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Parle-nous comme tu savais si bien le faire ! Tu étais le seul à pouvoir nous parler et nous te comprenions. Enfin nous le pensions. Ceux qui étaient supposés le faire à ta place n’ont pas réussi à nous rallier à leur vision. Nous, qu’on appelait « hitistes » et présentement « harraga », on te ressemble un peu. N’as-tu pas quitté les bancs du lycée pour rejoindre le maquis ?
N’aviez-vous pas été, toi et tes compagnons, et pendant plus de sept longues années, des « harraga »... un peu comme nous ? Vous avez souvent, contre l’avis des grands, quitté le champ, le lycée et parfois même l’université pour briser le mur du silence. Vous vous sentiez étrangers dans votre propre pays; nous ressentons presque la même chose. On vous traitait de « renégats », de « poseurs de bombes » et de « fellagas ». Le contexte n’est plus le même nous diras-tu, mais l’injustice, le déni d’équité, le dénuement sont mieux acceptés quand ils viennent de l’autre... celui qui a toujours été « l’ennemi intime », mais quand cela vient des proches, nous n’avons comme alternative que la révolte ou le suicide collectif dans les abysses marines. Il y a quelques années de cela, le kif et la « harga »... ça ne se passait que chez nos voisins; nos responsables étaient fiers de nous; ils disaient même que notre jeunesse est « propre ». Malheureusement, ils n’ont pas assez fait pour la garder « au sec ». Leurs discours prometteurs et abstraits ont fini par la « mouiller ». Tous les dispositifs d’insertion des jeunes ont manqué de cohérence et de perspective durable. Le plus décevant a été le pré-emploi dans la fonction publique. Après une année renouvelable une seule fois, nous sommes mis à la porte; on nous offre la possibilité de nous réinscrire dans le dispositif du filet social. De statut de sans emploi, on nous offre celui de chômeur en quête d’une précaire planche de salut. C’est tout de même une évolution dans l’absurdité. Elaborés sans nous, tous les symposiums, recommandations et dispositifs en direction de la jeunesse ont été l’oeuvre de « vieux ». Après un long cheminement labyrinthique administratif, dans le cadre du micro-crédit et du crédit pour la petite entreprise, nous nous sommes retrouvés en face de dragons bancaires: apport personnel, garantie, etc. La durée la plus courte pour la création d’un petit projet a été celle de Sihem de Bordj El-Kiffan qui a mis 15 mois pour pouvoir avoir l’autorisation d’ouvrir son école de plongée sous-marine. Une aussi longue durée n’est pas faite pour encourager les volontés les plus pugnaces. Pendant tes deux campagnes électorales, nous t’avons soutenu, nous avons rempli les stades et grimpé aux arbres pour te voir, t’entendre et si possible te toucher. Tu nous parlais si bien, on te comprenait, tu ne lisais pas de discours... tu disais « ERFA’A RASEK YA BA ! ». Depuis ta maladie que nous avons vécue la peur au ventre et ton rétablissement « Oua lillahi el hamd », on te sent si loin de nous. Tu ne parles que dans les cérémonies officielles et en arabe classique... ou en français, on arrive difficilement à te comprendre. Tu sais bien que la plupart ont quitté prématurément l’école...ils ne comprennent ni l’arabe savant ni le français. Ils n’ont jamais été de bons élèves. Tu dois certainement te demander avec nous, pourquoi le nombre de « harraga » a suivi une courbe progressive comme celle du cours du pétrole. Nos compagnons d’infortune des pays voisins nous en veulent presque de vouloir envahir l’Espagne et la Sardaigne avec eux. Ils ne trouvent pas de raison logique à notre fugue. Les pays « hôtes » se posent la même question avec, cependant, le mépris en sus. Ils considèrent que nous sommes plus riches que les autres illégaux.
On nous accuse de tous les maux. Il est même suggéré de nous surveiller étroitement lorsque quelques uns d’entre nous réussissent dans l’investissement agricole. Les engrais que nous utilisons peuvent servir à la fabrication d’explosifs ?! Nous avions lancé quelques signaux de détresse qui n’ont malheureusement pas été interceptés à temps. Notre premier appel a été lancé quand on réclamait des visas à Chirac qui t’accompagnait à Bab El-Oued, on introduisait en ta présence un dossier éminemment politique; malheureusement, les têtes qui se disent pensantes n’ont rien compris comme toujours. Elles nous traitaient, ce jour-là, de nouveaux harkis. Bien sûr qu’on aime notre pays...c’est nous qui avons inventé « one, two, tree... », c’est encore nous qui nous drapions de l’emblème national. Nous chantons l’Algérie à la manière de Baaziz ou de Lotfi Double canon; ils sont pour nous ce qu’ont été Driassa ou Saïd Sayah pour vous. Pendant que nous n’étions encore qu’un peu plus de 300 candidats en 2005, on n’a pas fait attention à nous, jusqu’à ce que nos corps, en perdition, flottent sur l’eau. C’est à ce moment que notre cri de détresse devint audible. On s’intéresse à ceux que certains qualifient d’épiphénomènes qui sont, en fait, une véritable tragédie nationale et qui interpellent la société dans toute sa composante. On nous consacre une grande émission télévisuelle; l’effet obtenu fut à l’inverse de celui attendu. Le théâtre filmique du documentaire présenté dans l’émission fut le théâtre tragique de la disparition d’une dizaine de « harraga » presque en live. Le silence religieux qui devrait accompagner ce drame ne fut pas de mise. L’une des reporters interviewées sur le plateau a même avancé que « la harga est un phénomène de mode » pour certains ?! Alors qu’on terminait à peine d’enterrer le dernier des naufragés, au propre et au figuré, on rebalançait le soir même la même émission. Décidément, Ahmed, le jeune de Tiaret qui a tenté six fois la traversée, n’a pas réussi à convaincre. Il ne cherchait pas un travail, il cherchait décidément un fonds pour le faire « rouler » dit-il. Il ne faut surtout pas lui en vouloir, il n’a pas la culture du travail manuel, il a grandi avec l’économie de bazar et du trabendo. La vraie réponse a été donnée par son père, ancien de Sonatiba, qui sait plus que tout autre que la cause du désespoir est dans le débauchage de plus de deux mille ouvriers dans deux entreprises publiques. C’est quand même deux mille familles qui n’ont plus de revenus ou presque plus. Au bord des larmes, le jeune chômeur d’Oran, dont le père est invalidé par la maladie, avoue la tête basse que seule sa mère qui travaille, pourvoit aux besoins nutritionnels d’une couvée composée de dix membres. On lui demande quel est son niveau d’instruction, comme si on allait l’embaucher sur le champ. Et comme si un niveau d’instruction pouvait dire quelque chose quand des détenteurs de diplômes d’études supérieures subissent eux-mêmes les affres du désoeuvrement.
