Mustapha Toumi,
parolier, poète, militant de la cause nationale
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« J’ai hâte de trouver ce pays où le soleil tue les questions. » Albert Camus
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Il n’est de pensée que dans un homme libre qui ne s’occupe ni de plaire ni de de déplaire. Le courage, c’est l’art d’avoir peur sans que cela paraisse. Le peuple arabe est comme un chameau qui suit son guide dans le désert. Le guide doit savoir où emmener le chameau, voir clairement sur quelle voie avancer
Sa longue barbe blanche négligée lui donne l’allure d’un gourou, affichant un look un peu particulier. Rôle que ne lui envieraient pas ses détracteurs qui le décrivent comme un théoricien acariâtre passé maître dans l’art de vendre du vent. De ces critiques déplacées il n’en a cure. Il s’en moque royalement. Admiré certes, mais aussi jalousé le poète ! Ses yeux vifs cachés derrière de grosses lunettes racontent une autre histoire. Celle d’un poète qui n’en finit pas de traquer les maux de l’existence avec des mots chantants. Parolier de talent, il a écrit pour les plus grands : Lamari, Saloua, Nadia, Warda El Djazaria, Myriam Makeba… En 1970, il signe un titre monumental interprété par El Anka : Sobhane Allah ya l’tif qui reste un trésor dans l’univers poétique chaâbi. La chanson est sublime. En voici des extraits exquis.
Je n’ai pas appris l’art à l’école
Je ne suis pas un lettré mais c’est à l’école de la faim et de la misère que j’ai forgé mon art.
Mon pain, c’est du bon pain fait avec de la farine qui n’est pas empruntée et mon domicile est connu de tous.
Tout le monde peut en témoigner.
Il n’est pas dans mes habitudes de jaser dans le dos des gens.
Je ne suis pas un os bon à ronger
Je ne suis pas stérile et ma terre n’est pas aride.
Le lion, même mort, reste un lion et le lion même vieilli, remplit encore de crainte les chacals.
Celui qui a les mains liées ne peut pas diriger, ni tenir la barre et voguer au milieu de la tempête.
Qu’est-ce qui lui a pris d’écrire cet inoubliable poème ?
« J’ai exprimé ce que tous les Algériens vivaient : l’injustice, la
corruption, l’inversion des valeurs et puis dans le répertoire chaâbi,
il n’y avait pas ou presque pas de qacida écrite par des Algérois. »
Cette œuvre grandiose écrite il y a presque 40 ans est d’une brûlante
actualité.
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Les poètes ne meurent jamais
« C’est une référence dont je suis fier et qui continue de servir de message. Tout ce que je dis dans la chanson est arrivé. Ce n’est pas ma faute. Moi j’ai prévenu. C’est l’éternel problème de Cassandre. Quand quelqu’un prévient, ça devient lui l’auteur de ce qui se produit par la suite. J’avais prévenu la régression et la régression on y est plein dedans. On est loin de tous les schémas rationnels », regrette-t-il de sa voix grave et amusée. Sobhane Allah ya l’tif est effectivement une œuvre qui a marqué son époque par sa singularité, sa richesse d’expression et ses métaphores. Elle a été complétée par une autre chanson Ki lyoum ki z’man, qui se voulait une réponse à ses contempteurs ; en fait, il n’y en a qu’un qui se reconnaîtra, qui lui déniait la paternité de Sobhane Allah ya l’tif, l’attribuant par méchanceté et vengeance à Mostefa Benbrahim. Seulement poète, Mustapha ? Homme de culture, c’est aussi un ancien militant de la cause nationale qui a créé un parti, l’Alliance nationale des démocrates indépendants qui a fait long feu au début des années 1990. Engagé, Mustapha pense que le révolutionnaire est quelqu’un qui modifie la manière dont les gens voient le monde. Il a sans doute compris que les créateurs le sont plus souvent que les hommes politiques. C’est pourquoi