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Livres : Mouvement national de Amar Belkhodja paraît chez Alpha
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Nous sommes dans un pays où l’espace de lecture se réduit d’année en année et où les lecteurs potentiels ont d’autres préoccupations qui les empêchent de penser à se ressourcer auprès de nos hommes et femmes de lettres. Belkhodja rapporte ces quelques propos de Mohamed Cherif Sahli qui nous met en garde contre les effets pernicieux de l’ignorance du passé : «L’oubli est pour un peuple ce que l’amnésie est pour un individu : une amputation de la personnalité».
Cette pensée de Sahli à caractère universel nous en rappelle d’autres, répandues dans le monde et qui sont l’évidence même. L’une d’elle nous dit qu’un peuple qui oublie son histoire est condamné à la refaire.
Cela signifie que tous les référents dont chacun a besoin pour se forger une vraie personnalité nationale sont contenus dans les évènements politiques, faits de guerre, acte héroïques, révolte qui ont marqué notre pays, depuis les origines. Les peuples jaloux de leur liberté et soucieux de sauvegarder leur identité eu ont toujours pris conscience.
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De la résistance armée aux partis politiques
Dans les moments les plus durs, les Algériens savent être ingénieux. Et à chaque situation, une stratégie adaptée. Dans un premier article publié en 1993, Belkhodja parle de moussebiline à travers l’histoire nationale. Il s’agit de volontaires de la mort qui, depuis les origines, ont donné leur vie pour combattre des envahisseurs.
Ces moussebiline, il y en a eu depuis la conquête romaine. Ils font partie des hommes et des femmes qui ont fait honneur à l’Algérie. Belkhodja cite les mousebiline d’Icheriden en 1857 et de 1954 ainsi que de ceux qui ont participé à l’assaut de Fort national, actuelle Larbaâ Nath Irathen, malgré le mur d’enceinte. Pendant toutes les guerres, le moussebel est quelqu’un qui a accepté de prendre tous les risques. «les moussebilines ont été, à travers l’histoire, la plus haute incarnation du patriotisme algérien (Sahli, «Décoloniser l’histoire»).
Au fil des générations de politiciens, nationalistes, les partis sous des sigles diverse PPA, MTLD, l’UDMA, FADRL (Fédération algérienne pour la défense et le respect de la liberté), l’Etoile nord africaine, celui des Oulemas, du parti communiste, MNA et dont les figures de proue furent Messali Hadj, Ferhat Abbas, ont été condamnés à s’unir pour former un front commun. Rien de positif ne pourrait se réaliser sans l’unité dans le combat libérateur. Il a fallu donc constituer un front commun sous l’égide d’un seul parti, le FLN et d’une seule armée l’ALN.
Les vrais combattants pour l’indépendance se sont sacrifiés en luttant par les armes ou le discours politique et en se plaçant au-dessus des divisions, ambitions personnelles, luttes intestines, esprit de leadership. «Le FLN n’appartient à personne, mais au peuple qui se bat» disait Abane Ramdane. Quant à l’OS, c’est une organisation secrète, chargée de préparer le déclenchement de la révolution armée.
L’union du peuple avait été une recommandation de tous les instants, de la part des vrais révolutionnaires, pour le triomphe des idéaux de novembre. Encore fallait-il que le peuple fût assez bien politisé et suffisamment mûr pour ne pas se laisser entraîner dans la division. Ben Badis disait : «un peuple qu’un tambourin réunit et qu’un policier disperse n’est pas un peuple.» (propos rapportés par Bel Khodja).
Cependant, les conditions de vie pendant la colonisation étant
insupportables au point de présager une insurrection armée. Un article
de presse date de 1995, est une reconstitution d’actes graves commis
par des gendarmes et policier dans les années quarante et cinquante,
sur des femmes sans défense. Ces hommes dits de loi pendant les
dernières décennies de la période coloniale, faisaient irruption dans
les bains maures de femmes et les domiciles, sous des prétextes
fallacieux. Femmes mariées, enceintes, jeunes filles en furent les
principales victimes. Elles avaient subi des actes innommables.
Pourtant, si les femmes algériennes de tous les temps n’avaient jamais
eu de lourdes charges familiales, ni subi de nombreuses injustices, y
compris de la part des leurs, elles auraient fait les meilleures Jeanne
d’Arc du monde. Fathma N’Soumer en a été un exemple digne de la plus
grande admiration. Belkodja nous rapporte le cas de «Messaouda, une
héroïne oubliée» qui, au cours d’une grande tragédie, brandit comme un
étendard sa ceinture qu’elle avait dénouée pour haranguer la foule et
l’appeler à l’affrontement. «Elle se lance dans la mêlée, mais se
laisse capturer, comme pour entraîner derrière elle les guerriers de
son camp. Le sacrifice suprême de la courageuse Messaouda amène les
assiégés à renverser la situation. L’épopée de Messaouda a longtemps
meublé la mémoire de sa tribu dont les poètes du Melhoum avaient
composé les plus beaux vers» rapporte un article de janvier 2001.
Message de l’historien
En réalité, ce titre attribué à l’œuvre de Mohamed Cherif Sahli inclut aussi quelques noms d’historiens de grande envergure. A la différence des historiens bien connus dans le monde ou qu’on peut imaginer, ceux de notre pays ont cette particularité d’avoir fait des études universitaire dans d’autres branches. On peut trouver un médecin ou mathématicien s’intéresser à l’histoire. Ils viennent à l’histoire par devoir national. Tel est le cas de Mohamed Cherif qui, d’après Amar Belkhodja, s’est joint à Moubarek El Mili, Tewfik El Madani et Ali El Hammani qui ont pris la charge d’écrire l’histoire nationale pour démentir les historiens de la colonisation.