Le correspondant de la télévision en France n’a pas trouvé mieux que de montrer les antres où se cacheraient les « fauves » pour se dérober du regard de la Guardia ou des Carabinieri. Il en appelle au sens de l’honneur national et du patriotisme, etc., etc.; il ne ressent assurément pas ce que nous ressentons ! Quant au vieil émigré, apparemment en retraite, bénéficiant certainement de revenus en euros, il peut toujours gloser sur les conditions défavorables que vit l’émigration. Mais il ne nous dit pas pourquoi il n’est pas rentré définitivement au pays, lui qui n’a plus rien à faire là-bas ?
Et si on me posait la question : Que nous faut-il faire ?....je dirais simplement Sid Erraïs que la maison a été construite en fausse équerre, elle ne peut avoir, dans ce cas, que des travers. Rien n’est encore perdu si...
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par Farouk Zahi
Le Quotidien d'Oran du 24-a-08
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« Celui qui fait revivre une personne - lui redonner de l’espoir -, c’est comme s'il l’a fait pour toute l’humanité. Et que lui donner la mort, c’est comme s'il a fait périr tout le genre humain ».
Ces préceptes d’essence coranique, traduits de la sorte, dénotent de l’importance que la religion musulmane consacre au droit de vie de l’individu au sein de son milieu et, à partir de là, prescrit à l’ensemble des fidèles de préserver son intégrité morale et physique, dans n’importe quelle situation, et de contrer toute atteinte préjudiciable sur ce droit suprême tout au long de son parcours en ce bas monde.
Celui-ci, depuis la création, fut le grand théâtre à ciel ouvert aux innombrables actes génocidaires ; puis, à travers les ères, les pensées de sagesses humaines et ensuite les religions monothéistes sont apparues prônant, différemment, la pondération et la bonté divine au sein des peuplades les aidant progressivement à s’organiser sur de nouvelles bases existentielles, les propulsant ainsi vers d’autres raisons d’être accompagnées de renaissances et civilisations successives qui, paradoxalement, ont débuté elles aussi par des guerres atroces et se sont terminées de la même façon. Et ainsi de suite !
L’être humain est ainsi fait. Le mensonge multi facette notre péché originel et l’abominable tentation de vouloir tuer son prochain constituent un ensemble de tares s’incrustant dans le génotype humain depuis sa codification originelle, et, montrant ses nuisances en différentes manières. Elles sont si nombreuses, mais combien aussi futiles hier qu’aujourd’hui. Dans ce sens, le philosophe Marc Aurèle disait, à propos du pouvoir de domination par le mensonge et de séquestration du droit de vie et de la liberté de pensée d’autrui, ceci : « Que de la vanité, tout n’est que vanité ». Lui, l’empereur de Rome !
Nos sociétés actuelles, s’agglutinant dans les mégapoles se développant de plus en plus - d’ici quelques décennies plus de 80 % de la population mondiale habiteront les grandes villes ont annoncé certaines projections - sont envahies par tant de déceptions existentielles, que certains être humains endurent de moins en moins leurs aléas, dont la misère morale et ses multiples conséquences de déchéances. Le suicide sous toutes ses formes est parmi ses représentations, et, constitue pour les tempéraments ayant atteint un état de fragilité irréversible, l’ultime issue salutaire à leurs yeux. Je suis, ou/donc, je me tue ou alors m’automutile. Une terrible souffrance s’effectuant aux tréfonds de l’âme humaine avant l’acte fatidique. Une manière d’attirer l’attention et d’appeler au secours ! Une inhibition profonde, en plus des dispositions propres à l’individu qu’il soit citadin ou rural d’ailleurs, due en grande partie à la conjugaison des remous internes à ceux externes que vit une personne ainsi coincée, à un moment critique de sa vie, au sein d’une société qu’elle considère étouffante et aliénante. C’est le sujet de notre article.
Il s’agit de deux « petites histoires », des choses banales de la vie, aiment-ils désigner les cyniques, rapportées par le quotidien Echourrouk du jeudi 17/04/2008 dont nous avons corroboré les principaux faits. Elles se sont déroulées dans la même décennie qui poursuit actuellement son cours, et, dans la ville des ponts suspendus, à savoir Constantine. Elles restent d’actualité et méritent d’être rappelées, cristallisées à jamais dans notre mémoire collective obnubilée autrement par les immédiatetés vaniteuses de la vie. En vérité, ce sont deux immenses espoirs ensevelis, hélas, sous les décombres de l’incompréhension et de l’inattention. L’un rappelant la journée du savoir, tandis que l’autre celui de la condition de la femme de science également.
Le premier, concerne le parcours d’un chercheur en physique nucléaire qui, dès son jeune age, avait montré des capacités intellectuelles avérées. A 20 ans, il fut promu Ingénieur d’Etat en physique nucléaire à L’Ecole nationale polytechnique d’Alger, où il suscita l’attention d’un professeur américain qui l’encouragea à poursuivre ses études à l’université du Michigan aux USA. Ce qui fut fait. Au cours de son cursus, il impressionna ses professeurs et, après avoir obtenu le diplôme de doctorat en la matière, se hissa à leur rang, puis devenu éminent chercheur dans le domaine nucléaire à telle enseigne, que ladite université et les autres centres de recherches en bénéficiaient de ses apports dans ledit domaine. Même, des lauréats au prix Nobel de physique nucléaire furent parmi ses connaissances.