il reste profondément attaché à sa rime. Natif d’Alger, plus précisément de La Casbah, il y a vu le jour le 14 juillet 1937 à Bir Djebbah (source de l’apiculteur), confluent des principales artères de la cité, rues de Thèbes, M’hamed Cherif, Houanet Sidi Abdellah, Staouéli, Kléber et rue Porte Neuve qui est la traduction de Bab Jedid, Essouaredj et Soustara. Et dans ce dernier quartier, à l’Ecole Sarrouy où il a accompli ses cours complémentaires, après la maternelle à Soqjema (rue Bruce) et le CEP rue de Divan et Vieux Palais. Il y a côtoyé beaucoup d’enfants devenus des personnalités par la suite. Comment lui et venu le talent pour la poésie, la musique, l’art et la culture, en général ? « C’est durant ma prime enfance, vers l’âge de 10 ans et même un peu avant que j’avais manifesté un certain penchant pour cet univers à la fois ludique, créatif et épanouissant. J’ai commencé par faire du théâtre radiophonique en kabyle, en arabe et des jeux radiophoniques en français, d’abord seul, puis avec Abder Isker. J’ai publié des poèmes dans Alger Républicain et joué avec Mustapha Kateb et Wahiba dans El Kahina, théâtre de Abdallah Nekli, à la belle époque des Habib Réda, Touri, Debbah, Djelloul Bachedjerah, Kazdarli, Mustapha Badie, Mohammed Hilmi, Nouria et Keltoum. »
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Militant, écrivain et journaliste
Son père Yahia était coiffeur. Il avait le Mouloudia Salon, rue du Vieux Palais avec un instrument de musique à cordes, « une guitare, je pense… mes souvenirs sont flous car je n’avais que trois ou quatre ans à l’époque. » Du reste il partit en France, à l’île d’Ouessant puis, mobilisé durant la Seconde Guerre mondiale, il se retrouva officier des transmissions dans la fameuse 2e division blindée du général Leclerc. Il participa à la libération de Paris en y laissant sa vie et mourut le 2 juin 1945. » « Il a eu une certaine influence, indirecte, sur moi génétique, je dirais : tempérament semblable, caractériel, besoin de se réaliser envers et contre tout. Quant à sa guitare, je ne l’ai entrevue que dans mon imaginaire débridé et folâtre, avec des cordes qui ne pouvaient qu’égrener du chaâbi », résume-t-il avec beaucoup d’émotion. A 17 ans Mustapha est parti à la rencontre de la Révolution. « Grâce à une conjonction de facteurs et de gens, notamment mon cousin, éternel insoumis, Ahmed El Laghouati, qui était membre de l’OS du PPA qui m’en avait parlé au mois de septembre 1954 et qui m’envoya en France, début novembre, avec un mot de passe, qui me permit de contacter des anciens de l’organisation, à Barbès. C’est de là que j’ai commencé à essaimer rue Fleury, des Martyrs et jusqu’à avenue des Ternes, Arc de Triomphe, quartier de la Défense et bien entendu le quartier latin. Toujours est-il qu’après un bref passage à l’ORTF, j’ai rejoint Tunis où je retrouvais des gens que je connaissais déjà. » Auteur d’un projet pour la création d’une radio de l’ALN et du FLN en zone libérée, quelque part en Algérie, la commission mise sur pied par Saâd Dahlab, Boumendjel et Boussouf le dépêchèrent à Nador, ville frontière où existait déjà une infrastructure que faisaient fonctionner, entre autres, Abdelmadjid Meziane et cheikh Mimoun. Aïssa Messaoudi les y rejoignit. Vinrent après lui Mohamed Merzoug, Abdelhamid Temmar et Daho Ould Kablia. L’inauguration de cette nouvelle station réaménagée par Abderrahamen Laghouati fut faite par Boualem Bessaïah, alors surnommé Lamine. Mustapha marqua son passage en faisant passer des messages. Il était mûr avant d’être adulte. L’histoire de cet homme est une remontée dans le temps, broyé par des événements douloureux. La révolution a-t-elle été confisquée, comme l’ont écrit certains, dont Ferhat Abbas et