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Gémir, pleurer, prier est également lâche, fais énergiquement ta longue et lourde tâche, dans la voie où le sort a voulu t'appeler, puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler.
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A partir de l'année 1958, des cercles politico-militaires français, d'ici et de métropole, ont intensifié le processus de création des comités dits de salut public réunissant, en un seul giron intercommunautaire, des représentants jugés influents de la société civile des villes et villages d'Algérie en flammes, afin d'orienter les intentions du général De Gaulle et ce, à la veille de son retour au pouvoir. Le tout, pour la défense et promotion de « l'Algérie française » ! Des idées tout à fait décalées, nouvelles réalités galopantes dans le temps et l'espace. Ces cellules, convoquées en tant que collaboratrices et sycophantes, ont, en vérité, été imaginées dans le cadre d'une ténébreuse opération politico-militaire, reprise sentencieusement en « résurrection » ainsi formulée par le Général avant et après son investiture, à la hussarde, tête de l'Etat français, totalement désorienté par « les événements d'Algérie », fraîchement humilié par le peuple vietnamien et déconfit lors de la guerre du canal de Suez...
En fait, il s'agissait d'un assemblage d'une Algérie coloniale frileuse de papa, entouré d'indigènes veut-on obéissants, avec une armée française déshonorée et en mal de gloire. Une. D'où un Général histrion, survolté par ces braillards d'Algérois, larguant à toutes fins utiles :
« je...je vous ai compris » à l'intention d'un forum en brouhaha provoqué par les petites gens hagardes et manipulées, malgré elles, par des ultra coloniaux décidés, pour sauvegarder leurs gros intérêts, à instaurer le chaos. Un cri embrouillé et embrouillant. Du vrac ! Par ironie de l'histoire, mai 1958 fut également la date de jonction entre le destin du célèbre Général de France fondateur de la cinquième République française, aigri par les agissements de la quatrième enfantée dans les contradictions et séquelles post-pétainistes, avec celui d'une Algérie désormais renaissante pour d'autres destinées promues par l'Histoire. Celle-ci a, en effet, ses propres combinaisons inaccessibles. C'est ainsi ! Cependant, les montages de cette nature sont toujours précédés de tensions, en tous genres, d'impasses, et de motivations politiques revanchardes - comme celles du général De Gaulle à l'encontre de ladite République qu'il a fait dissoudre - et suivis inévitablement de douleurs humaines et ruptures dramatiques au sein d'une même communauté et intercommunautaire. Notre pays, pour sa part, les a assumés de bout en bout. Amèrement, mais majestueusement.
En face des réalités incontournables et ce, malgré sa politique «militaro-économicopacificatrice », convaincu par la force des choses et des événements prenant d'autres tournures inattendues, dont la transformation de certains comités de salut public en sections...OAS, il s'est déterminé à aller dans le sens de l'Histoire qui l'a malmené durement, par l'entremise d'une chienlit, aimait-il la désigner ainsi. Dix ans après, au mois ... de mai ! Par d'autres comités de salut public d'un autre genre et pour un objectif opposé à celui de mai 1958 : faire décamper le Général. « On l'a assez vu », semblait dire la génération des soixante-huitards, dirigée, elle aussi, par d'autres esprits revanchards. Décidément, l'Algérie a constitué tout le temps la terre de salut pour les naufragés de l'Histoire.
POUR LE SALUT DE LA NATION
Vers la mi-mai 1958, dans mon village, un commerçant de tissus scrutait plusieurs fois la manchette de la Dépêche de Constantine annonçant la dernière nouvelle : De Gaulle, De Gaulle...clame la foule à Alger ! Tout en sourire, il fit part de ses impressions à un de ses « amis ». Un habitué du café maure, jouxtant son magasin, lui appartenant également.
Le lendemain, il fut convoqué avec d'autres notables du patelin au siège de commandement du renseignement militaire français. L'objet de l'assignation est : exiger leur acceptation pure et simple d'être membres du comité du salut public. Leur mission : servir la « patrie » menacée de dangers. Comment ? Par la vigilance, le renseignement et de convaincre lesdits égarés ayant pris les armes contre la mère patrie, fellagas les désignaient-ils, pour qu'ils rejoignent leurs foyers. Or, il se trouve qu'il est le père d'un de ces « dévoyés ».