Après un bon bout de temps passé aux USA, il décida subitement de retourner au pays. Définitivement ! Que s’est-il donc passé dans sa tête ? Et quels étaient ses motifs ? Ses collègues, et les centres de recherche avec qui il collaborait, l’en dissuadèrent avec acharnement. En vain ! Alors, pour échapper à leur emprise, il fit appel à son père pour lui envoyer un télégramme avec un argument à la mesure de l’enjeu. Le message sitôt reçu et justifiant ainsi son retour, il prit l’envol vers le pays. La tête pleine d’ambitions et d’espoirs.
Après avoir passé son service national, puis ensuite occupé différentes fonctions liées à son domaine, il se retrouve après tant de déceptions et d’amers regrets - du simple fait que certainement son esprit était taraudé par des souvenirs liés à son ancienne condition aux USA - ballotté au gré des médiocrités et incompréhensibilités de son environnement dans son ensemble. Une terrible situation pour ceux qui ont connu ce genre d’impasse. Au fil du temps qui passe, il commence à dérailler puis s’isoler dans un mutisme complet malgré son dernier travail temporaire dans le domaine... forestier (?) ; il lisait beaucoup, de tout et du n’importe quoi. Des symptômes de profonds déchirements de la personnalité. Puis, ce fut le grand saut vertigineux vers le désespoir final. Le 16 Avril 2001, le jour du savoir, il se précipita corps et âme dans le ravin du Rhumel. L’antique Cirta s’en souviendra, pour bien longtemps, de ce douloureux événement coïncidant ainsi avec la célébration de la date de la mort du vénérable Cheikh Benbadis.
Comment est-il arrivé à ce choix terrible ? Qu’ont-ils donc fait à ce jeune savant pour qu’il lance cet horrible cri de détresse repris en écho par les gorges de la ville du rocher ?
Et de faire désintégrer ainsi, de cette manière, son énergie intellectuelle à peine âgée de 48 ans ? Une chose est sûre : l’ignorance et l’absurdité tuent, sinon aliènent toute énergie scientifique. Ce qui suit, en est la deuxième preuve édifiante.
Il s’agit d’une femme professeur en chirurgie dentaire. Le même parcours brillant avec, cependant, une autre destinée. Elle, aussi, a fait des études à l’Etranger. A Genève. Et elle, aussi, avait insistée pour retourner au pays malgré, également, l’insistance de l’instance scientifique où elle professait et pratiquait son savoir-faire apprécié par ses pairs, pour qu’elle reste à côté du lac Léman. Vainement !
L’ex-président de la République, M. Chadli Bendjedid, lui avait proposé le poste de ministre de la Santé. Elle aurait pu être la première dame à exercer une telle fonction dans l’Algérie post-indépendance. Elle refusa net en s’excusant, et, tout en justifiant son refus qu’elle serait plus utile dans la pratique purement scientifique. C’est comme ça qu’elle se voyait. Et c’est comme ça qu’elle remplissait sa charge dans l’abnégation et le dévouement après son retour au pays. Tous ses collaborateurs, élèves et patients en témoignent. La science pour elle, c’est de chercher et dire la vérité y compris à la gouverne des hautes instances de l’Etat et à leurs avatars mesquins. Par souci de rationalisme. Elle ne ratait aucune occasion pour le manifester.
Une femme de haute trempe, de fer, qualifiait-on. Puis, subitement, c’est la descente aux enfers. Elle commence à se parler à soi-même sans faire attention aux gens - mais que se disait-elle Seigneur ? - en face des vitrines des rues de la ville de Constantine, dans un français impeccable, ont remarqué ceux et celles qui la connaissaient et compatissaient, à juste raison, sur un tel aboutissement tragique.
Agée de 60 ans, devenue agressive envers les gens qui, bouleversés par cette image, ne réagissaient nullement à ses actes, elle a été finalement internée dernièrement dans l’asile des fous au lieu-dit « Djebel El-Ouahch ». Montagne voulant dire soit la nostalgie de quelque chose, le souvenir... ou bien encore du monstre, celle du sauvage. Dans tous les cas de figure, ce ne serait que des symboles édifiants dans tous les sens du lieu-dit ! Triste et horrible destin, pour une dame tellement admirable. Peut-être que elle aussi a été malmenée par son environnement socioprofessionnel et la médiocrité régnante en maîtresse dans les bastions du savoir, devenus des lieux de l’incurie et du désespoir pour les gens sérieux et honnêtes que certains mal intentionnés qualifient de non « audacieux ». Mais, Bon Dieu, dans quel sens ? Cependant, la question demeure posée : pourquoi ce saut vers le monde dit de la déraison ?
Il a été prouvé qu’à force d’être rationnel en face de l’absurde, justement, on convoque la déraison. A ce propos, un de mes vieux amis, disparu lui aussi, me disait : « Liyefhem bezaf imout bezaâf ». « Celui qui veut trop comprendre meurt dans l’irascibilité ». Nullement convaincu, bien évidemment, par sa réflexion démobilisatrice rappelant le temps de l’indigénat lié à l’assistanat coloniale, ainsi qu’à celles débiles et lâches du genre « khati rassi » - je ne suis pas concerné - de l’histoire ridicule du douar et la maison brûlée de Djeha, je répliquais à chaque fois à sa soi-disant maxime en lui disant : « ce n’est vrai que dans certaines sociétés ».
La nôtre dans son ensemble, justement, devrait s’en inquiéter pour le présent et surtout l’avenir de nos enfants, y compris les « aisés » en train d’étudier à l’étranger. Le rouleau compresseur de l’absurde en mouvement depuis longtemps est aveugle. Il ne faut pas s’y tromper sur sa froideur robotique, encore moins sous-estimer ses mécanismes en action permanente et envahissent tous les domaines de la vie nationale, notamment de développement humain.