Les livres d’histoire écrits par Mohamed Cherif Sahli sont porteurs de fortes connotations : «Décoloniser l’histoire», «Message de Yougourtha», «Abdelkader, le chevalier de la foi», «l’Emir Abdelkader, mythes français et réalités algériennes. Ses ouvrages vous racontent donc l’Algérie depuis les origines et dans toute sa diversité. Il s’agit là d’un travail de reconstitution de l’histoire mené avec beaucoup de rigueur par un intellectuel engagé.
Dans la catégorie des vrais historiens de l’envergure de Sahli, n’oublions pas de citer d’autres, intellectuels eux aussi, diplômés des grandes écoles qui avaient aussi cette qualité rare d’avoir été acteurs de la révolution et de l’histoire, comme Mostefa Lacheraf, Tewfik El Madani, Moubarak El Mili, A. Boumendjel et d’autres, plus nombreux qu’on ne pense et qu’on peut apprécier pour leurs qualités. Il faut les considérer comme des auteurs de référence.
Que de plaisir avons-nous à lire par exemple un livre de Lacheraf qui nous retrempe si bien dans le contexte national que vous n’avez plus envie d’en sortir tant vous apprenez beaucoup sur l’Algérie et les Algériens d’aujourd’hui et d’avant ! On éprouve le besoin de relire les écrits de Lacheraf pour être sûr d’avoir tout retenu. Il écrivait avec un esprit d’objectivité unique et une plume fine dans tous les sens du terme.
Parlant de Sahli, Belkhodja nous dit que «chacun de ses livres mérite une relecture et une présentation appropriée. Car en véritable chirurgien, il a débusqué les falsifications et confondu les théoriciens d colonialisme dont les thèses sont fondées sur le complexe de supériorité des peuples dits civilisés et de leur devoir de dominer les peuples dits arrières.»
El Mili est une autre figure emblématique de l’histoire de l’Algérie dont il a été aussi un acteur en tant que membre de l’association des Ulémas, rédacteur du journal Al Bassaïr, enseignant, conférencier.
El Mili a fait partie des intellectuels qui ont œuvré pour la sauvegarde de la personnalité algérienne aux côtés de El Hammami, Tewfik El Madani, Mohammed Cherif, Sahli, Mostefa Lacheraf. Très jeune, El Mili fut déjà l’auteur d’un ouvrage d’histoire en 2 tomes «Histoire de l’Algérie, passé et présent presque le même titre que l’ouvrage d’histoire «Algérie, Nation et société» de Mostefa Lacheraf.
L’association des Ulémas a été l’œuvre d’un autre artisan réformiste, adversaire de l’obscurantisme, Abdelhamid Ben Badis, formé à la Zitouna puis à El-Azghar.
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Les politiciens précurseurs de l’écroulement du colonialisme
Ils avaient la conviction que l’Algérie allait être indépendante. Il s’agit surtout de Messali Hadj, El Mili, Ferhat Abbas, nés tous les trois en 1898. Leur activité politique intense a fait l’effet d’un souffle nouveau qui donna naissance à des partis politiques, révoltes, mouvements de contestation. Ce qui a le plus étonné l’administration coloniale c’est que toutes les têtes pensantes des soulèvements ont fait l’école française. Ce fut le cas de Messali, Ferhat Abbas, Abane Ramdane.
Même des Français prirent position en faveur des Algériens en guerre, à l’exemple d’Emilie Busquant devenue la femme de Messali. Amar Benkhodja dit qu’«elle avait épousé l’homme politique et sa cause», d’abord sous le sigle de l’ENA, puis du PPA et du MNA. Cela avait valu au leader politique d’avoir été mainte fois emprisonné, depuis 1932.
La guerre de libération a pourtant été menée sans Messali Hadj pour des raisons d’incompatibilité politique entre lui et ceux qui avaient mis sur rails la machine révolutionnaire qui ne s’était pas arrêtée jusqu’au recouvrement de l’indépendance en 1962.
Lorsque le FLN et l’ALN avaient vu le jour, les messalistes avaient lancé le MNA, mais la division n’avait pas porté ses fruits parce qu’elle jouait le jeu des colonialistes.
Ferhat Abbas avait été intégré au FLN grâce à Abane Ramdane en 1956, ce dernier considérait que la Révolution était l’affaire de tous les Algériens qui adhéraient aux idéaux de novembre 1954.
Ferhat Abbas connu pour son niveau politique et son éloquence, avaient convaincu bien des politiciens français. Lorsqu’un jour il avait été chahuté- à l’assemblée française sous le prétexte que les députés ne voulaient pas entendre son discours, il répondit tout de go : «On vous a supporté pendant plus d’un siècle, vous n’êtes pas capable de me supporter pendant cinq minutes.
Et pendant la révolution, beaucoup d’anciens PPA, MTLD comme Saâd
Dahlab, sont venus renforcer le front de libération. Saâd Dahlab a été
l’un des négociateurs d’Evian aux côtés de Krim Belkacem. Parmi ceux
qui avaient compris que l’Union fait la force il y eut Frantz Fanon,
Antillais et médecin spécialiste de formation qui avait choisi
l’Algérie comme patrie.
Boumediene A.
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Amar Belkhodja : Mouvement national, des hommes et des repères,
Ed Alpha, 2008, 300 pages.
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10-05-2008
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