En fait, on lui a tendu un terrible piège. Il était conscient des tenants et aboutissants de cette machination. Certains ont accepté de collaborer, et d'autres ont pu convaincre leurs fils prédisposés, du reste, à faire le saut vers l'épouvantable compromission. Lui-même fils unique, et qu'en plus de nature indomptable, il ne pouvait le faire. Son fils, désormais responsable politico-militaire zonal, encore moins. Il n'imaginait pas, un seul instant, de se plier à cette horrible humiliation et le démontre, séance tenante, par son non-acclamation à la dite réquisition infamante. Il savait bien que ce geste signifierait son arrêt de mort. Honorablement. Des membres de la famille lui ont conseillé de fuir l'Algérie pour le Maroc. En vain ! Il fréquentait déjà les méandres d'un courage inouï. Il sentait déjà qu'il prenait le dernier tournant de sa vie. C'est ainsi !
Deux semaines après la constitution dudit comité, fin mai, il fut convoqué individuellement et passa toute une nuit face à ses interrogateurs. Là, le discours a totalement changé. Il est devenu franchement du vil chantage : il fut tenu comme premier responsable de la « désobéissance » de son fils. C'est comme si la lutte de libération nationale, de tout un pays, était une affaire relationnelle entre pères et fils. Une abjecte action relevant du gangstérisme. Un triste sort pour une armée se disant républicaine et de bon aloi. Un non-sens manifesté par un système colonial aux abois.
La nuit du 6 juillet 1958, une armada de militaires diversement habillés, - DOP = division opérationnelle de prévention UT = Unités paramilitaires de défense territoriale -, encerclent la maison. Tout en hurlant, ils frappèrent brutalement à la porte, envahissent les terrasses des maisons limitrophes, et le sommèrent d'aller l'ouvrir. Calmement, il s'exécuta. Après une fouille systématique de la maison composée de plusieurs pièces et d'un vaste jardin, ils lui demandent de s'habiller et de les suivre. Un homme habillé en tenue civile bleue se tenait au milieu de la cour et semblait avoir les poings liés ( ?). En vérité, un indicateur - un bleuité - qui avait pour mission de suivre de près tous les comportements des suspects et des assignés à résidence et ce, en étroite collaboration avec les membres du comité de salut public. Il demanda à boire à l'un des fils du maître des lieux, tout en le questionnant gentiment en arabe s'il avait vu son grand frère, âgé de 24 ans, ces derniers temps. L'enfant, âgé de 12 ans, apeuré, tout en l'abreuvant répondit non, et au lieu de dire depuis trois ans, comme convenu avec le père, dit trois mois par inadvertance.
Comme s'il s'agissait d'un scoop, le bleu fit appel à l'officier chargé de cette « grandiose » opération militaire et lui dit en français : « mon capitaine, le gosse dit que son frère aîné est revenu à la maison au cours de ces derniers trois mois seulement ». Alors un gros soldat, en pantalon kaki et veste de para, se précipita et mit le canon de son pistolet sur la tempe du garçon tout en le menaçant de tirer s'il ne dit pas la vérité. Le capitaine, bien habillé et moins enragé, affable, demanda gentiment au garçon révulsé de s'expliquer. Alors le père déjà escorté, manu militari, et visiblement écoeuré par l'interrogatoire subi par son enfant, dit, avec un calme sidéral, à l'officier : « C'est un bambin, il ne sait rien, laissez-le, c'est à moi qu'il faut le demander ».
En quittant le domicile, il demande à l'épouse éplorée si son second garçon plus âgé est là. Il avait peur qu'il soit appréhendé lui aussi. Puis, comme synchronisé, des hurlements de femmes et de pleurs d'enfants fusèrent de tous les coins du quartier. Plusieurs personnes furent arrêtées cette nuit-là dans tout le patelin. Toute la famille, en pleurs, lui courait derrière. Sa mère, âgée de plus de 70 ans, du haut de la terrasse de sa pièce, se frappait le visage, sanglotait, et criait sa douleur. Une scène émouvante ! Elle ne cessera de le pleurer, jusqu'à devenir aveugle deux années après...