Au milieu de cette semaine, un haut responsable gouvernemental a dit, crûment, que la reforme de l’Ecole n’a pas échouée, mais qu’il existe seulement des « déséquilibres », généralise-t-il. Donc, il y a là un motif réel de s’en inquiéter sérieusement d’autant plus que ce n’est nullement un aveu constructif, mais bel et bien un faux-fuyant à toutes fins utiles. En effet, ces dysfonctionnements sont connus depuis belle lurette et n’ont que trop duré. On ne cesse de les reconduire par des paroles et actes insensés. On dirait que notre système de gouvernement aime cumuler les difficultés, pour ensuite les « aplatir » en vrac. Une approche bien singulière qui ne fait qu’empirer les choses.
En fin de semaine, un autre responsable du secteur universitaire a présenté au gouvernement une nomenclature classifiant les chercheurs par niveau de grades. Alors que dans les pays qui consacrent à la recherche plus de 1 % de leur PIB - 1 % seulement depuis juste une année chez nous paraît-il - cet index est surtout lié au nombre de travaux et contributions utiles à leurs sociétés, d’une part, et, que d’autre part, autonomise en améliorant les conditions de travail et l’environnement des chercheurs ainsi que protège leurs intérêts dont moraux notamment.
A ce titre, les multiples maux que nous sommes en train d’endurer perdurent ainsi dans les méandres des solutions inadaptées. Cela va de la dépendance alimentaire, à la navigation à vue en termes de gouvernance déconnectée des réalités que vivent certaines strates sociales.
De toute façon, ce genre de dégradation morale, dont quelques exemples ont été décrits ci-dessus, est non seulement inquiétant mais bien plus. Il nous donne l’image d’une forêt broussailleuse, en termes de cumul de négligences et de malveillances entretenues par un système amblyope, menacée par la moindre étincelle qui, happée par un arbre qui la « cache », provoquerait l’immense incendie tant redouté dans le coeur des gens. Une fois pour toute !
Si hier, le célèbre auteur du fils du pauvre, Mouloud Feraoun, disait la même chose au sujet de l’injustice des hommes, générée par un système colonial abject, et, avilissant tout un peuple ; par contre aujourd’hui, ce sont les agissements arrogants des attentistes et des médiocres qui en seraient responsables. En plus de l’injustice ! Et ce, malgré tous les sursauts considérables effectués, depuis près d’un demi-siècle déjà, dans bon nombre de domaines de la vie nationale, notamment de développement socio-économique mais, malheureusement, peu sinon nul dans celui de l’éthique à tous les échelons dudit système. Un projet de société ne consacrant pas, en paroles intelligentes et perspicaces ainsi qu’en actes nets et conséquents, les domaines du savoir et de la compétence, et, qui ne peut bannir sans relâche l’incurie et la gabegie, est condamné non pas seulement à la déchéance à petit feu mais serait honni, vomi par les générations émergentes. Et par l’Histoire ! C’est là justement - il est utile que nous l’admettions tous - le véritable sens des sauts d’un savant en physique nucléaire s’écrasant dans un ravin, et d’une femme professeur émérite vers l’univers de la folie. Terrible, est cette époque que nous vivons. Celle de la misère morale se propageant tous azimuts, dans une ambiance d’inertie des centres de décision d’une part, et, d’autre part, de l’indifférence généralisée dont les medias dits lourds.
L’ENTV et autres radios régionales, en tant qu’observatoires de la vie nationale, et, si elles étaient bien inspirées honnêtement et serviraient, comme elles le prétendent, l’intérêt suprême de la nation, devraient sans hésiter élaborer des émissions traitant, à vif, ce genre de déchéances humaines - elles sont nombreuses - et dire que tout ne vas pas si mal, mais que tout n’est pas au beau fixe également.
En détails, quitte à laisser des « plumes d’or », mais au moins on sauvegarde sa conscience qui est tout un trésor inestimable. Un sublime acte d’honneur et de notabilité. Pour l’exemple.
La presse écrite, notamment indépendante, le fait un tant soit peu. Les dernières déclarations du ministre de l’Information, de par leur teneur, semblent aller vers plus de stimulus dans ce sens. Et c’est une bonne chose pour l’image du pays qui ambitionne d’adhérer à l’OMC.
Néanmoins, ces progrès restent encore insuffisants, partiels, précaires et surtout éclipsés par la routine et les banalisations entretenues du bas jusqu’au haut de l’échelle sociale. Une somnolence, certes droguée par les pesanteurs des choses de la vie, mais qu’en revanche serait imprévisible vis-à-vis de cette toxicomanie. A l’image de ces deux docteurs d’Etat désespérés, parmi d’autres, issus d’une même élite générationnelle en train de bâtir le pays et d’en souffrir mais n’osent pas encore, hélas, exécuter les envolées pertinentes la propulsant vers plus de cohésion intellectuelle et de solidarité culturelle pertinente et efficace. L’égocentrisme prédomine. Mais, jusqu’à quand ? Car l’arbre ne peut cacher indéfiniment une futaie mal entretenue, asséchée. Le risque, A Dieu ne plaise, ne serait que grand. Trop ! Et pour tout le monde. Enfin, cette contribution est dédiée à l’honorable professeure souffrante et esseulée dans le monde des vivants, tout en priant le Seigneur, Tout-Puissant, pour qu’Il l’assiste dans son calvaire, et à l’éminent physicien se trouvant dans celui de l’au-delà, lieu de repos éternel qu’il mérite, car Le Seigneur est Clément et Miséricordieux. Ainsi qu’à leurs familles et amis.
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par Ali Brahimi
Le Quotidien d'oran du 24--08
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Proverbe Minali (Bénin)
Si le corbeau n’était pas perché sur un arbre, la fable aurait été différente. S’il était en train de marcher, le renard l’aurait probablement mangé avec son fromage dans le bec, sans même avoir le temps de rire, sans avoir à le flatter. Il s’en est donc sorti à bon compte.
