La lettre de Michèle Audin à Nicolas Sarkozy
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Face à l'imposture, ses simagrées et ses mensonges, il suffit parfois d'être soi-même. De ne pas biaiser, de ne pas faire le malin, de ne pas jouer au plus fin. Tout simplement de rester fidèle. Fidèle à quelques principes, à certaines valeurs, à d'anciens repères. En voici un exemple, superbe de tranquille fermeté, qui, d'une simple lettre, démasque l'hypocrisie qui nous gouverne. Oui, l'hypocrisie de cette mise en scène politique qu'on nous impose plus souvent qu'à l'ordinaire lors du passage d'une année sur l'autre: rituels vœux télévisés qui supposent une nation soumise à la parole d'un seul, traditionnelles promotions dans l'ordre de la Légion d'honneur où se détectent colifichets courtisans et distinctions clientélistes, avalanche de cérémonies de vœux présidentiels dont l'origine remonte à nos âges non-démocratiques, monarchiques ou impériaux. Si l'actuel monarque, républicain d'apparence, autocrate d'essence, ne fait ici que prolonger l'héritage de ses prédécesseurs, il s'en empare avec tant de zèle, de gourmandise vorace et d'agitation narcissique, qu'il finit par nous réveiller de notre torpeur. Vraiment, la démocratie, ce serait donc cela, cette fiction?
Une fiction qu'une seule lettre, admirable de simple grandeur, vient de dévoiler. Elle émane d'une brillante mathématicienne et elle est adressée au président de la République. Elle m'a été transmise par son collègue Michel Broué, directeur de l'Institut Henri-Poincaré, par ailleurs président de la Société des amis de Mediapart.
Michèle Audin, la fille de Maurice Audin, un moudjahid anticolonialiste torturé et assassiné par l'armée française, en juin 1957, vient d'écrire une lettre au président Sarkozy dans laquelle elle lui signifie qu'elle refusait le grade de chevalier de la Légion d'honneur qu'il propose de lui décerner.
Elle lui reproche de n'avoir toujours pas répondu à la lettre envoyée par sa mère, Josette Audin, qui demandait à Nicolas Sarkozy de contribuer à faire la vérité sur la disparition de Maurice Audin.
"Cette distinction décernée par vous est incompatible avec cette non-réponse de votre part. Vous me voyez donc au regret de vous informer que je ne souhaite pas recevoir cette décoration", écrit-elle.
Maurice Audin est ce jeune et brillant mathématicien -photo ci-dessus- qui, militant du Parti communiste algérien, engagé dans le combat anticolonialiste, fut arrêté, torturé et assassiné par l'armée de Massu, en juin 1957. En dehors de ses tortionnaires, le dernier à le voir vivant fut Henri Alleg, son camarade de parti, arrêté et torturé lui aussi, qui réussit à survivre pour témoigner en écrivant La Question, aux Editions de Minuit.
Grâce à la mobilisation de ces personnalités, l'affaire Audin marquera un tournant dans la prise de conscience française sur la généralisation de la pratique de la torture en Algérie.
Le premier livre de l'historien Pierre Vidal-Naquet, fut, chez le même éditeur, L'affaire Audin, préfacé par Laurent Schwartz. Eminente figure de l'école française de mathématiques, ce dernier présida, fin 1957, le jury de la thèse de doctorat d'État de mathématiques de Maurice Audin, sur «les équations linéaires dans un espace vectoriel», soutenue in absentia.
"S'il est partisan, c'est seulement de la vérité", écrivait Laurent Schwartz dans sa préface au livre de Pierre Vidal-Naquet. Une vérité que la famille Audin réclame toujours et que nous réclamons tous avec elle, la justice ayant conclu par un non-lieu et son corps n'ayant jamais été retrouvé. Il suffit de le vouloir: les réponses sont là, dans les archives d'Etat, civiles et militaires. Et sans doute y trouvera-t-on la trace de ce lieutenant Charbonnier, déjà identifié par l'enquête de Vidal-Naquet pour le Comité Audin comme ayant été le tortionnaire du jeune mathématicien.
Lettre (ouverte) à Monsieur le Président de la République
La Question
, aux Editions de Minuit.
Le premier livre de l'historien Pierre Vidal-Naquet, dont la mémoire est évoquée ces jours-ci sur Mediapart à un autre propos qui n'est cependant pas sans rapport (c'est à
lire ici
), fut, chez le même éditeur,
L'affaire Audin
, préfacé par Laurent Schwartz. Eminente figure de l'école française de mathématiques, ce dernier présida, fin 1957, le jury de la thèse de doctorat d'État de mathématiques de Maurice Audin, sur
«les équations linéaires dans un espace vectoriel»
, soutenue in absentia. Grâce à la mobilisation de ces personnalités, l'affaire Audin marquera un tournant dans la prise de conscience française sur la généralisation de la pratique de la torture en Algérie.
"S'il est partisan, c'est seulement de la vérité", écrivait Laurent Schwartz dans sa préface au livre de Pierre Vidal-Naquet. Une vérité que la famille Audin réclame toujours et que nous réclamons tous avec elle, la justice ayant conclu par un non-lieu et son corps n'ayant jamais été retrouvé. Il suffit de le vouloir: les réponses sont là, dans les archives d'Etat, civiles et militaires. Et sans doute y trouvera-t-on la trace de ce lieutenant Charbonnier, déjà identifié par l'enquête de Vidal-Naquet pour le Comité Audin comme ayant été le tortionnaire du jeune mathématicien.
Pour prolonger:
- télécharger en PDF la lettre de Michèle Audin: http://www-irma.u-strasbg.fr/~maudin/President0901.pdf
- la note de Wikipédia sur Maurice Audin, plutôt bien faite
- le site de l'Association Maurice Audin
- un site consacré au sort d'Ibni Oumar Mahamat Saleh
- un billet de Michel Broué, en août dernier, sur son blog à Mediapart
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Place Maurice Audin à Alger
Place Maurice Audin, dans le 5eme arrondissement de Paris,
a été inaugurée par Bertrand Delanoë
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