Le gaouri Maillot et nos pieux bachaghas
Par Mohamed Benchicou
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J’irai aujourd’hui sur la tombe d’Henri Maillot à
bord d’une mémoire estropiée et je déraperai sur une pensée émue pour
le procureur de Tiaret.
Je l’imagine quadragénaire épanoui, né
après l’indépendance, dans un de ces hameaux qui portent encore les
stigmates de l’humiliation coloniale, où les vieux retrouvent parfois
le goût du calvaire ancien dans la galette noire, un de ces hameaux
aujourd’hui désenclavés par la liberté et d’où il prit un jour le bus
pour le lycée puis pour l’université. Je l’imagine heureux de son
savoir, fier de ses certitudes et insouciant de ses ignorances, riche
de l’insolence des parvenus et dépouillé de curiosités sur le roman de
sa propre vie, le destin miraculé d’un gamin du Sersou promis au
servage sous l’occupant et devenu magistrat à Alger sous le drapeau de
son pays libéré. Je l’imagine obsédé par la pacotille, étranger à son
histoire et peut-être même à sa généalogie.
N’ayant jamais mis un
visage sur son libérateur ni donné un nom à sa mère, la liberté, je
l’imagine n’avoir jamais entendu parler de Djamila Boupacha ni d’Ourida
Meddad, mépriser autant les femmes que la galette noire, ignorer
l’existence d’Henri Maillot, d’ Alleg et d’Yveton et dédaigner autant
les « kouffar » qu’il répugne à visiter son hameau.
C’est du haut
de ses arrogances que l’ancien gamin du Sersou arraché au servage et
devenu magistrat sous le drapeau étoilé, eut à juger, un printemps de
l’année 2008, sa compatriote Habiba Kouidri, nouvellement convertie au
christianisme. Il fut ravi de ce que sa proie personnifiât ce qu’il
avait appris à mépriser le plus : les femmes et les « kouffar ». Et
cela lui inspira d’abord la raillerie grasse (« A l'église, on t'a fait
boire l'eau qui te mènera droit au paradis ? »), puis le cynisme :
trois ans de prison pour outrage à l’Islam !
Oui, j’aurai
aujourd’hui, sur le chemin qui mène à la tombe d’Henri Maillot, une
pensée émue pour le gamin du Sersou dépossédé de sa noblesse par ceux
qui ont mutilé notre histoire pour mieux la domestiquer. Il se croit
fils d’une épopée, il n’est que l’orphelin d’une légende algérienne
amputée de son humanisme, éclopé à jamais par la faute de ceux qui ont
estropié sa mémoire de sa complexité.
Aurait-il parodié l’Eglise
sous le fronton de la République s’il savait qu’un autre juge , comme
lui, condamnait il y a un demi-siècle, au tribunal de Paris, un autre
chrétien, l’abbé Davezies, pour avoir mis sa foi au service d’un
engagement spirituel et physique avec le FLN ? Aurait-il raillé la foi
de Habiba s’il savait que c’est, aussi, à cet homme d’église devenu «
chef des porteurs de valises » qu’il doit d’avoir été arraché au
servage dans sa vallée du Sersou ? Et qu’une foi en valant une autre,
celle de l’abbé lui a fait répondre au juge parisien : « A la violence
qui opprime et à celle qui libère, je choisis la seconde. »
Aurait-il
raillé la femme Habiba s’il savait, lui le magistrat arrogant, qu’il
n’est que l’enfant des adolescentes violées et des vierges insurgées,
le gamin libéré par le sang des jouvencelles et des nymphes poseuses de
bombes, de toutes ces pucelles, Hassiba, Djamila, Louisette et Ourida,
qui ont cédé leurs vies pour que germent enfin des torches dans sa nuit
des autres ?
Aurait-il parlé en vigile des ténèbres s’il savait le prix de sa propre lumière ?
Combien
sont-ils, comme notre magistrat, à avoir grandi à l’ombre des
faussaires de l’histoire, ceux qui l’ont mutilée pour mieux la
domestiquer, ceux qui l’ont amputée de ses messages ou ceux qui l’ont
estropié de sa complexité ? Et tout devient d’une si simple rhétorique
: le bien et le mal, le « kaffer » et le croyant, le mâle et la
femelle… « Toute histoire qui ne nourrit pas ou plus l’imaginaire, la
pensée et l’intelligence des hommes, se condamne à périr dans
l’obscurité et à laisser les hommes, tels des fantômes, orphelins de
leurs filiations. Quand les hommes n’y trouvent pas les signes qui
symbolisent leurs vies et les identifient comme citoyens de la cité,
ils versent et se soumettent à d’autres puissances, celles du Ciel et à
ses glaives. La menace est grande de passer d’une névrose de l’absence
à une névrose de l’incantation délétère », nous dit Benamar Médiène.