Au lieu d’évoquer les dangers de la flatterie, la morale de l’histoire nous aurait alors conseillé de nous méfier des renards, même à titre posthume, ou de vivre continuellement sur un arbre perchés en perdant à chaque rire un fromage, dont on ne sait trop d’où il sort. Mais, il ne s’agit là que d’une fable qui a bercé l’enfance d’une génération négativement colonisée et positivement dégoûtée des effets d’une indépendance mal assumée, d’une opulence mal gérée, un rêve suspendu au vol d’un oiseau blessé. En Algérie, des corbeaux se sont transformés en renards en une seule vie, ce qui a compliqué la fable et l’a rendue incompréhensible.
Incompréhensible en effet le sort d’une population qui a voulu faire de sa guerre un symbole de résistance aux piétinements de ses valeurs culturelles, une révolte contre la faim, l’extermination, l’exclusion, et qui s’est retrouvée prisonnière de sa pause prolongée, de ses propres flatteries, de la confiscation d’un destin qui aurait pu être autre. Une population qui a voulu rire en gardant son fromage au lieu de durablement lutter contre une pauvreté inexplicable, une misère qui avance comme un feu dans un champ de blé et qui brûle au passage les symboles de l’Etat, les symboles du blé et de l’indépendance. Incompréhensible la disponibilité des richesses à même le sol et qui n’arrivent plus à satisfaire les besoins d’une poignée d’hommes et de femmes semés sur un territoire grand comme ça, là où dès le début, une poignée de main aurait suffi à transformer le sable en oasis, la mer en garde-manger du futur, les hauts-plateaux en immense bergerie et le Tell en jardin verdoyant de mille et une variétés d’arbres fruitiers et de surfaces agricoles réellement utiles.
Incompréhensible la main tendue à des cerveaux fuyant leur corps social pour n’y avoir pu agir selon la normalité, celle tendue à des rescapés de la mer, jugés pour avoir osé s’embarquer sur des radeaux de fortune, attirés par plus de lumière, quittant un pays où son seul soleil suffit à éclairer les jours mais aussi les nuits. Incompréhensibles les 71% d’augmentation de la semoule, les 99% d’augmentation du prix de l’huile dans un pays où l’huile et la semoule constituent des aliments de base en cas de catastrophe, pendant que la terre sommeille par manque de bras solides pour la réveiller et lui faire dire combien elle a nourri de bouches ici et ailleurs. Incompréhensible la dépendance alimentaire envers les terres des autres et leurs bras et leurs ports, pendant que nos bras se sont ankylosés par l’unique mouvement que nous savons encore faire de la table vers la bouche et qui nous coûte quelque 2,5 milliards de dollars de subventions des produits de première nécessité par an, l’équivalent du budget annuel d’un pays africain. Mouvement qui nous coûte 4,5 milliards de dollars d’importation de produits alimentaires pendant que les portes de nos PME tremblent devant l’arrivée de chaque conteneur, pendant surtout que les renards continuent à chercher la ressemblance de notre ramage avec notre plumage, sachant qu’ils ont plumé le pays, poussant les jeunes à ramer de plus en plus vite. De plus en plus nombreux comme dans un négrier des temps anciens dans des conditions contraires à celles préconisées par les Droits de l’Homme.
Incompréhensible la chasse aux petits vendeurs à la sauvette, maillons faibles de la chaîne de distribution dans une mécanique qui échappe à la taxation en empruntant les chemins visibles à l’oeil nu de la corruption. Et le rejet des 100 locaux commerciaux par commune qu’on préfère incendier plutôt que de les voir attribués à qui de non-droit. Pendant que l’Etat continue à construire selon la théorie des 100 locaux émergeant des entrailles de la peur de voir s’embraser des villes et des villages.
Urgence, quand tu nous surprends en pleine agonie par asphyxie de notre démographie mal recensée qui aurait fait la joie des économistes sous d’autres cieux. Que pouvons-nous y faire ? On dit bien que la « liberté appartient aux hommes libres »; et à ce titre, 22 jeunes avaient déclaré la guerre à l’une des plus grandes puissances du monde pour nous libérer de la misère, de l’analphabétisme, de l’injustice sociale. A l’aide d’un couteau et d’un mousqueton mais à l’aide aussi de leur foi en un pays libre. Sans attendre la réponse de leurs chefs trop mous, trop loin, pour comprendre l’urgence. La guerre n’est que l’aboutissement de la rupture lorsque les derniers liens viennent à se rompre. Lorsque la haine occupe toute la place. Lorsque les mots ne servent plus qu’à faire rire les corbeaux, pour leur faire tomber un fromage. Il ne s’agit ni d’en faire l’apologie, ni de l’expliquer car elle demeure inexplicable par les seuls mots. La guerre divise même après sa fin.
Lorsque le gouvernement annonce des initiatives pour les harraga sur fond de révoltes incendiaires, n’est-ce pas là une légitimation de l’émigration clandestine qui a pris des dimensions suicidaires et un aveu d’impuissance devant cette bonne gouvernance que chantent les meddahs de la théorie ? Quitter le pays pour bénéficier du statut de cerveau fuyant ou de harrag pour bénéficier d’une aide de l’Etat, deviendrait-il donc le modèle à suivre devant l’aléatoire pendant que l’on ramasse des corps inertes flottant de désespoir ou gisant sur nos plages en pleine jeunesse ? Le lieu où se rencontrent haggar et harrag ? Pendant que les renards rodent sous les arbres et que les corbeaux attendent une flatterie de passage. « Je suis né pour rien », nous affirme un jeune mendiant dans un café maure.
Et d’ajouter: « Savent-ils seulement que nous existons ? ». Ils. Puis, essuyant ses larmes fausses ou vraies, il nous lance un proverbe arabe: « Que peut le mort face à son ghassal ? ». Mais comme dit un proverbe turc: « Le poisson pourrit par la tête ».
