles dociles. Vous avez le goût de la justice prompte. Soyez béni par les cervelles dociles. Sachez Monsieur le procureur que rien n’est aussi simple. Cette femme était mère et par le don de la vie deux fois renouvelé »… (allusion ici à Edith et Ida qui, en 1957, avaient 4 et 2 ans.)
Annie a fait 6 prisons : Barberousse, Maison-Carrée, Blida par mesure disciplinaire puis transfert à la Petite Roquette à Paris, à la vieille prison de Rennes et enfin à la maison d’arrêt de Pau. Sa petite famille accuse le coup. Sa mère en souffre beaucoup, les enfants aussi. Après sa sortie de prison en 1961, elle ne pouvait revenir en Algérie. Elle se rend en Suisse, où la garde de ses deux filles Edith et Ida lui est retirée. Le divorce est consommé.
En 1962, elle rentre à Alger « avec pour seul bagage un petit sac. Je
n’avais pas le sou. J’étais seule, ma mère et sa famille étaient
parties en France. Il fallait repartir de zéro. Heureusement, j’étais
recueillie par deux sœurs de prison. Deux moudjahidate. Safia, puis
Meriem, dont la famille m’a accueillie pendant plus de 2 mois en me
traitant comme sa propre fille. C’est inoubliable. » Elle confie
parfois sa tristesse. Annie a horreur de ceux qui assument mal leur
petite dose de mégalomanie, se croyant dépositaires du destin
supérieur. Elle en rit. Un peu jaune. En 1962, avec la création du
secrétariat général du gouvernement, dont le premier secrétaire était
Mohamed Bedjaoui, un excellent juriste, elle y est engagée, parce
qu’elle présentait
le profil. Elle y restera 30 ans, assurant avec d’autres cadres la
tâche d’organiser la nouvelle administration. « C’était passionnant et
très prenant », se souvient-elle. Aujourd’hui, elle a la satisfaction
d’avoir contribué à la formation de cadres de la Fonction publique avec
cette particularité d’avoir été la première femme nommée directeur
d’administration centrale par le défunt président Boumediène. Auparavant, en 1962, elle avait été nommée chargée de mission.
Son discours est sincère quand elle se présente en déprimée du contemporain. Parfois même, elle donne l’impression de vouloir en découdre avec les tracas qui empoisonnent la vie de ses concitoyens. 50 ans après, elle est toujours là, femme de conviction, d’action et de réflexion, traquant les injustices. « J’ai participé à toutes les luttes, depuis la grande manifestation du 8 mars 1965, organisée par les moudjahidate, qui a vu défiler des milliers de femmes dans les rues d’Alger. Jean Senac ? Nous avions 20 ans et c’était une autre vision. C’était une grande ouverture sur le monde et sur l’Algérie. On se voyait à la libraire Charlot, à la rue Charras. » Jean m’a dédié en 1957 son petit livre Le Soleil sous les armes. Il fallait avoir du courage pour le faire, en pleine bataille d’Alger, à des gens qui étaient en prison. Anna Greki ? « Elle aussi a été emprisonnée à Barberousse. Elle est morte trop tôt. Je l’ai revue après l’indépendance. Quels beaux poèmes dans Algérie capitale Alger. J’ai demandé une réédition, mais je n’ai rien vu venir. Bouabdallah et son film Barberousse, mes sœurs, consacré au combat des femmes. Un bel hymne, je l’en remercie de tout cœur. Le film a plu, parce qu’il était spontané et sincère. » Son sentiment sur l’Algérie actuelle : « Je suis révoltée comme en 1954. Comment en est-on arrivé là ? Le système se perpétue. C’est le temps de l’imposture, sous toutes ses formes. Je fais ce que je peux et je reste révoltée. »
Annie Fiorio-Steiner est née en 1928 à Marengo (actuellement Hadjout).
Elle a fait ses études à Boufarik et Blida et obtenu sa licence en
droit à la Faculté d’Alger en 1951. Elle travaille dans les services
sociaux de la ville d’Alger, où elle s’imprègne des dures conditions de
vie des Algériens. Elle prendra conscience du grand écart et des
disparités qui existent entre l’occupant et les indigènes. Jeune, elle
commencera à militer et prendra carrément fait et cause pour
l’indépendance de l’Algérie. Elle fait partie du réseau clandestin FLN
de la capitale. Arrêtée en 1957, elle est condamnée à 5 ans de
réclusion criminelle. Elle sera libérée en 1961. Au lendemain de
l’indépendance, elle occupe un poste important au secrétariat général
du gouvernement. Poste qu’elle occupera durant 30 ans. Militante
convaincue, Annie n’a jamais quitté l’Algérie, où elle réside toujours.
