Ces Espagnols qui épousent l’Islam
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L’Espagne compterait 10.000 convertis espagnols à l’Islam. Ils travaillent à briser les préjugés sur leur religion.
Il existe 11 mosquées et 480 centres de culte dans toute l’Espagne.
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Dix mille. Ce serait le chiffre du nombre d’Espagnols de souche convertis à l’Islam ces cinq dernières années. Dans le lot, les communautés autonomes de Catalogne et d’Andalousie, par ailleurs les plus peuplées d’Espagne, prennent pour ainsi dire la tête du peloton, concentrant l’essentiel de ces nouveaux adeptes avec respectivement 3.000 et 3.500 convertis.
En tout et pour tout, l’Espagne ne compterait pas moins de 50.000 conversos, comme on les appellent les hispanophones. Ces statistiques, rapportées par le journal El Periodico de Catalunya et elles-mêmes basées sur les données communiquées par les dirigeants d’associations islamiques d’Espagne, en ont surpris plus d’un. Alimentant une vive polémique dès le premier jour de Ramadan, date de parution dudit article, mois sacré suivi par les quelque 1 million et demi de Musulmans que compte la péninsule ibérique. Poussant chacun, du citoyen ordinaire à l’homme politique en passant par l’acteur de la société civile, à s’interroger sur l’attrait de ces natifs d’un pays connu pour sa séculaire tradition catholique, envers la religion musulmane. Et ce au moment même où les médias locaux, soutenus pour certains par une droite conservatrice, laissent transparaître régulièrement dans leurs colonnes une prétendue tension entre les deux communautés religieuses.
C’est dire le lien trouble que celui des Espagnols à l’Islam. Une relation saccadée, faite d’amour, de déchirement, de rapprochement et de réconciliation. Une relation passionnelle, en fait. Une histoire façonnée par l’Histoire avec un grand H, ses remous et ses soubresauts, des croisades à la Reconquista en passant par la colonisation.
Chahada
Un peu à l’image d’un vieil arbre millénaire que l’on croyait mort et dont on observe avec étonnement les feuilles bourgeonner, plus de 6 siècles plus tard, l’Islam renaît en terre d’Espagne, prouvant que ces racines n’y ont jamais véritablement dépéri. «Il y a de plus en plus de connaissance de notre culture, de notre religion et de nos traditions, et ce grâce à l’ouverture de la communauté islamique en Espagne», explique ainsi à El Periodico de Catalunya, Riay Tatay, président de l’Union des Communautés Islamiques d’Espagne.
Cependant, la communauté musulmane actuelle et son million et demi d’âmes (contre 100.000 à peine voilà dix ans, et sans compter les clandestins) est en effet issue majoritairement de la vague d’immigration maghrébine, essentiellement marocaine (600.000 membres), appelée en renfort à l’aube des années 1990 par le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez Marquez pour répondre au besoin en main-d’œuvre de l’économie espagnole, alors en plein boom économique.
Ce sont eux qui font que l’islam est aujourd’hui le second culte au royaume de Juan Carlos et que l’Espagne est considéré comme le quatrième pays européen abritant la plus forte population musulmane.
Et c’est au contact de cette communauté ouvrière si l’on peut dire, traditionaliste dans sa majorité, que nombre d’Espagnols de souche ont décidé de changer de confession. Généralement en épousant une Maghrébine. A l’instar de Sharif, anciennement Raùl, 35ans, cuisinier: «Contrairement à certains de mes amis, qui ont prononcé la “chahada” (profession de foi) et changé de prénom juste pour faire taire leur belle-famille, j’ai voulu devenir véritablement musulman pour m’intégrer dans ma nouvelle communauté. J’ai appris l’arabe pour pouvoir lire le Coran, j’ai accepté de me faire circoncire , je fais ma prière et ramadan et dans quelques années, je projette d’aller en pèlerinage à la Mecque».
Soufisme
Mais, globalement, les nouveaux musulmans vivent leur adhésion à l’Islam de manière sereine, plus comme une philosophie de vie personnelle et sociale au quotidien, avec ses préceptes universels, intemporels et élémentaires.