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par Ahmed Saïfi Benziane
Le Quotidien d'Oran du 24-4-08
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Il
ne s’agit pas d’un film, ni d’un quelconque best-seller. C’est en fait
un roman tragique dont la trame de fond n’est qu’une réalité terrible
et fatidique.
Un véritable drame. Les acteurs ne jouent pas de
rôles. Ils sont le rôle et le font en temps réel par leurs personnes,
leurs corps et leurs âmes.
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La scène est un vaste territoire aux
côtes généreuses. Le décor est planté de misère, de résignation et de
beaucoup de colère. Les gens qui y sont ne sont que des êtres frêles, à
la silhouette bon enfant, au sourire absent et à la gueule de métèque.
Pourtant, ils sont bien de chez nous, ils sont notre progéniture, le
produit de nos institutions. Le rêve qui nourrit les cavités creuses du
dénuement qui les encadre, par les 100 locaux, les aides, l’emploi des
jeunes, s’avère insuffisant et peu convaincant pour qu’ils se laissent
aller au gré d’un discours ou d’une promesse. Tous les scenarii de la
tragédie se trouvent scotchés dans le crâne de ces mômes, encore
supposés inconscients mais décidés à braver tous les dangers. Rien
n’est arrivé à faire disparaître l’angoisse de leurs tripes, ou freiner
l’élan aventuriste et meurtrier de prendre le large.
Ni
l’alcool, trop cher, ni le diluant moins enivrant. La notion du prix du
baril de pétrole demeure pour ces crânes une variante inconnue. Le
jerrican de mazout si. Ils le chérissent comme chérirait une maman son
bébé. C’est un élément de vie ou de mort, avec d’autres dans la
progression du voyage qu’ils comptent entreprendre au bout de l’autre
monde.
Ce monde qui se transmet par un truc parabolique accroché
aux fenêtres vous déracine de votre désoeuvrement quotidien, le temps
d’un reportage, d’un feuilleton ou d’un journal, pour vous guider vers
des rues bien agencées, du travail et de la joie de vivre. A tout ce
qu’offre la tentation venue d’ailleurs, de la fenêtre ou du ouïe-dire,
viennent s’ajouter encore les dures conditions d’ici, d’aujourd’hui.
Ces conditions où le chômage avec le logement et le mariage vont vous
permettre de penser à lever les voiles vers un horizon qui vous paraît
certain et meilleur.
Là, la tragédie commence par un air de
fête. D’une main l’on prend la décision de partir, de l’autre l’on
conserve comme dur, le rêve d’y arriver.
Journal de bord:
Un
vendredi comme tous les autres: Il fait nuit. Ma montre m’indique sans
top qu’il est 21 heures passées. Elle m’a coûtée une petite fortune
pour la simple raison qu’elle peut servir aussi, à l’aide d’une
aiguille phosphorescente destinée uniquement à m’indiquer le nord,
comme guide géographique. Genre de boussole m’avait dit le vendeur.
Notre projet, moi et mes amis, c’est de traverser cette mer sans pièces
d’identité, ni formalités régulières. Notre compagnie de transport
n’est pas agréée. Elle n’est pas reconnue comme telle, car ne disposant
pas d’unités suffisantes pour pouvoir en constituer une flotte
maritime. L’armateur donc, suite à un contrat de transport d’adhésion
et non négociable, passé en bonne et due forme, est seulement chargé de
mettre à notre disposition, sans aucune garantie de résultat, ni
commandant ou provisions de bord, ni avitaillement, ni compte d’escale;
une espèce de navire à même de naviguer contre vents et marées.
Je
dois, avant la narration de l’expédition, rappeler les phases
préparatoires du voyage. C’était pas chose facile. Il fallait trouver
le bon tuyau pour dénicher la bonne adresse. Si les succursales dans ce
type de prestations de services n’ont pas pignon sur rue, elles savent,
cependant, faire vendre à qui de droit leurs produits exotiques. Comme
un menu de vacances. Une fois donc trouvé le bon et utile voyagiste, le
contrat est conclu. Il a été scellé, bien entendu, avant la date de
départ. Il s’est accompli dans un endroit banal. Dans un café de la
ville. C’est une localité littorale, qui en haute saison draine des
centaines d’estivants et de touristes nationaux. Les étrangers, on ne
les voit pas. On ne les reconnaît même pas. Par contre s’ils
ressemblent aux gens que nous montrent les chaînes étrangères, on
dirait qu’on les entrecroise souvent, mais toujours escortés et bien
gardés. Ils sont en charge, nous dit-on de travailler pour nous, des
autoroutes, des stations de dessalement, et d’autres chantiers du genre.
Le
représentant de l’agence de voyages à qui nous avions affaire est un
citoyen d’un certain âge, très convaincant, serein et sait semer le
doute. Il insistait dans ses clauses sur des causes pouvant survenir en
dehors de sa volonté, les cas de force majeure, les tempêtes, les
cyclones, les tsunamis etc. mais savait aussi argumenter la
possibilité, voire la réussite complète de la croisière. C’est à lui
que revenait la fixation du jour et l’horaire de la mise en mer. Ceci
en fonction de quelques prévisions météorologiques et d’autres
indications astrales permettant une navigation sans soucis.
Le
clair de lune, ou la pleine lune serait le temps idéal pour ce genre de
loisir. L’éclairage lunaire faciliterait la circulation. Quant au
bâtiment, devant nous servir de moyen de transport naval, il était tout
aussi simple qu’une petite chaloupe. Une barque aux lamelles de bois
trempées, sans accastillage spécial, c’est-à-dire en termes marins
l’ensemble de petites pièces que l’on fixe sur une coque (filoirs,
chaumard, dame de nage...). S’espaçant à moins d’une dizaine de
personnes. Il y avait, en-dessous de ce qui allait nous tenir lieu de
bancs, des bacs aptes à loger nos différents bagages et outils de
voyage, en plus de bouts de toiles qui garnissaient salement le
plancher. L’équipement de sauvetage se résumait, eu égard à l’aisance
de la traversée en une ou deux bouées et une corde usée. L’essentiel
pour nous était ce moteur, cet engin de qui dépendra le couronnement de
notre chevauchée maritime. C’est pour son entretien que l’on a fait
prévoir plusieurs quantités de gasoil et quelques lubrifiants. Avec de
l’eau, ce carburant bien conditionné encombrait tout l’espace restant.
