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L’AUTRE 8 MAI 1945 – Aux origines de la guerre d’Algérie
Résumé du film :
Le 8 mai 1945 est une date clé pour l’histoire de France.
Chaque année, on célèbre la victoire sur l’Allemagne nazie. De l’autre côté de la Méditerranée en Algérie, ce jour de gloire est un jour de deuil. Dans la liesse de la victoire en 1945, des Algériens ont revendiqué leur volonté d’indépendance. Ils subiront durant plusieurs semaines une violente répression conduite par l’armée française. Elle fera des milliers de victimes.
Mais soixante ans plus tard, la répression du printemps 1945 en Algérie recèle encore de nombreuses zones d'ombres.
Yasmina Adi a retrouvé de nombreux documents inédits, des archives du gouvernement français et des services secrets anglais et américains. Elle est allée à la rencontre de ces hommes et ces femmes qui ont vécu et subi cette répression. Elle donne la parole aux témoins français, algériens, ainsi que le premier reporter arriver sur les lieux.
Cette enquête lève le voile sur les mécanismes et les conséquences de cette répression coloniale. Cet Autre 8 Mai 1945 est aux origines de la guerre d’Algérie.
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Interview de Yasmina Adi,
Réalisatrice de "L’AUTRE 8 MAI 1945 – Aux origines de la guerre d’Algérie"
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Mêlant archives françaises, anglaises américaines et témoignages des protagonistes français et algériens, Yasmina Adi lève le voile sur les mécanismes et les conséquences de la répression coloniale du 8 mai 1945 en Algérie. Elle répond à nos questions.
Pourquoi avoir choisi un tel sujet ?
Yasmina Adi :
C’est en plein débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005 que
m’est venue l’idée de ce documentaire. On discutait alors de
l’inclusion dans les manuels scolaires du "rôle positif de la présence
française en Afrique du Nord". Une éventualité qui a fait resurgir la
répression du 8 mai 1945. Une histoire absente de ces mêmes manuels
scolaires à laquelle j’avais été sensibilisée par les récits de mes
parents, originaires de la région de Constantine.
Comment s’est passée la réalisation d’un tel projet ?
Yasmina Adi : J’ai
tenu à mener une enquête à la fois sur le terrain et en m’appuyant sur
des documents inédits. En Algérie, j’ai réussi à retrouver 63 ans plus
tard des témoins de premier plan de ces événements dans la région de
Constantine, un très vaste département. Parmi ces acteurs majeurs :
Chawki Mostefaï, le créateur du drapeau algérien créé pour les
manifestations du 8 mai 1945, Aïssa Cheraga le porteur de drapeau de la
manifestation de Sétif ou Lahcene Bekhouche, Messaoud Merghem et
d’autres condamnés à mort en 1945 qui ne retrouveront finalement la
liberté qu’en 1962 lors de l’indépendance de l’Algérie. Parallèlement,
j’ai consulté en France les archives de police, du gouvernement général
en Algérie et en France, et le peu d’archives militaires accessibles.
Mais j’ai également enquêté en Algérie, en Angleterre et aux
Etats-Unis.
Pourquoi avoir cherché des documents américains et anglais ?
Yasmina Adi : A
l’heure où se créait l’Organisation des Nations Unies, les Anglais et
les Américains sont présents en Algérie depuis 1942. J’ai voulu
retrouver dans les archives des Alliés le compte-rendu de ces
événements. Ma rencontre avec Landrum Bolling, premier journaliste
étranger arrivé sur le terrain en mai 1945 m’a conforté dans ce choix.
A l’époque, ses échanges avec les services secrets anglais et
américains ont confirmé que ces forces ont été des témoins privilégiés
de la répression. Les documents que j’ai trouvés à Londres et à
Washington offrent un nouvel éclairage à cette page de l’histoire.
Comment interprétez-vous les déclarations du 27 avril 2008 de M. Bajolet, Ambassadeur de France en Algérie ?
Yasmina Adi : Le
prédécesseur de M. Bajolet, M. Colin de Verdière avait parlé en 2005 de
"tragédie inexcusable". Aujourd’hui, M. Bajolet parle d’"épouvantables
massacres", d’événements qui "ont fait insulte aux principes fondateurs
de la République française et marqué son histoire d'une tache
indélébile". Prononcés à l’Université du 8 mai 1945 à Guelma, ces
propos interviennent 5 mois après celui du président de la République
Nicolas Sarkozy à Constantine, qui avait parlé d’impardonnables fautes
et crimes du passé colonial français en Algérie. Au-delà de ces
déclarations, il convient d’aller plus loin pour que la cicatrice
laissée par cette répression puisse réellement se refermer. Cela veut
dire donner les moyens aux historiens de faire toute la lumière sur
cette page de l’histoire. Aujourd’hui, de nombreux désaccords
persistent, comme par exemple sur le bilan de cette répression.
