Secrets de tortionnaires
.
La version erronée (?) du général Aussaresses
.
Revenons à la guerre d’Algérie et surtout à la bataille d’Alger. Vous n’avez pas tout dit dans votre livre Services spéciaux ?
- Peut-être bien.
La preuve : c’est en mars 2007 seulement que vous avez raconté les
circonstances exactes de la mort de Larbi Ben M’hidi. Pourquoi
avez-vous attendu tant de temps ?
- En réalité, c’est Florence Beaugé, la journaliste du Monde, qui a su
me convaincre de parler. Tant de rumeurs et d’histoires fausses
couraient sur cette mort mystérieuse qu’il fallait un jour dire comment
cela s’était réellement passé.
Alors, racontez-moi !
- Il faut d’abord dire qui était Ben M’Hidi. Il était, en tant que
patron du CCE (Comité de coordination et d’exécution du FLN),
I’organisateur des attentats à la bombe qui ensanglantaient Alger
depuis plusieurs mois. Il avait été arrêté sur dénonciation quelques
jours après deux terribles attentats dans le stade d’EI Biar. Deux
bombes avaient explosé presque simultanément en plein match de
football. Il y avait eu, je crois, une douzaine de morts et je ne sais
combien de blessés. L’arrestation de Ben M’Hidi est restée secrète
presque une semaine. Pendant ce temps, il a eu des entretiens prolongés
avec le colonel Marcel Bigeard, qui avait dans la tête de le retourner.
C’était un gros poisson et s’il se ralliait à nous, la situation à
Alger pourrait changer rapidement. Je ne sais pas ce qu’ils se sont
dit, mais il est évident que Bigeard n’a pas réussi à convaincre son
ennemi. Il le traitait pourtant avec tous les égards. C’est ainsi que,
le 3 mars 1957, le général Jacques Massu m’a fait venir dans son
bureau. Il y avait là le colonel Roger Trinquier, son chef
d’état-major. Nous avons discuté du sort de Ben M’Hidi et, finalement,
Massu m’a dit : «0ccupezvous-en, faites pour le mieux, je vous
couvrirai.» J’ai compris ce que cela voulait dire, mais aussi que...
Massu avait eu le feu vert du juge Bérard. Ce juge représentait le
cabinet du garde des Sceaux François Mitterrand auprès de l’état-major.
Sa ligne était reliée directement à celle de François Mitterrand et ils
se téléphonaient au moins une fois par jour. Mon bureau, à la
préfecture, était justement à côté de celui du juge. Lorsque, dans la
nuit, je suis allé chercher le prisonnier à El Biar, un peloton de
parachutistes du 3e RPC a rendu les honneurs. L’ordre venait de
Bigeard. Ben M’Hidi a compris aussitôt que son sort était joué.
Ce que vous dites là est déjà plus ou moins connu. Mais certains disent
qu’il a été torturé par vos hommes, puis fusillé. Et, quant à la thèse
officielle, on en est toujours au suicide.
- La réalité, c’est que l’ordre est venu de Paris.
De Paris, vous voulez dire, du ministère de la Justice ?
- Oui. On nous demandait de «laisser sa capsule de cyanure à Ben
M’Hidi.» Devant mon ahurissement, lorsqu’il m’a communiqué cet ordre,
le juge Bérard a insisté lourdement : «Mais oui, mais oui, tous les
grands chefs ont leur capsule de cyanure. Vous ne savez pas ça. Ils
l’avaient pour se supprimer s’ils tombent aux mains de l’ennemi.»
J’avais compris. Il fallait que Ben M’Hidi se supprime comme un grand
chef. Sauf qu’il était impossible de trouver une capsule de cyanure à
Alger. Il a donc fallu trouver l’autre chose pour «suicider» Ben
M’Hidi. Nous avons conduit le prisonnier sous bonne escorte - nous
craignions que le FLN n’organise une évasion - dans une ferme isolée.
Là, dans une pièce à l’écart de l’habitation, mes hommes ont accroché
une corde à un tuyau et placé un tabouret dessous. L’un d’eux a même
testé le gibet pour mesurer la résistance du tuyau. Il était solide.
Vers minuit, Ben M’Hidi est entré dans la pièce. Il a repoussé le
parachutiste qui voulait lui mettre un bandeau sur les yeux en disant
qu’il était un soldat. Le para lui a répondu que c’était un ordre. La
voix ferme, Ben M’Hidi a répliqué : «Je sais ce qu’est un ordre. Je
suis moi-même colonel de l’ALN.» Ce sont ses dernières paroles.
Finalement, Ben M’Hidi a accepté le bandeau sans broncher et nous lui
avons mis la corde au cou. C’est peut-être un signe du destin : la
première corde, celle qui avait été testée par un des parachutistes, a
cassé. Il a donc fallu s’y reprendre à deux fois pour exécuter ce chef
de l’ALN. J’ai fait immédiatement transporter son corps à l’hôpital
Saint-Eugène pour accréditer la thèse du suicide. J’ai prévenu Massu.
Il était bien deux heures du matin. Quant au juge Bérard, il avait déjà
sur son bureau mon rapport sur le suicide de Ben M’Hidi que j’avais
rédigé l’après-midi précédant l’opération. L’affaire en est restée là,
bien qu’un procureur ait voulu nous chercher des noises. Voilà ce qui
s’est vraiment passé. Je dois ajouter que la mort de Ben M’Hidi a porté
un coup terrible aux réseaux de l’ALN à Alger. (…)
.
.
17-07-2008
.
.
.
""Je voudrais être soumis à ces tortures, pour être sûr que cette chair misérable ne me trahisse pas. J'ai la hantise de voir se réaliser mon plus cher désir car, lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles. On oubliera toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer des places; ce sera la lutte pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà, des clans se forment. A Tunis, tout ne va pas pour le mieux; oui, j'aimerais mourir au combat avant la fin""
Larbi BEN M'HIDI – Février 1957. (Document inédit)
C'est par cet exergue, provenant d'un document inédit, par un grand moudjahid digne de foi; qui a été récemment édité.
.
.
..
Les commentaires récents