Dans
le contrat, il y était dit que l’armateur a la charge d’assurer une
formation adéquate à celui que nous lui désignons pour prendre les
leviers de commande de notre heureuse embarcation. En fait, c’était
simple comme instrument; une barre en guise de gouvernail que l’on
tourne et par laquelle l’on module à volonté la vitesse. Je ne dirais
pas grand-chose sur la contrepartie de l’objet du contrat. Le prix. En
tous cas, pour moi il formait toutes les sommes accumulées un temps
durant, dans la vente à la sauvette, le business de gauche à droite et
les quelques modiques billets que me prélevait ma mère sur le revenu
dont elle tirait profit à l’occasion des opérations de roulement du
couscous lors d’événements festifs ou mortuaires.
Revenons au
jour j. En cette soirée de vendredi, fin de week-end pour ceux qui sont
au labeur, l’endroit qui ressemble à une plage et qui nous fait guise
de port d’embarquement est silencieux et désert. Notre co-contractant
nous rassurait quant à toute intrusion ou mauvaise surprise de la part
de personnes ou de services indésirables en ce moment précis. Le ressac
de la mer se faisait entendre et brouillait cacophoniquement les
dernières recommandations à l’adresse de notre commandant-pilote.
Installés à bord du canoë ou ce qui lui s’apparentait on commence sans
le bruit du moteur, mais à l’aide de planches plates appelées avirons,
à frayer un chemin dans l’étendue aquatique sur laquelle maintenant
nous baignons. La joie d’avoir fait les premiers pas, sinon les
premières brasses envahissait nos cœurs sans qu’une petite crainte
d’être pris ou stoppés ne soit à relever sur nos visages
superficiellement humectés.
A peine sortis du demi-cercle que
constitue la baie, le bourdonnement du moteur tapote jusqu’à exploser
nos tympans. Nous appareillons sans voiles. L’odeur du combustible
brûlé se dissipe avec la buée qui débute à mettre des gouttelettes sur
nos faciès déjà aspergés. C’est au moment où mes compagnons semblent
dormir que je vois s’éloigner de moi les mauvais rivages et la lueur
parcellaire qui illuminait un peu plus tôt les contours de la bourgade
juchée sur la crête de la terre. Je suis en pleine mer.
L’attente
de me voir déambuler dans les grands boulevards et les magasins chic de
l’autre côté est vite brouillée par les larmes que j’entraperçois, par
intuition couler sans cesse des yeux de ma mère. Mon bonheur est
hypothéqué par l’abus de tendresse qu’elle me prodigue même étant à
plusieurs lieues du lieu natal. Toute une foule de souvenances viennent
me remplir l’esprit quand celui-ci s’affaire à arranger mon
installation une fois là-bas. Au loin. A l’autre rive. Ça doit être une
éternité depuis que nous voguions. Mettant le cap sur je ne sais quoi.
Le temps ne se compte plus. Ma montre n’est d’aucune utilité. Produit
de la contrefaçon, à la taïwan, elle ne me sert que de bracelet. Et
puis je m’en fous de quelle heure est-il. Je ne suis pas à un
rendez-vous près. Le sommeil alourdit mes paupières, mais mes cils
s’empêchent de se mettre les uns sur les autres. Je titube dans ma
place, je me recroqueville et me drape d’un morceau de toile que je
croyais imperméable. Encore je me sens cette fois-ci, épuisé par le
fardeau de la lassitude emmagasinée, à ce jour, et je tombe crois-je
dans les bras de Morphée. Là, je conçois qu’il me fallait apprendre les
langues étrangères. Je n’ai pu répondre à la charmante dame qui me
faisait un entretien d’embauche. Je n’acquiesçais que par des
hochements de tête. Tous mes regrets, en ce moment, vont vers mon école
primaire et mon collège, où l’on m’obligeait à faire éditer par le net
des copies toutes faites de mémoires. L’on parlait une langue, l’on
étudiait une autre. A moi qui n’arrivait même pas à exprimer, en une
phrase correcte un besoin d’emprunter un stylo à mon camarade de
derrière, l’on demandait de chercher, d’étudier et d’écrire un document
sur la biographie et l’oeuvre de Jean Sébastien Bach ou Alfred de
Musset avec un respect absolu des règles de la syntaxe et de la
concordance des temps. Foutaise cette école fondamentale et reformée!
Tout va vite. Mon appartement est un duplex, obtenu juste sur
présentation de fiche de paye cautionnée solidairement avec celle de
mon épouse. Ma femme une bonne petite blondinette de bon type
méditerranéen, d’un look très pointu. Parlant tout sauf ma langue et
mon dialecte. Elle est méticuleuse. Sa dot n’était qu’un accord en
sourire suite à un coup de foudre. Ses parents n’ont pas eu à m’exiger
deux moutons, tant de millions et une jarre de beurre salé. Juste un
bouquet de fleurs bien garni. Ma carte de crédit s’est mêlée à mon
permis à points, à ma carte vitale, à ma carte de fidélité de grandes
surfaces et je n’arrive point à savoir comment honorer les frais
d’entretien de mon nouveau cabriolet. C’est chiant finalement cette vie
de papiers, de cartes, de rdv précis, de visite médicale systématique.
C’est inhumain et impersonnel. Je ne peux grignoter en tous lieux ma
cigarette. Les interdictions et les défenses diffusent de partout et
l’amende exigible est au bout de la transgression. Ni le cousin, ni le
voisin ne peuvent intercéder en ta faveur.
La loi c’est la loi.