Voilà
que j’entends le juge de Tiaret suffoquer de colère à l’idée qu’on eut
pu outrager l’Islam en choisissant une autre religion ! Mais se
prévaloir de l’Islam n’est pas un gage de probité ! Le « kaffer » Henri
Maillot est mort pour l’indépendance de l’Algérie. Le pieux Bachagha
Boualem, qui l’a fait tuer, travaillait pour l’occupant français !
Relisons
la lettre de Maillot aux médias : il était plus radicalement
indépendantiste que ceux qui se revendiquaient de l’Islam, pas
seulement les Oulémas mais aussi ceux qui, comme Ferhat Abbas, se
réclamaient de cette école de pensée selon laquelle il valait mieux
lutter pour l'égalité et la dignité avec le peuple français que se
chercher artificiellement une patrie. A l’heure où s’implantait l'islam
réformateur des grands cheiks sans aucune trace, alors, d'une mentalité
insurrectionnelle, Henri Maillot prenait les armes contre l’armée
française. Il ne cherchait pas à retenir ce que la France avait de
meilleur. Il cherchait le meilleur dans l’indépendance.
C’était sa foi d’homme, de militant, de communiste.
Alors,
pour revenir à notre magistrat, comment ne pas plaindre l’éternité de
sa nuit et toute l’ampleur de son incompréhension ?
A quelques
mètres du tribunal de Tiaret, d’autres gamins du Sersou promis au
servage sous l’occupant le sont restés sous le drapeau du pays libéré.
Personne pour les libérer.
Ils s’appelaient Mustapha, Hocine, Khaled, Saad, Benaouda…Et on n’a pas de nouvelles du jeune Bouchadjra.
Ils
étaient partis sur une barque, de nuit, entre jeudi et vendredi, pour
fuir la vie perdue dans ces faubourgs miséreux de Tiaret, dans cette
cité Volani et dans ce Préfabriqué qui ressemblent à la prison, fuir
Biban-Mesbah, la ferme Djellouli Missoum et le lieudit Araar. Ils
étaient amis, peut-être parents…
L’histoire
retiendra que le jour du 4ème anniversaire de la réélection de
Bouteflika, on enterra ces onze garçons qui voulaient fuir le pays sur
une barque trop petite.
Biban Mesbah. A l’entrée du village, ils
écrivaient ces tags que la commune effaçait à chaque fois : « c’est ici
que s’arrête la vie ».
Pourquoi ?
Parce que la falsification de la mémoire ne bloque pas que le passé. Elle hypothèque surtout l’avenir.
S’il
savait comme Jacques Derrida, le philosophe disparu, l'enfant d'Alger
qui deviendra par la suite l'un des plus célèbres penseurs
contemporains, Derrida qui revendique de parler "comme Algérien devenu
français un moment donné", s’il savait porter un regard charnel et
émouvant sur l'Algérie, notre procureur aurait appris à distinguer
entre la foi et la religion. Mais il aurait surtout entendu battre le
cœur de Biban Mesbah.
« Nous aurions, me semble-t-il " contre
l'oubli ", un premier devoir : pensons d'abord aux victimes,
rendons-leur la voix qu'elles ont perdue. Mais un autre devoir, je le
crois, est indissociable du premier : en réparant l'injustice et en
sauvant la mémoire, il nous revient de faire œuvre critique, analytique
et politique. Nous n'accepterons plus de vivre dans un monde qui non
seulement tolère les violences illégales mais, viole la mémoire et
organise l'amnésie de ses forfaits. Notre témoignage critique doit
transformer l'espace public, le droit, la police, la politique de
l'archive, des médias et de la mémoire vive. »
Voilà
ce que je méditerai aujourd’hui, sur la tombe d’Henri Maillot, enfant
de Clos-Salembier, mort pour arracher d’autres enfants au servage, et
dont aucune rue ne porte le nom.
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M.B.
