Pour quels motifs on a donné à cette ville le nom d’Alger
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L’invasion arabe occasionna en Afrique, en Espagne, dans les Baléares et les autres pays environnants des changements étranges et considérables à tous les points de vue, notamment en ce qui concerne la religion et les mœurs.
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En Afrique et en Espagne, où cette invasion jeta les plus profondes racines, il n’y eut pas une ville, une bourgade, une montagne, une rivière, une fontaine, un arbre, une plante, qui ne perdit son nom usuel pour en recevoir un autre tout différent.
Cette peste (de changement de noms), porta un si grave préjudice aux
beaux-arts et principalement à la philosophie, à l’astrologie, à la
médecine professées par quelques Arabes, qui jusqu’à ce jour les
savants n’ont cessé de travailler pour nettoyer ces écuries d’Augias,
et encore ne sont-ils pas parvenus à écarter la quantité infinie de
noms et d’expressions arabes qui entachent les sciences et les arts. Je
cite ce fait parce que c’est ainsi que procédèrent les Arabes dès leur
arrivée à Iol Cesarea : ils enlevèrent à cette ville son nom antique
pour lui donner celui d’El-Djezaïr, qui veut dire l’Ile. Cette
dénomination ne provient pas de ce que cette ville est située en face
et un peu à l’ouest des îles Baléares, comme semble l’indiquer Léon
l’Africain, mais bien de ce que, dès le principe, elle a été établie
vis-à-vis et à proximité de la petite île dont nous avons déjà parlé,
qui se trouve distante de la côte d’une portée d’arbalète.
Donc, pour les Arabes, ce nom d’El-Djezaïr signifie la ville de l’Ile
(des îles). Mais comme il arrive fréquemment qu’on ne prononce jamais
les mots d’une langue étrangère sans en modifier l’accentuation, nous
autres chrétiens, nous avons, par suite d’une mauvaise prononciation,
altéré le nom arabe d’El-Djezaïr, qui est devenu Argel pour les
Espagnols, et Algieri pour les Italiens et les Français.
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Des différents souverains maures qui ont occupé Alger
Lorsque par suite de leur occupation les Arabes divisèrent l’Afrique et l’Espagne en plusieurs royaumes et commandements, Alger qui avait porté pendant si longtemps le titre de capitale, échut en partage aux rois de Tlemcen, dont elle reconnut la souveraineté jusqu’au jour où Abuferid (Abu Fehri), roi puissant de Tunis, s’empara de la ville de Bougie. Ce prince, qui avait rendu tributaire le roi de Tlemcen, partagea, au moment de sa mort, ses Etats entre ses trois fils ; le plus jeune, nommé Abd el-Aziz, reçut pour sa part un vaste territoire, et fit de la ville de Bougie la capitale de son royaume.
Peu après la mort de son père, Abd el-Aziz ayant déclaré la guerre au souverain de Tlemcen, fit de continuelles excursions sur divers points du territoire de ce royaume et particulièrement du côté d’Alger, qui n’est éloigné de Bougie que d’environ 120 milles d’Italie, soit 30 lieues. Les habitants de cette ville se voyant mal défendus par le roi de Tlemcen, vinrent faire leur soumission à Abd el-Aziz, lui payèrent un tribut, et par ce fait, se rendirent à peu près indépendants, vivant en quelque sorte sous forme de république. Cet état de choses se maintint jusqu’en l’année 1509, époque à laquelle le comte Pedro Navarro, agissant au nom du roi d’Espagne, enleva aux Maures les villes d’Oran et de Bougie.
Les habitants d’Alger, craignant de voir apparaître sous leurs murs ce conquérant qui, dans sa course victorieuse, avait déjà assiégé et détruit plusieurs villes du littoral barbaresque, résolurent, d’un commun accord, de se mettre sous la protection du chef puissant des Arabes de la Mitidja, vaste contrée avoisinant leur ville. Ce cheikh, nommé Selim El-Eutemi, se chargea, en effet, de les défendre ; il les protégea d’une manière efficace, pendant plusieurs années, jusqu’au jour où les Turcs se rendirent traîtreusement maîtres d’Alger en s’en emparant de la manière que nous allons exposer.
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Comment Alger tomba au pouvoir des Turcs
Depuis longtemps déjà, les habitants d’Alger s’étaient adonnés aux
courses sur mer avec quelques navires à rames construits chez eux,
volant, causant aux chrétiens le plus grand préjudice ; mais après la
conquête du royaume de Grenade effectuée par le Roi Catholique, en
l’année de N. S. 1492, ces actes de piraterie augmentèrent
considérablement par suite du passage en Barbarie d’un grand nombre de
Maures, nés et élevés en Espagne, se trouvaient, par leur connaissance
pratique des côtes de ce pays, et de celles des îles voisines de
Majorque, Minorque, Ivice, etc., dans les conditions les plus
favorables pour exercer sur ces divers points leur coupable industrie ;
c’est effectivement ce qu’ils firent.
