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« La mission du théâtre est de démontrer les clivages d’un système politique et donner une conscience au peuple. Sans normalité, sans finalité, parce que nous ne sommes pas des moralisateurs. Le théâtre a cette prétention extraordinaire d’être en amont d’un système de décision et jamais en aval. Sinon il perd de sa force, il devient propagandiste. Ce que je me suis toujours refusé à être et à devenir » Sid Ahmed Agoumi.
C’est en croyant dur comme fer en cette devise là, que s’est produit au théâtre de l’Alhambra à Genève les 25 et 26 avril l’acteur et comédien Algérien Monsieur Sid Ahmed Agoumi invité par HARMONIE (association Suisse-Algérie).
Un être d’une simplicité et modestie déconcertantes, avec un parcours exceptionnel, et des audaces dans le style -s’attaquant à la libre adaptation théâtrale de textes littéraires fondateurs d’une identité algérienne métaphorique- qui lui valent d’être considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands comédiens du théâtre Maghrébin, voire méditerranéen. Il reste sans contestation l’une des figures emblématiques de la scène artistique Algérienne. Depuis son exil artistique, il se consacre à la représentation d’un répertoire de pièces de théâtre en arabe et en français où il pourfend les fanatiques de tous bords, et appelle à une société libre.
Ce voyage dans le temps fut pour le moins émouvant, voire époustouflant, et pour cause… Il nous livre ici une pièce moderne qui n’est point au sens académique du genre, mais une structure romanesque où, se côtoient et s’interprètent (dans la langue de Molière) le récit, le conte et la littérature. Le tout dans un Univers de lyrisme et de poésie où le spectateur a eu l’enchantement d'être transporté puis transposé ailleurs, bien loin... Là où il a pu revisiter son histoire, réveiller ses souvenirs, ou encore ressasser la mémoire vive et ardente d’un peuple, la commémoration d’un pays, d’une patrie et ce, à travers des auteurs défunts entres autres… et dont les noms à connotations européennes n'en sont pas moins algériens.
De la dislocation atroce de deux communautés amoureuses d’un même pays…Des événements de mai 1945 à la décennie noire, tout en passant par le maquis en 1954 et, en terminant par une touche humoristique, à travers une anecdote légère comme pour ne pas finir sur une note noire et tenter un tant soit peu de nous faire oublier la tragédie réelle d’une terre bénie par Dieu, néanmoins torturée, violée et ensanglantée par les siens. En plus clair, l’artiste nous raconte le destin d’un pays hélas détruit avant même d’être construit.
« …Je voulais signifier (dit-il) tout ce qui a été imprimé en moi et par le système politique et par la montée des islamistes, sans faire de distinctions parce que l’un étant le terreau de l’autre. »
En vrai maître de la satire sociale et de la comédie de mœurs, il outrepasse les limites de la comédie pour offrir une vision réfléchie sur une Algérie torrentielle, passionnée et douloureuse, il parvient à porter pleinement les valeurs tellement vraies de cette pièce à travers une communication gestuelle au cours du mouvement, qui nous fait vivre et, pour certains, revivre l’événement…
C’est dans une atmosphère délicieusement conviviale et une ambiance pour le moins chaleureuse, avec un public bon enfant, qu’il conjugue les genres avec un réel don de la nuance et des contrastes. Entre burlesque et poésie, les quelques douces tonalités musicales de « Fadéla Dziriya » instillées en début de spectacle, laissent rapidement place à la magie d’un narrateur nostalgique, greffée à une pointe d’ironie parfaitement maîtrisée- les scènes sont mémorables - la scénographie, sublime tant par la beauté du verbe que par la pureté du style, déployant une ribambelle d’exquises trouvailles scéniques qui se renouvellent à chaque acte. On sourit, on rêve, on vibre mais on peut aussi pleurer (un pays) au rythme d'une mise en scène brillante où la mélancolie prends souvent le dessus sur le l’auto- dérision…
Cette manifestation -qui a connue un franc succès et qui a été très longuement ovationnée à la fin du spectacle- se présente comme un surprenant vivier de créateurs d’origine algérienne, d’expression française notamment, qui offre un grand plaisir d’écoute de cette langue inventive, d’une étonnante fraîcheur d’avoir été chérie là-bas par des écrivains qui en cultivaient intensément les sortilèges sans nourrir la haine…
Cette pièce de théâtre est une parole littéraire de l’urgence, nuancée et humaine que tous les discours politiques ou médiatiques sur l’Algérie ne peuvent traduire, elle peut interroger un large public, en même temps qu’elle s’adresse à une communauté à la recherche de son futur, qui revisite ses liens intimes avec son pays d’origine et s’inscrit dans son désir de l’universel… C’est plus qu’un balcon, c’est une véritable fenêtre sur les cultures de l’autre rive de la méditerranée.
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Par Sara ZIDANE Correspondante permanente à Genève Suisse
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