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Après la condamnation à mort de Mohamed Gharbi
par Annie Steiner *
Guelma : avec Sétif et Kherrata, les villes martyres du 8 Mai 1945. D'autres villes y ont participé, mais ces trois restent, dans le souvenir populaire, les villes de la résistance et des nombreux massacres qui ont suivi, celles annonçant le 1er Novembre 1954. Et c'est dans cette ville que s'est tenu le procès de Mohamed Gharbi, moudjahid et patriote, c'est dans cette ville que sa condamnation à mort a été prononcée. Quelle vilénie !
J'ai lu dans la presse, attérée, que le prétoire a retenti des cris de «Allahou Akbar». Et ces deux mots m'ont ramenée 52 ans en arrière, à Barberousse, quand je les entendais, prononcés par les condamnés à mort qu'on venait chercher pour la guillotine (Fingua). C'étaient ces deux mots qu'ils nous lançaient, à l'aube, quand ils partaient comme des héros pour ne plus revenir.
«Vous étiez fiers et calmes, sûrs de votre idéal, vous côtoyiez déjà les martyrs de l'histoire...». Et d'après le témoignage d'un condamné à mort, ceux qui restaient dans la cellule étaient tétanisés, sans jambes. Les condamnés partaient à l'aube, soutenus par toute la prison, debout et révoltée, qui criait des slogans, chantait et lançait des youyous, prévenant ainsi la Casbah. Et c'était eux qui nous donnaient de belles leçons de courage et d'espoir. J'ai encore ce cri de «Allahou Akbar» dans l'oreille après 52 ans. Merci, mes frères. Et nous n'avions pas honte, au tribunal militaire, quand on nous traitait de terroristes et que la salle, pleine de pieds-noirs, criait «à mort, à mort». Et c'est ce même cri qui a été entendu... dans le prétoire du tribunal de Guelma.
Et c'est une femme qui a osé, sous des pressions très fortes, je le suppose, prononcer ce jugement. Une femme ! Certes, femmes et hommes sont semblables étant des êtres jumains, et la femme n'est pas, par nature, porteuse de toutes les qualités et sentiments. Mais tout de même, il fallait oser le faire ! il y a des choix qui s'imposent dans la vie, des choix souvent difficiles et qui ne sont pas conjoncturels, des choix qui bouleversent totalement notre vie, mais quand on a fait le bon choix, croyez-moi on se sent beaucoup mieux, on respire bien. Vous n'avez pas, Madame, accordé les circonstances atténuantes, pourtant vous aviez le choix. Je sais très bien que nul ne peut se faire justice lui-même : c'est un grand principe. Mais, en général, la condamnation à mort a lieu pour la contumace, ce qui n'est pas le cas, l'accusé n'ayant pas fui. vous aviez toute une panoplie de circonstances atténuantes : fréquentes provocations, autorités prévenues par l'accusé à plusieurs reprises, et surtout son passé.
Je ne connais pas Monsieur Gharbi, mais j'ai appris qu'il est moudjahid et chef de patriotes de Souk-Ahras. Et cela me suffit amplement. Il a dû en voir mourir des innocents assassinés avant de reprendre les armes. Et j'ai en mémoire, dès les premières années du terrorisme, des centaines de moudjahidine assassinés sans que le ministère des Moudjahidine, qui en était informé, ne le dise. Actuellement, les institutions ne bougent pas pour ne pas contrarier la réconciliation nationale, mais est-ce là une façon de réaliser la réconciliation ? Et peut-être même, tant qu'on y est, pour ne pas contrarier le traité d'amitié avec la France ? Monsieur Gharbi est un vrai moudjahid (il y a, paraît-il, plus de faux que de vrais) grâce à qui nous sommes indépendants; et cette guerre de sept ans et demi a été atroce, dure, implacable. Monsieur Gharbi, je n'ai pas eu l'honneur de vous connaître mais je vous vois toujours digne en attendant que le peuple surmonte cette léthargie momentanée qui l'a frappé, et qu'il ouvre enfin les yeux sur ce qui a été son silence et, pourquoi pas, malgré toutes les excuses qu'on peut lui trouver, sa lâcheté. Au-delà des symboles et calculs sordides qui ont été à l'origine de votre condamnation, c'est votre dignité également qu'on vous reproche.
A Bientôt, Monsieur Gharbi, à bientôt.
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*Moudjahida le 18-6-209
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