Après que le comte Pedro Navarro, agissant au nom du Roi Catholique,
eut enlevé, ainsi que nous l’avons dit, la ville d’Oran aux Maures en
l’année 1509, ce souverain fit diriger une flotte puissante sur Alger
et sur Bougie dans l’intention de détruire ces deux villes et d’en
chasser tous les corsaires qui y trouvaient un abri. A cette nouvelle,
les habitants d’Alger, frappés de terreur, s’empressèrent de se
soumettre à l’obéissance du roi d’Espagne et conclurent avec lui un
traité de dix ans par lequel ils s’engageaient à lui payer chaque année
un tribut.
Mais comme la principale intention du Roi Catholique était d’empêcher la continuation de la piraterie des Algériens, il fit établir, soit de bon gré soit de force, sur l’île que nous avons dit si rapprochée de la ville d’Alger, un fort dans lequel il installa, sous les ordres d’un capitaine, une garnison de deux cents hommes, largement pourvus de vivres, d’artillerie et de munitions. Par ce moyen, les Algériens furent suffisamment empêchés de se livrer à la course sur mer, et à toute tentative de rébellion jusqu’à la mort de ce souverain qui eut lieu au mois de janvier 1516, à cette nouvelle, ils résolurent de profiter de cette circonstance pour se débarrasser du joug des chrétiens.
A cet effet, ils adressèrent des envoyés à Barberousse qui se trouvait alors à Giger (Djidjelli), ville de la côte située à 180 milles à l’est d’Alger, pour le supplier, au nom de cette bravoure et de cette expérience dans la guerre dont il avait donné tant de preuves, de vouloir bien venir au plus tôt avec ses galères et ses troupes turques les délivrer du pouvoir des chrétiens et de la vexation continuelle qu’ils subissaient par leur présence dans ce fort, s’engageant à le récompenser lui et ses soldats des efforts qu’ils tenteraient dans ce but. En entendant les propositions de ces émissaires, Barberousse fut extrêmement charmé de l’occasion qui lui était offerte de réaliser le désir qu’il caressait depuis longtemps de se rendre maître d’Alger, et d’un grand royaume en Berbérie. Il témoigna, donc, à ces Algériens la peine qu’il éprouvait de les voir si maltraités par les chrétiens, il leur exprima son plus vif désir de les délivrer de cette oppression, et les renvoya très satisfaits de cette réponse. Prenant immédiatement ses dispositions, il embarqua quelques jours après sur huit galères à destination d’Alger, la majeure partie de ses Turcs avec de l’artillerie et des munitions, et se dirigea lui-même vers cette ville par la route de terre avec le reste de ses troupes.
Dès son entrée dans cette place, Barberousse, désireux de montrer ses bonnes intentions envers la population, se mit aussitôt à canonner la forteresse de l’île (le Pénon), mais sans résultat appréciable à cause de la faiblesse de son artillerie. Comme son principal but était de se rendre maître d’Alger, il étrangla quelques jours après de ses propres mains dans un bain Selim el-Eutemi (Et-Teumi), chef des Arabes de la Mitidja, qui, ainsi que nous l’avons dit, commandait dans la ville, et l’avait reçu dans sa propre maison avec la plus grande courtoisie. Dès que ce meurtre fut accompli, les Turcs parcoururent les rues de la ville proclamant à grands cris «Barberousse souverain d’Alger». Les habitants saisis d’épouvante, n’osant faire aucune résistance, furent contraints de se soumettre au pouvoir de Barberousse, ainsi que nous le raconterons avec de plus amples détails dans l’histoire des Pachas ou Gouverneurs d’Alger. Cet événement eut lieu dans le courant du mois d’août 1516, et depuis cette époque, les Turcs, sans cesser d’occuper Alger, n’en ont pas moins étendu leur domination sur toute la Berbérie. Ils ont acquis, sur mer et sur terre, pour les entasser dans Alger, un si grand nombre de richesses, que si cette ville fut autrefois une capitale riche et puissante, on doit à plus forte raison la considérer aujourd’hui comme la plus célèbre et la plus renommée non seulement de la Berbérie, mais encore de toutes les villes, qui au Levant et à l’Occident, sont soumises à l’obéissance de la Turquie.
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