Selon des témoins rescapés, il fut abominablement torturé au SAR (secteur d'amélioration rurale) transformé en « centre de transit » des détenus, puis traîné à même le sol caillouteux par une jeep, des jours et des jours, puis exécuté et enterré pendant la nuit dans une galerie creusée sur un monticule tout près du barrage du Ksob. Il est né un 29 juillet. Il est mort à l'age de 54 ans. En... juillet !
Cette nuit-là, probablement la veille du 14 juillet d'après des témoignages concordants, ils étaient au moins une quinzaine à subir le même sort. Tous ont refusé de se plier aux manigances des services coloniaux. Et tous ont opté pour souffrir le martyr et mourir dans le silence et la dignité, pour le salut de la nation. C'était des notables, de simples citoyens formant l'élite du village.
De ce triste 6 juillet 1958 jusqu'au 5 juillet 1962, aucune nouvelle n'a filtré sur leur disparition. Une terrible souffrance psychique méchamment entretenue. Périodiquement, les services psychologiques français laissent entendre qu'ils sont encore en vie et se trouveraient quelque part dans une prison tenue secrète. Un supplice en plus, pour des familles profondément traumatisées. Indélébile ! En 1960, année aussi de l'éclipse des comités de salut public devenant ...anti-gaulliens - on était à la veille des premières négociations algéro-françaises, et des coups de force des généraux félons - et remplacés par d'autres d'un autre genre, le troisième fils du commerçant de tissus, âgé de 14 ans, n'allant plus à l'école car il était constamment puni malgré ses brillants résultats d'études, et haineusement frappé par son instituteur et en même temps gardien d'unité territoriale (UT), accompagna sa mère au siège du 2ème bureau français dans l'espoir d'avoir des nouvelles du mari et père. D'après les dernières « rumeurs », il serait détenu au camp de Ksar E'tir dans la wilaya de Sétif. Le garçon expliqua, à l'officier les recevant, le motif de leur visite. Ce dernier, en état d'ivresse, répondit brutalement : « Eh ! Petit, ton fellaga de père n'est pas dans ma poche, allez donc le chercher ailleurs ». A ce jour, le fils dudit fellaga, qui est l'auteur de cet article, se souviendra toujours de la voix de cet ivrogne d'officier.
Aussi, et bien que les familles de ces disparus aient fait leur deuil qu'en novembre... 1979 lors de l'exhumation des dépouilles déchiquetées et leur inhumation bouleversante, en un seul linceul, au carré des martyrs de la ville de M'sila, leur souvenir revient chaque 6 juillet. Inexorablement ! Et à chaque fois, il est difficile de retenir ses larmes.
Est-ce possible ? Cette modeste contribution participe, un tant soit peu, à renforcer cette pédagogie mémorielle dépassionnant les états d'esprit du présent. En tout cas, nous l'espérons. Nous savons aussi, que ces controverses mémorielles ont encore de beaux jours devant elles, du simple fait que l'écriture de l'Histoire coloniale, en Algérie, exige un ensemble de jugements particuliers. Ils sont tellement cristallins mais, qu'en même temps, embrouillant et embrouillés car on n'a pas su, à ce jour, imaginer les mécanismes appropriés permettant d'établir un partenariat mémoriel. En effet, ce ne serait pas un édit politicien, ni de laisser le temps au temps comme on dit - une trouvaille facile et doublement arrangeante - car il est à double tranchant lui aussi, bien qu'il diffère momentanément les choses « fâcheuses », encore moins des documents et actes sélectifs qui établiront les véracités - jugements - historiques, mais bel et bien par des témoignages honnêtes des deux côtés et des manuels d'histoire ou tout serait intelligemment agencé. Rationnellement, et en toute objectivité et magnanimité.