Pourquoi est-il si difficile d’avoir un bilan précis de cette répression ?
Yasmina Adi :
En Algérie, on parle de 45 000 morts. Les historiens oscillent entre 6
000 et 25 000 morts et les autorités françaises reconnaissent
aujourd’hui 7 000 morts. Des deux côtés de la Méditerranée, ce bilan a
une valeur très symbolique : d’un côté, les traces d’une répression
coloniale que l’on aimerait cacher ; de l’autre, des massacres qui
symbolisent le début d’une volonté d’indépendance nationale. C’est
aussi pour éviter cette instrumentalisation des chiffres que j’ai
recherché les documents des services secrets alliés (anglais et
américains présents en Algérie). Leurs documents font notamment état
d’une enquête française jusqu’alors restée secrète.
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Revue de presse :
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L'AUTRE 8 MAI 1945
Jeudi 8 mai, fête de la Victoire. Les Alliés ont vaincu les nazis ce
jour-là en 1945. En Algérie, de l’autre côté du bassin méditerranéen si
cher à Sarkozy, qui demandait avec énergie en février 2005 que soit
inclus dans les programmes scolaires "le rôle positif de la présence
française en Afrique du Nord", c’est jour de deuil.
Alors que l’ONU balbutiante venait de proclamer le « droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes". Dans le Constantinois, des citadins
rejoignirent nombreux Ferhat Abbas, pharmacien à Sétif, sous la
bannière : "L’arabe est ma langue, l’Algérie mon pays, l’islam ma
religion". Dans les campagnes, Messali Hadj, avec son Parti du peuple
algérien, interdit depuis 1939, était le plus populaire. Mais à Paris,
de Gaukke, à la tête du gouvernement provisoire, lançait : "Il ne faut
pas que l’Afrique du Nord nous glisse entre les doigts pendant que nous
libérons l’Europe".
A Sétif, le 8 mai 1945. La ville est pavoisée. Le PPA a inventé un
drapeau qui servira de modèle pour celui de l’Algérie future. Les
militants le mêlent à ceux des Alliés et à des écriteaux : "Libérez
Messali Hadj !" Les autorités françaises voient rouge. A un carrefour,
une voiture de la brigade mobile de la police judiciaire fonce. Quatre
hommes armés en surgissent. Ils arrachent les drapeaux, tirent,
abattent un jeune porte-étendard devant le Café de France. La fusillade
éclate. Les manifestants s’enflamment et frappent tous les Français
qu’ils voient : au hasard, le maire de Sétif, un juge de paix, le
receveur des postes de Périgotville et son fils de 11 ans. C’est
l’embrasement : 21 Européens sont massacrés. A 13 heures, la police et
la gendarmerie ont repris le contrôle de la ville. Les émeutiers se
sont enfuis dans le djebel, emportant morts et blessés : c’est le récit
de la répression qui va suivre que nous raconte avec minutie Yasmina
Adi, elle-même issue de parents nés dans le Constantinois, dans un
documentaire minutieux (sur France 2 à 0h), étayé par de nombreux
témoins et des archives des services secrets anglais et américains, la
France ayant toujours manifesté quelques réticences sur ce sujet.
L’Etat annonçait à l’époque 102 morts européens, dont certains
sauvagement mutilés, et 1 500 Algériens tués. Officiellement, l’Algérie
parle aujourd’hui de 45 000. Les spécialistes, eux, restent divisés :
entre 15 000 et 30 000.
C’est le gouverneur Chataigneau qui décrète l’état de siège. Il donne
pleins pouvoirs au général Henri Martin, patron de l’armée en Afrique
du Nord pour "rétablir l’ordre d’urgence". La France coloniale ne
lésine pas : 40 000 soldats. Les villages "rebelles" sont bombardés. La
marine de guerre pilonne les côtes. Tire au jugé sur ceux qu’ils
nommaient "ratons", "pinsons" ou "merles", arrestations massives.
Certains demeurèrent 17 ans en prison jusqu’à l’indépendance de 1962,
et pas un mot alors dans la presse française : on ignorait tout. Le
premier journaliste à venir sur place "déterrer cette affaire que les
Français essayaient de cacher" fut un Américain, Landrum Bolling. Un
officier de renseignement anglais, écœuré, lui livre ses archives. Il
n’a qu’à recopier.