Mais c’est chiant ce foutu bled! Plein de lois et de règlements. Les
stationnements, les cages d’escaliers, les caisses, les guichets, la
poste, tout est réglementé. Sauf à la mosquée du coin, installée dans
un sous-sol d’immeuble où l’on peut faire ce que l’on veut. Je ne sais
pas pourquoi, l’adhan n’est pas audible. Il n’est qu’interne. A
l’intérieur de la mosquée. C’est pour ne pas déranger les autres, me
dit-on. Mais l’adhan, ne dérange personne! C’est la voix de Dieu, leur
dis-je. Ici le Dieu à plusieurs voix, s’il se met à les retransmettre
toutes, tu imagines... me rétorque-t-on.
C’est au moment où je
croyais entendre précisément cet adhan, que je me sens mordu à
l’estomac par un mal atroce. Une boule de je ne sais quoi veut en
sortir de force. Je me réveille tout en sueur aux cris de mes
compagnons. La barque chaloupe sous une forte agitation de l’eau qui
nous montait jusqu’au corps. La toile n’est plus utile. La peur gagne
tout l’équipage. La boule est sortie de mes entrailles tel un jet
dégoulinant et rapide et avec, tout ce que j’ai ingurgité la veille
comme aliments et pilule contre le mal de mer. Un craquement est
rapidement perçu qu’en quelques secondes l’espace est submergé par
toute la mer. Les flots ont fini par me faire chavirer le corps. Je
n’ai rien pour m’accrocher, tellement les cris, les pleurs et les voix
sont forts et imperceptibles. La situation effroyable me fait tout de
suite savoir que la mort est là.
La panique folle et
irrésistible me le confirme. Je me débats pour respirer à faire sortir
ma tête de cette flotte qui m’entoure de tous les côtés. Je ne sens ni
la mouille, ni le froid quand je vois des demi-têtes, des demi- bras,
des demi-corps dans le même état que le mien. Tout s’agite, se branle
et tourbillonne. Tout le monde, en forte catastrophe sentant là devant
soi l’apocalypse, s’essaye à s’amarrer alors au flanc de la barque. Un
tas de bois que le désespoir veut ériger en plateforme de secours ou en
borne d’ancrage. J’assiste à mon naufrage et mon corps sans liberté
d’action constate l’horreur du déchaînement de ce liquide pesant,
puissant et lacérant. Je coule, je sombre. Je meurs.
Je me vois,
derrière mon étal de revente de Marlboro, de cacahuètes grillées,
épiant la moindre apparition ou d’un client ou d’un policier venu
droitement pour m’y déloger. Je me vois en face de ma mère affairée à
la préparation d’un couscous, lors du mawlid, les bougies illuminant
dispersement notre habitation précaire. Je me vois, très loin dans le
temps dans l’action engendrée de me mêler aux émeutes quand il s’agit
de faire entendre les doléances des gens de ma ville. On brûlait la
mairie qui n’arrivait pas à nous offrir des postes d’emploi, on
saccageait la sonelgaz, qui nous surfacturait la consommation, on se
marrait en fait.
Dans tout ce brouillard, cette longue vie
j’entendis par flash entrecoupés quelqu’un, un officiel en compagnie
d’autres superbement habillés, lancer à la masse que nous étions: «Il
ne faut pas croire aux chimères des colporteurs des fausses idées.
Beaucoup de jeunes candidats à l’émigration clandestine s’imaginent
qu’ils vont épouser des étrangères, trouver facilement un travail
intéressant, venir chaque année passer des vacances au pays à bord d’un
véhicule flambant neuf et de l’argent plein les poches», je pense que
l’orateur n’est autre que le chef du gouvernement et nous sommes, l’on
dirait, en réunion dans une vaste salle, quelque part à Oran, en ce
jour du 18 avril 2008. Ma tête bouillonne de choses et d’autres. La
boule gastrique qui s’est pourtant dégagée se trouve toujours au niveau
de mon bas-ventre. Elle est plus grosse cette fois-ci. Elle à l’air de
n’être qu’un amas de liquide, d’eau de mer. Les nausées sont saumâtres
au travers de mon gosier. Je ne peux crier. Car j’aurais voulu répondre
au monsieur qui nous discourait. J’aurais aimé lui dire que la
candidature à l’émigration clandestine est plus facile que toute autre
candidature. Qu’elle provoque aussi, en cas d’échec, cette tentation
répétitive de vouloir refaire une autre candidature. Pour un second,
voire un troisième essai. On a besoin d’égard en permanence. Il ne
faudrait pas attendre que les pneus brûlent, les édifices se ravagent
ou nos corps s’ensevelissent sous le roulis marin pour constater notre
présence. Venir nous dialoguer ou enterrer nos dépouilles. Évitez-nous
monsieur ce dilemme ahurissant de: je brûle, donc je suis! J’allais
perpétrer d’autres diatribes, que les soins de l’infirmier me remettent
dans la réalité. Un jour pas comme les autres: c’est une fin
d’après-midi maladive. Je suis mal en point et j’ai mal partout. Mon
cœur s’est arrêté de battre. L’on me fait savoir que je suis secouru
par les gardes-côtes nationales. Mes amis ont péri.
La mer, la
veille s’est subitement déchaînée sans prévenir notre armateur. Elle
n’a pu avoir pitié de la détresse qui nous a amené à l’aimer pour
l’emprunter. Elle ne comprend plus elle aussi, autant que le monsieur
d’en-haut, les causes de ces départs impromptus et irréfléchis. Je
conçois que je reviens d’un autre monde, pas celui dont mes rêves m’ont
en fait le tour. Je renais comme une épave, échouant sur une côte par
infortune. La mer aux griffes féroces n’a pu être ma dernière
sépulture. Ma mère à moi, aux gestes doux et affables me serre contre
son sein sans s’abstenir de murmurer de sa joie en pleurs. Je me disais
et si c’était à refaire? Ma mère sans le savoir me resserre davantage.
C’était
là, un récit d’un garçon beau et tenace. Il est relativement jeune. Il
racontait sa mer à lui. Il aurait pu lire, ce vieux môme avant d’aller
en mer «le vieil homme et la mer».
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par El Yazid Dib
Quotidien d'Oran du 24-4-08
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