Guerre d’indépendance de l’Algérie
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Etudier
une période historique donnée par la photographie, c’est le choix
novateur fait par Marie Chominot pour sa thèse de doctorat en histoire,
sous la direction de Benjamin Stora, professeur à l’Institut national
des langues et civilisations orientales, qu’elle a soutenue mercredi
dernier.
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La photo est en effet encore une source inhabituelle dans l’univers de l’historien. La jeune chercheuse, qui a étudié « la photographie pour la guerre » et non « la photo de la guerre », a présenté le résultat de six ans d’investigations, de consultations, de collecte et d’analyse d’archives photographiques en France et en Algérie sous l’intitulé de « Guerre des images, guerre sans images ». Pratiques et usages de la photographie pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954 - 1962). Un travail salué par l’ensemble du jury présidé par Omar Carlier, professeur à l’université Paris VII, comme « un travail exceptionnel », « d’une très grande honnêteté », « rigoureux ». Dans un résumé succinct de sa thèse, — trois volumes dont un consacré à 1200 photos dont certaines sont inédites —Marie Chominot explique que « pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), conflit qui n’a pas officiellement le statut de guerre, les deux camps en présence incluent la photographie dans des stratégies de légitimation et de communication complexes, mettant en œuvre une véritable politique images…La photographie se trouve au cœur d’une vaste entreprise de maîtrise de la guerre : elle sert à faire la guerre (comme auxiliaire du renseignement), elle sert aussi à la dire ». « Dans le but de maîtriser le récit confié à l’opinion publique par les médias, l’armée a organisé une forme de monopole de production et de diffusion des images photographiques, s’efforçant de tarir à la source la réalisation de photographies par des journalistes civils, tout en alimentant régulièrement le système de diffusion médiatique qui se fait par conséquent le relais, consentant mais forcé, d’une vision univoque. » Directeur de thèse de Marie Chominot, l’historien Benjamin Stora a rappelé que 200 000 clichés ont été pris par l’armée française, représentant une « source considérable ». Sans compter les archives privées en France, mais aussi en Algérie, que Marie Chominot a pu consulter lors de deux séjours en Algérie et dont plusieurs sont inédites. Marie Chominot « a croisé de manière judicieuse des archives officielles, des archives dissidentes, marginales », a précisé son directeur de thèse. Relevant les différents intérêts du travail de Marie Chominot, Benjamin Stora a souligné que « cette thèse participe du renouvellement de la recherche sur cette période ». Elle a permis de « dévoiler cette guerre invisible et sans nom ». Et participe donc de « la reconnaissance de cette guerre ». Son deuxième intérêt est de montrer que l’image est source et objet de recherche historique, ajoute le professeur d’histoire. De son point de vue encore, le troisième intérêt réside dans le fait qu’un travail d’enquête a été mené en Algérie. « Ce travail permet de sortir d’un système de représentation hégémonique », « le détour par l’Algérie est essentiel ». Un autre intérêt est que le travail de Marie Chominot « montre pour la première fois comment la reproduction photographique par l’armée française alimentait les circuits médiatiques, intégrant ceux qui seront les précurseurs des journalistes embarqués ». « Cette façon de faire, novatrice, nous conduit à réfléchir sur l’actualité d’aujourd’hui. La guerre d’Algérie a inauguré une période, celle du contrôle des images mis en œuvre par les Etats », précise encore Benjamin Stora. Pour sa part, Abdelmadjid Merdaci, maître de conférences à l’université Mentouri de Constantine, a observé que cette thèse permettrait de réfléchir à des champs inexplorés en Algérie. Elle montre aussi « le caractère inégalitaire » du conflit tel qu’il apparaît à travers la production et la mise en circulation des images, « met en lumière ce que Marie Chominot appelle pragmatisme algérien, qui utilise des images de toutes origines pour organiser un système de confrontation à l’Etat français, au discours français », « redéfinit la nature du conflit du point de vue de ceux qui parlaient au nom du FLN », « la question de la multiplicité des acteurs et des territoires de cette guerre ». Selon l’universitaire algérien, « la société française a construit sa cécité, elle ne voit pas, ne veut pas voir, ne doit pas voir ». « Il est important aussi de dire comment le régime algérien a produit de l’amnésie sur cette période. » La thèse de Marie Chominot se compose de deux parties : des photographies dans l’Algérie en guerre ; des photos pour faire la guerre, des photos pour la dire. Et de sept chapitres : vers un monopole militaire ? l’infrastructure photographique de l’armée en Algérie ; la photo auxiliaire du renseignement ; en Algérie, conquérir les cœurs ou terroriser les esprits ; maîtriser le (s) récit (s) de la guerre ; dans le camp français une production hors des cadres ; le versant algérien de la « guerre des images ». Photographier au maquis ; une stratégie de visibilité maximale : témoigner, publier, communiquer ; faire feu de tout bois. La création des services spécialisés (photographie et cinéma) auprès du GPRA, les journalistes étrangers, collecter, archiver.
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Nadjia Bouzeghrane
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