Après le 11 mai, alors que l’émeute a depuis longtemps cessé, la
répression se poursuit. A Guelma, le sous-préfet livre des camions
bourrés de prisonniers à une mitrailleuse de 24, en position au milieu
d’une route. Dans les gorges de Kerrata on en jette par grappes du haut
des ponts, attachés par des barbelés.
Il faudra attendre le 18 pour que les journaux français réalisent
enfin, provoquant la venue du ministre de l’Intérieur Adrien Tixier. A
Guelma, on brûle les corps des exécutés dans des fours à chaux pour
éliminer les preuves. Les massacres sont amnistiés au nom de la raison
d’Etat. Nos alliés, en cette pré-guerre froide, ne font aucun raffut :
il ne faut pas gêner la France. Et la général Duval, grand organisateur
sur place des tueries, écrit à son supérieur Martin : "Je vous ai donné
la paix pour dix ans. Si la France ne fait rien, tout recommencera en
pire." Gagné. A quelques mois près.
B.Th.
Voir la coupure de presse
Le Canard enchainé – 7 mai 2008
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Une implacable mécanique répressive
L’Autre 8 mai 1945. Aux origines de la guerre d’Algérie
confronte les récits de témoins français et algériens aux archives du
gouvernement français et des services secrets américains et
britanniques.
Peu à peu, les recherches et les revendications de vérité sur le
passé colonial soulèvent la chape de plomb qui s’est abattue sur les
événements de mai 1945 dans le Constantinois. Le documentaire de
Yasmina Adi, l’Autre 8 mai 1945. Aux origines de la guerre d’Algérie,
diffusé demain soir sur France 2, apporte une remarquable contribution
à ce mouvement.
La réalisatrice a sillonné le Constantinois pendant six mois et
recueilli les témoignages, d’une saisissante précision, de
manifestants, de militants nationalistes ou de simples villageois sur
lesquels s’est abattue une épouvantable répression à Sétif, mais aussi
à Guelma, où sévirent les milices civiles du sinistre sous-préfet
Achiary. À ces témoignages des Algériens ayant vécu les événements
répondent, fait inédit, ceux de Français d’Algérie qui relatent le
climat de peur que les autorités coloniales surent instaurer, avec
l’aide d’une presse prompte à relayer l’image « d’émeutiers barbares »,
pour justifier le recours à une violence impitoyable. Autre regard,
passionnant, celui du premier reporter ayant enquêté, à chaud, sur les
événements, l’Américain Landrum Bolling, alors correspondant de
l’agence ONA, à New York.
Les faits rapportés sont méthodiquement confrontés, recoupés avec
les archives du gouvernement français déclassées en 2005, mais surtout
avec celles des services secrets anglais et américains, qui projettent
sur ces événements, longtemps tenus sous silence, un éclairage nouveau.
Du coup de feu qui abattit le porteur du jeune drapeau algérien,
lors de la manifestation destinée à célébrer la victoire alliée, à la «
séance de soumission » à laquelle furent contraints d’assister 15 000
Algériens, hommes, femmes et enfants, sur la plage de Melbou, au terme
d’une marche harassante, le film retrace les étapes de l’embrasement et
dissèque le fonctionnement de la machine répressive que le pouvoir
colonial mit en place le 8 mai 1945. « Cette plongée au coeur de la
logique du système colonial permet de distinguer une répression
militaire dans la région de Sétif et une répression menée par des
civils dans la région de Guelma », expose la réalisatrice. Une
mécanique répressive que l’historien Pascal Blanchard explique par « la
volonté de mater un mouvement dont on craint qu’il enflamme toute
l’Algérie », « pivot » du système colonial français et possible «
caisse de résonance » pour le reste de l’empire. D’où, suggère le
documentaire, la mobilisation de troupes coloniales, tabors marocains
et tirailleurs sénégalais, une stratégie récurrente dans l’histoire de
la répression coloniale.
L’originalité de ce film tient aussi à la façon dont il inscrit
les événements dans un contexte international singulier. Au lendemain
immédiat de la victoire alliée, alors que s’esquissent seulement les
enjeux qui donneront naissance à la guerre froide, la question
coloniale, pas encore stratégique, est rejetée à l’arrière-plan. La
jeune ONU, pourtant, proclame le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes, un principe qui attisera l’aspiration des peuples
colonisés, acteurs, eux aussi, de la victoire sur le nazisme, à se
libérer du joug colonial.
