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Avant qu’Alger tombât sous la domination turque, son territoire,
occupé tour à tour par cinq nations différentes, faisait partie
de ces vastes contrées désignées, depuis Jules-César, sous le
nom de Mauritanie. Il n’est devenu un État distinct qu’à partir
du XVIe siècle, et, pendant cette longue période, il a été sans
cesse remanié, divisé, rattaché à des royaumes voisins. Chacune
des révolutions qui tourmentèrent ce pays est venue mêler des
races nouvelles à la race indigène ; chaque conquête a amené
avec elle une religion qui, devenue dominante, a supplanté la foi
des vaincus. Et cependant, en parcourant les annales si variées de
l’ancienne Afrique du Nord, on est frappé de retrouver toujours
dans sa population le caractère, les moeurs, les traits principaux
de ceux qui occupent encore aujourd’hui le sol, et de reconnaître
chez elle les descendants de ces populations berbères qui habitèrent
la Numidie longtemps avant l’ère chrétienne. Dans le rapide
coup d’oeil qu’on va jeter ici sur la fondation de la Régence d’Alger
et sur l’organisation de l’Odjak, on ne pourra perdre de vue
l’origine de ces belliqueuses peuplades que la mauvaise fortune
a toujours tenues sous le joug, en dépit des transformations successives de leur patrie.
Lorsqu’après les guerres puniques les Romains, maîtres de
Carthage, fondèrent des colonies sur la côte africaine depuis les
frontières de l’Égypte jusqu’à la région marocaine, ils élevèrent,
dit-on, sur l’emplacement actuel d’Alger la petite ville d’Icosium.
Elle dépendait de la province de Césarée, devenue depuis
Cherchell, et ne devait pas tarder à devenir aussi prospère que ses
voisines. Pendant plus de quatre siècles, elle demeura paisiblement
soumise aux Empereurs de Rome. Envahie par les Vandales,
devenus maîtres de l’Espagne, la Mauritanie césarienne fut,
de l’année 429 à l’année 533, le théâtre de leurs ravages, et sur
les belles cités qu’avaient fondées les Proconsuls s’étendirent la
main barbare et le génie dévastateur de Genséric. Puis ce furent
de nouveaux conquérants qui vinrent disputer aux Vandales cette
fertile contrée que Salluste avait autrefois gouvernée. Ces derniers
envahisseurs reculèrent à leur tour devant les guerriers de
Bélisaire. Icosium fut rattachée, jusqu’au milieu du VIIe siècle, à
l’Empire de Justinien, et fut, parmi toutes les villes de l’Afrique,
des premières à jouir des bienfaits de la civilisation byzantine.
A cette époque, apparaissaient déjà sur les frontières de
l’Égypte les immenses tribus d’Arabes qui, sous le règne d’Omar,
deuxième Kalife de l’islamisme, allaient bientôt faire irruption
dans l’Afrique septentrionale. Désormais ces régions qui font
face à l’Europe et qui comprennent toute la côte méditerranéenne,
de Tripoli jusqu’à Tanger, allaient recevoir de leurs nouveaux
maîtres la désignation vague de Magreb ; le pays de Carthage,
la Numidie, les deux Mauritanies césarienne et tingitane allaient
être confondus, par les héritiers du Prophète, sous la même désignation.
Seule l’Ifrikia ou province de Tunis pouvait rappeler
par son nom la domination d’autrefois ; ce n’est qu’un peu plus
tard que les navigateurs et les marchands chrétiens devaient faire
prévaloir, pour désigner toutes ces contrées, le mot de Berbérie,
puis Barbarie, qui rappelait les premiers indigènes.
Tous les progrès, tous les embellissements que l'Algérie
devait aux efforts successifs des Romains et des Grecs
allaient disparaître ; un ordre nouveau de faits, de croyances et
d’institutions allait s’implanter chez elle. Les Arabes avancèrent
de conquête en conquête jusqu’au delà des Pyrénées. Cependant,
tandis que l’Espagne passait en 710 sous le joug des Ommiades,
les Berbères du Magreb central se révoltaient,et les Gouverneursenvoyés par les Kalifes de Damas cédaient la place à des Cheiks vénérés par les habitants.
Ceux-ci, devenus les véritables souverains du pays, le partageaient en
plusieurs Principautés indépendantes, et fondaient ces dynasties qui,
sous les noms d’Édrissites, d’Aghlabites, de Fathimites, devaient
préserver l’Afrique de l’anarchie pendant quelques années encore.
Après eux le pouvoir passait jusqu’en 1250 entre les mains des
familles berbères des Zirites, des Almoravides et des Almohades;
les arabes, refoulés peu à peu vers leur pays natal,
devenaient impuissants à maîtriser les tribus révoltées, et, pendant
un siècle et demi, toute cette partie du Magreb allait encore
être troublée par les guerres incessantes de dynasties rivales.
Icosium avait changé de nom ; on l’appelait Aljezaïr, et l’historien
El-Bekri avait déjà vanté la beauté de son port, la douceur de son
climat, l’antiquité de ses monuments. Alors la contrée comprise
entre la province de Fez et la Tripolitaine formait cinq royaumes
distincts, dont les villes capitales étaient Tunis, Bougie, Tlemcen,
Tenez, Aljezaïr ou communément Alger. Tunis avait déjà
résisté à saint Louis, et, dans une paix relative, se livrait activement
au commerce avec les armateurs de Pise, de Gênes et de
Venise. Bougie, Tlemcen trafiquaient, comme leur rivale, dans
presque tous les ports de la Méditerranée et se disputaient entre
elles l’influence prépondérante ; Tenez guerroyait sans relâche
pour augmenter son territoire ; Alger, plus humble ou plus faible,
se contentait de rechercher la protection du plus fort, et prenait
plus de soin de son indépendance que de sa prospérité.
Survinrent l’expulsion des Arabes de la péninsule espagnole,
la chute du royaume de Grenade, le triomphe de Ferdinand
et d’Isabelle, et cette glorieuse expédition dirigée sur les côtes
d’Afrique par le cardinal Ximénès. Oran, Bougie étaient tombées en 1509 entre les mains de Pierre de Navarre. Presque toutes les
villes du Magreb, frappées d’épouvante en présence d’un ennemi
que rien ne semblait pouvoir arrêter, n’avaient pas attendu l’attaque
et s’étaient déclarées les vassales de l’Espagne, en s’engageant
à payer un tribut. De leur nombre était Alger. Mais ses
habitants étaient loin d’accepter de gaieté de coeur jusqu’à l’apparence même de la servitude chrétienne. Ils venaient de donner
asile à un grand nombre de Maures, qui avaient préféré l’exil à
l’abjuration de leur foi, et l’esprit de fraternité, si commun chez
les Musulmans, allait réunir ensemble pour défendre la même
cause réfugiés et indigènes. Ils avaient dû souffrir que les Espagnols
élevassent, sur une petite ile située vis-à-vis de leur cité, un
fort muni d’artillerie, et y missent garnison pour les tenir en bride
et surveiller leur marine; un tel joug ne pouvait durer. Auprès de
cette foule de gens à qui la liberté du brigandage pouvait seule
assurer des moyens d’existence, le premier aventurier venu pouvait
jouer avec succès le rôle d’un libérateur. Le héros barbaresque, si
désiré par eux, allait bientôt surgir et les venger à sa manière, en
fondant la République la plus étrange que l’histoire ait jamais connue.
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