Il en va ainsi d’Elena Avila. Cette jeune infirmière de 25 ans, de la communauté autonome d’Estrémadure, s’est convertie après avoir appris l’arabe, lu le Coran et apprécié cette religion pour son côté «épuré d’intermédiaire, altruiste, tolérant et humain». D’autres convertis sont davantage attirés par le soufisme, la branche mystique de l’Islam. Ils sont pour la plupart issus de classes sociales aisées (hommes d’affaires, industriels, médecins, ingénieurs, artistes, etc), d’une bourgeoise ibérique nantie, mollement anti-cléricale ou franchement athée, en quête d’une certaine spiritualité après son contentement matériel.
On retrouve ainsi une proportion non négligeable d’Espagnols dans les rangs des 60.000 adeptes de la tariqa Kadiria Boutchichia qui se rendent chaque année au Maroc en pèlerinage à Madagh, dans les environs de Berkane.
Représentation
Mais aujourd’hui, des voix s’élèvent parmi ces mêmes convertis pour protester contre la catégorisation et l’écartement de ces nouveaux Musulmans par le reste de la communauté islamique d’Espagne: «La production discursive sur l’islam est une préoccupation majeure. Nous sommes en présence d’une production soit élitiste traitant le plus souvent de la mystique musulmane, soit d’inspiration wahhabite avec un discours hors-contexte. Mais rien entre les deux qui puisse proposer une vision de l’islam pédagogique et surtout contextualisée dont auront besoin les jeunes générations (…)» déplore ainsi sur Saphirnews.com Yusuf Fernandez, directeur de Webislam.com.
Avant d’ajouter: «La trop grande ouverture de la gauche privilégiant le contact avec représentants musulmans ultra-conservateurs m’interroge. Le processus de représentation a par exemple totalement écarté les Espagnols musulmans convertis, pourtant très bien intégrés à la société et surtout capables de négocier face à l’Etat. La Commission Islamique d’Espagne (CIE) (organe reconnu par le gouvernement) est aujourd’hui composée essentiellement de personnes qui ont une vision de l’islam inféodée aux pays étrangers et surtout une vision non contextualisée de la pratique religieuse. La commission islamique n’a pas réellement».
Dans l’Espagne de 2008, ce sont même les conversos qui s’avèrent les plus fervents défenseurs des droits de la communauté musulmane. Montant au créneau pour réclamer davantage de mosquées (il existe 11 mosquées et 480 centres de culte dans toute l’Espagne), de professeurs d’éducation islamique (actuellement ils sont une quarantaine pour 120.000 élèves contre près de 30.000 enseignants de catholicisme), de subventions (le gouvernement verse environ 1 million d’euros aux 150 associations islamiques), et d’assistance religieuse aux prisonniers, aux malades et aux soldats de confession musulmane.
Ou encore que les contribuables musulmans soient autorisés à verser 0,7% de leur impôt sur le revenu au Conseil Islamique Espagnol, comme c’est accordé aux Chrétiens avec l’Eglise catholique.
Et ce conformément à la loi sur les libertés religieuses votée en 1980 et validée douze ans plus tard par les religions minoritaires.
A l’image de Yusuf Fernandez, initiateur du congrès du féminisme islamique à Barcelone, ces nouveaux fidèles sont déterminés à casser l’amalgame entre migration et religion, islam et arabité, musulmans modérés et radicaux. Décidés à briser les préjugés des Espagnols et des Occidentaux en général sur une religion faussement perçue comme intolérante, obscurantiste et belliqueuse.
Et aspirant, dans la lignée des acteurs de la movida post-franquiste, à enseigner aux générations montantes l’héritage d’Al Andalus et l’apport civilisationnel de l’Islam à la culture ibérique.
Ces mêmes jeunes qui ignorent pour beaucoup que le fondateur de Madrid n’était autre qu’un Maure, Mohammed 1er, Emir de Cordoue.
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Mouna Izddine
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