Comme en témoignent les images de la liesse populaire que souleva,
dix-sept ans plus tard, la proclamation de l’indépendance algérienne,
c’est bien le prologue d’une guerre de libération longue et douloureuse
qui se joua, ce mois de mai 1945, à Sétif et Guelma.
Rosa Moussaoui
L'Humanité – 7 mai 2008
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ZAPPETISSANT
SELECTION PROGRAMMES PAR SOPHIE BOURDAIS
L’autre 8 mai 1945
On vous avait parlé de l’euphorie post-victoire en métropole ?
France 2 vous raconte la répression coloniale en Algérie. Un autre point de vue, plus noir, sur une même histoire.
Télérama n°3042 – Semaine du 3 au 9 mai 2008-05-01
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France 2 0.05 Documentaire
L’Autre 8 mai 1945
Aux origines de la guerre d’Algérie
T – Documentaire de Yasmina Adi (France 2008), 52 mn. Inédit
8
mai 1945. Tandis que la métropole fête dans la liesse la victoire
alliée sur l’Allemagne nazie, en Algérie se met en branle une féroce
répression contre la population. Goumiers, spahis, tirailleurs et
tabors enrôlés en Indochine, au Congo, à Madagascar ou en Afrique du
Nord… Les Indigènes ont constitué un quart des troupes françaises
engagées dans la Libération de l’Hexagone. Forts du tribut versé, de la
« fraternité d’armes » les Algériens, privés de droits sociaux,
juridiques et politiques, veulent croire à la reconnaissance de la
France. Partisans de Messali Hadj, de Ferhat Abbas se déploient dans
les rues d’Alger et de Sétif pour réclamer une équité de statuts, la
libération des militants nationalistes emprisonnés… Et, comble de
l’insupportable pour le grand colonat et les autorités politiques,
certains manifestants, minoritaire encore, vont jusqu’à brandir un
drapeau algérien. Il faut éviter la contamination. La police, l’armée
et des milices privées composées d’Européens ultras vont s’employer à
rétablir l’ordre colonial. Transfert des pouvoirs politiques aux
militaires, ratonnades, disparitions, bombardements des villages,
humiliations collectives, hameaux brûlés… neuf ans avant la Toussaint
54 se joue la répétition de la guerre d’Algérie.
Mêlant archives françaises, anglaises, américains,
témoignages des protagonistes français et algériens, et récit du
premier reporter arrivé sur place, le film permet avec clarté de
restaurer une autre mémoire du 8 Mai 1945.
Marie Cailletet
Télérama n°3042 – Semaine du 3 au 9 mai 2008-05-01
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L’Autre 8 mai 45
0,05> France 2. Documentaire de Yasmina Adi
(2007, F, 50 mn)
Dans la mémoire collective, le 8 mai 1945 est associé à des images de liesse populaire dans les rues de Paris. Il en est d’autres qu’on ne retrouve dans aucun manuel scolaire : le même jour, en Algérie, une manifestation d’indépendantistes à Sétif tourne à l’insurrection violente. La révolte gagne les villes voisines. La répression qui s’en suivra sera d’une brutalité extrême, faisant des milliers de morts chez les Algériens. En croisant les récits de témoins algériens et français, la réalisatrice Yasmina Adi montre comment l’armée française s’est livrée à un nettoyage en règle pour mater un mouvement qui aurait pu s’étendre à toute l’Algérie. Ponctué par l’analyse de l’historien Pascal Blanchard, le film présente cette déchirure irréparable entre les deux communautés comme le germe de la guerre d’Algérie, qui débuta neuf ans plus tard.
Diffusion : Samedi 13 Décembre 2008 à 22H00 Rediffusion : Vendredi 19 Décembre à 16h30, Samedi 20 Décembre à 14h, Dimanche 21 Décembre à 9h. |
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Les témoins du film :
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Historien
Pascal Blanchard
Historien chercheur au CNRS
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Témoin Américain
Landrum Bolling
Ancien Reporter de guerre pour l'agence de presse ONA à New York.
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Témoins Sétif
Aïssa Cheraga
Hamed Acid
Mohamed Chérif
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Témoins région de Sétif
Amrane Bedhouche
Hamed Boulzazen
Lahcene Bekhouche
Layachi Kherbache
Messaoud Merghem
Saïd Allik
Zorah Amokrane
Zorah Amokrani
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Témoins Guelma
Abdallah Yales
Abdelmajid Chiheb
Saci Benhamla
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Témoins région de Guelma
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Témoin Alger
Dr Chawki Mostefaï
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Témoins Français
Henriette Pitoun
Roger Denier
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