A l'image d'une balance de justice représentant le symbole d'une probité multidimensionnelle d'une nation envers ses générations, sans pour autant diminuer d'un iota le poids des valeurs de l'Histoire. Ni leur perception à son encontre. En effet, ces générations aspirent à vivre leur époque dans le bonheur et les joies de la vie avec, toutefois, des mémoires non biaisées, camouflant les non dits, minimisant les actes gratuits attristants et comportements haineux. Ces derniers ne s'héritent pas pour les gens civilisés. Ils s'évacuent dans la compréhension mutuelle. Toute une bataille civilisatrice menée collectivement et courageusement. Sans complexe et de quelque nature que ce soit !
Le pardon demandé par un certain nombre de fils de harkis, entre autres, à leur pays d'origine, « qui n'ont rien à avoir dans la responsabilité de leurs pères » d'après les propres paroles de M. Sarkozy disculpant celles des pères militaro-colonialistes, est une leçon d'introspection de soi inégalable dans ce sens. Sublime ! Mais est-ce que c'est toujours les victimes innocentes, car leurs enfants le sont, faut-il le souligner, de faire le premier pas du repentir ?
A ce titre, la date du 5 Juillet est la fête de tous les Algériens et Algériennes, sans exception, d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs, aimant sincèrement le pays. Sans fioritures. Cette fois-ci, nous le fêtons avec une nouvelle chefferie de gouvernement, au plan interne, et dans une ambiance unioniste euro-méditerranéenne au plan externe. Celle-ci restera liée, d'une manière ou d'une autre, à l'aspect mémoriel commun. Des événements déterminants, à plus d'un titre, pour notre pays d'ici à avril 2009, et bien au delà.
En attendant, la majorité de la jeunesse algérienne ne s'intéresse nullement à ces remaniements car on l'a désabusée par des promesses non tenues, par des actes et paroles saugrenus et, ce qui est impardonnable, par une massification des immoralités, des exclusions et donc des déperditions, en tous genres, frappant de plein fouet une forte proportion de jeunes. Il est vrai aussi, qu'elle bénéficie d'un certain nombre de canaux pour y échapper à leur nasse.
Cependant, cette dernière reste impitoyable pour les démunis et les
déclassés. Ils sont de plus en plus nombreux à y tomber définitivement.
Une autre frange s'en échappe, tant mieux pour elle et le pays, mais
rencontre d'autres difficultés dans son parcours existentiel et, enfin,
une minorité qui, par son train de vie arrogant ostensible et rentier,
démoralise la patiente et la bonne volonté de l'ensemble. Le tout
n'aboutissant qu'à des impasses avec, cependant, chacun son cul de sac.
Assurément, et tôt ou tard, car les fantaisies et les politiques à la
devinette, conjuguées aux calculs populistes se dévoilant
lamentablement en queue de poisson... forcée, n'ont qu'une seule
destinée : la non bonne gouvernance et ses multiples impacts pervers.
Pour tous ! A ce titre, et d'après notre humble point de vue, les
générations d'aujourd'hui et de demain, partisanes ou non, gagneraient,
non pas seulement, à s'y intéresser de près à l'équitable répartition
des ressources dont les revenus hyrocarburiens, mais surtout de se
réapproprier, au quotidien, de deux énergies morales précieuses plus
que tout acquis physique. A savoir : L'état d'esprit novembriste
originel, appartenant à toutes les familles d'Algérie - et non à une
seule - comme l'étendard national. Et la confiance, d'un brave peuple
floué au lendemain du 5 Juillet 1962, par un ensemble d'énergumènes
sans foi citoyenne ni aloi légitimée - les marsiens entre autres -
ainsi que par ceux...d'après, monopolisateurs, pouvoir et histoire,
richesses et symboles de la nation et qui l'ont, en plus, asséchée de
son substrat revitalisant. Que des accaparements aux effets annihilant
tout effort de progrès humain durable. A l'image d'une eau d'urée
mouillant du sable ! Donc, un immense gouffre sociétal à combler par de
nouvelles énergies et moralités crédibilisant et d'exemplarité libérée
de toutes contraintes politicardes et dépendances rentières. En clair,
l'instauration d'un système de bonne gouvernance tant espéré par
l'imaginaire collectif intergénérationnel. Toute une culture de salut
public liée à la réconciliation, dans la diversité d'opinions, et le
contentement généralisé à tous les niveaux de la société. Existe-t-il
ce genre de volontés ?
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par Ali Brahimi
10-07-2008
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