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LETTRE AUX MEDIAS par Henri Maillot
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Ce document portant en signature le nom de l’aspirant Henri Maillot a été envoyé aux rédactions des journaux parisiens. Il déclare notamment :
« L’écrivain français Jules Roy,colonel d’aviation,écrivait il y a quelques mois : si j’étais musulman,je serais du côté des fellagas. Je ne suis pas musulman,mais je suis Algérien,d’origine européenne.Je considère l’Algérie comme ma patrie.Je considère que je dois avoir à son égard les mêmes devoirs que tous ses fils.Au moment ou le peuple s’est élevé pour libérer son sol national du joug colonialiste,ma place est aux côtés de ceux qui ont engagé le combat libérateur.La presse colonialiste crie à la trahison,alors qu’elle publie et fait sien les appels séparatistes de Boyer-Bance.Elle criait aussi à la trahison lorsque,sous Vichy,les officiers français passaient à la résistance tandis qu’elle servait Hitler et le fascisme. En vérité,les traîtres à la France,ce sont ceux qui,pour servir leurs intérêts égoïstes dénaturent aux yeux des Algériens le vrai visage de la France et de son peuple aux traditions généreuses,révolutionnaires et anti-colonialistes.De plus,tous les hommes de progrès de France et du monde reconnaissent la légitimité et la justesse de nos revendications nationales. Le peuple algérien,longtemps bafoué,humilié,a pris résolument sa place dans le grand mouvement historique de libération des peuples coloniaux qui embrase l’Afrique et l’Asie. Sa victoire est certaine.Il ne s’agit pas,comme voudrait le faire croire les gros possédants de ce pays,d’un combat racial mais d’une lutte d’opprimés sans distinction d’origine contre leurs Oppresseurs et leurs valets sans distinction de race. Il ne s’agit pas d’un mouvement dirigé contre la France et les Français ni contre les travailleurs d’origine européenne ou israélite.Ceux-ci ont leur place dans le pays.Nous ne les confondons pas avec les oppresseurs de notre peuple .En accomplissant mon geste,en livrant aux combattants algériens des armes dont ils ont besoin pour le combat libérateur,des armes qui serviront exclusivement contre les forces militaires et policières et les collaborateurs,j’ai conscience d’avoir servi les intérêts de mon pays et de mon peuple,y compris ceux des travailleurs européens momentanément trompés. »
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H.M.
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A l’occasion de la commémoration du 52è anniversaire de la mort au champ d'honneur de l'aspirant Henri Maillot, le 5 juin 1956 à Djebel Derraga à El-Karimia, ex-Lamartine, (Wilaya 4 historique), mort pour l’indépendance de l’Algérie, l'association Henri Maillot-Fernand Yveton informe qu'une cérémonie de recueillement sur la tombe du chahid aura lieu Le jeudi 5 juin 2008 à partir de 10 heures Au cimetière chrétien de Diar-Essaâda (chemin Mohamed Gacem) El-Mouradia (Alger)
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Imposant recueillement sur la tombe d'Henri Maillot
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Des centaines de personnes se sont recueillies jeudi à Alger sur la tombe d'Henri Maillot pour commémorer le 52ème anniversaire de la mort, au maquis, du militant de la cause nationale. Henri Maillot a été tué le 5 juin 1956 dans une embuscade tendue par les supplétifs (harkis) de l'armée française, menés par le Bachagha Boualem, dans la région d'El Karimia (Chlef). A bord d'un camion chargé d'armes et de munitions, l'aspirant Maillot avait déserté, quelques mois plus tôt, l'armée française pour rejoindre les rangs de l'ALN (Armée de libération nationale) dans la wilaya IV. Comme chaque année, depuis le transfert en 1963 des ses cendres au cimetière chrétien de Diar es-Saâda, près de son quartier natal (Clos Salembier-El Madania), d'anciens maquisards, d'anciens condamnés à mort de citoyens et habitants du quartier, se sont rassemblées autour de Mme Yvette Maillot, sa sœur , pour rendre hommage à "l'enfant du Clos (Salembier)", mort les armes à la main pour que vive l'Algérie indépendante. Parmi les présents, Mustapha Saâdoune, ex-officier de l'ALN et dernier rescapé en vie du groupe Maillot, accroché en 1956 dans le maquis de la wilaya IV. Le vieux militant a tenu, à cette occasion, à associer au souvenir de Maillot celui de ses compagnons d'armes tombés avec lui au champ d'honneur, Zernat, Moussaoui, Hanoune, mais aussi Maurice Laban : "Nous nous devons honorer tous nos chouhada sans distinction", a-t-il dit, ajoutant qu'"il est honteux de faire de ces noms (les Algériens d'origine européenne ayant adhéré à la cause de l'indépendance) un tabou après la conquête de la souveraineté nationale". Pour sa part, le commandant Hassani de la wilaya IV historique a rappelé à l'assistance que "Mostefa Ben Boulaïd avait pour ami et adjoint le même Maurice Laban", avant de s'indigner des "tentatives d'occultation" de leurs sacrifices. Un habitant du quartier a préféré lire à l'assistance la lettre d'Henri Maillot adressée à la presse coloniale qu'il l'avait qualifié d'"aspirant félon" après sa désertion de l'armée française: "Je suis Algérien et comme tous les enfants de ce pays, j'ai répondu à l'appel de la mère patrie", avait-il répliqué, ajoutant : "J'ai conscience en donnant des armes à mes compatriotes que j'agis dans l'intérêt de mon peuple et de mon pays". "Par cette lettre qui a valeur de "testament", Henri Maillot a rejeté dans un même élan l'ordre colonial, tout en clamant son algérianité", a commenté un des voisins proches des Maillot pour qui "le sacrifice suprême d'Henri se passe de toute polémique".
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