Benkhedda ? « Il y eut, effectivement des déviances volontaires ou dues à la lutte pour la prédominance et l’appropriation du pouvoir, qui ont abouti à faire, en dernier ressort, de la révolution une simple guerre de libération. Il y eut d’abord la grande crise de l’été 1962, au lendemain du 19 mars, qui opposa entre elles, des wilayas de l’intérieur, puis ce fut la grande empoignade entre les djounoud des frontières, dotés de matériel lourd de combat, d’une part, et les djounoud de la Wilaya IV d’autre part avec le bémol de « sabee snine barakat », (sept ans suffisent) qu’entonnèrent les manifestants dans les rues d’Alger. J’ai ressenti depuis cette période une certaine frustration, celle d’une révolution avortée. Puis il y eut la suppression d’Alger Républicain. Je rejoignis Mohamed Boudia dans Alger Ce Soir, ainsi que Serge Michel et Malek Haddad. Puis vint le réajustement révolutionnaire et en réaction à celui-ci, la constitution d’une ORP clandestine, regroupant les Zahouane, Benzine, Sadek Hadjres, etc. »
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Anthologie poétique
Mohamed Seddik Benyahia lui offrit un poste de conseiller technique. Mustapha fut chargé de l’organisation du premier festival de musique et de chants populaires et fit venir à la salle El Mougar une cinquantaine de poètes de toute l’Algérie, pour des soirées non stop durant les veillées du Ramadhan, toutes télévisées, du reste. Il comprit qu’il fallait désormais renouer avec le concept du contre-pouvoir, qu’il fallait lutter de l’intérieur et convaincre, non par la force, mais par la justesse de l’analyse et du raisonnement. « Il me fallait une nouvelle praxis pouvant investir des créneaux socioculturels tels la chanson, le théâtre, le cinéma et toutes formes d’expressions artistiques. J’ai écrit une anthologie poétique Pour l’Afrique. Ainsi que de nombreux poèmes publiés notamment par El Moudjahid et Algérie Actualités, Mustapha a écrit Africa pour Myriam Makéba, Guevara pour Lamari, Ya dellal pour Nadia puis plus tard, le scénario, les dialogues et la musique du film Echebka, avec la fameuse chanson Rayha ouine qui refait surface et s’impose, puis Sobhane Allah ya l’tif pour El Hadj M’hammed El Anka et Ki lioum ki zmane pour Zerouali, puis Laâchab, ainsi que plusieurs chansons à Lamari dont Ya njoum. « Lamine Bechichi qui a composé la musique de Africa m’avait également demandé une chanson (paroles et musique) pour Abdelhalim Hafez que je mis un mois à préparer et enregistrer, car il devait venir la chanter en Algérie, mais hélas, une tumeur le rongeait et le terrassa. Entre-temps, j’avais repris mes études et me consacrais à la psychologie clinique (en arabe et en français). De même que je flirtais avec la parapsychologie et les phénomènes PSI (perception extra sensorielle) tout en contribuant à créer le supplément culturel d’El Moudjahid. J’ai été député, membre du Conseil national transitoire. Outre les charges qui m’étaient dévolues, j’ai commencé à m’intéresser à la recherche linguistique, a priori sur les différents parlers amazigh depuis les îles Canaris et le Maroc jusqu’à l’Oasis de Sioua, en Haute Egypte, puis, chemin faisant, je plantais ma tente et “bédouisais” en perpétuelle transhumance vers des sources sémitiques et j’empruntais le “chquef” qui me menait à Tyr et à Sidon à l’aube des Cananéens de la Palestine séculaire. Jésus parlait araméen, ancêtre des parlers sémitiques puis l’indo-européen et le sumérien qui me promenèrent dans des contrées lointaines avec le véda, le sanscrit, le dravidien. Maintenant, il m’arrive de temps à autre de faire le point. Un labeur passionnant mais ardu et harassant m’attend. J’espère publier incessamment mes premières conclusions. Alors là, je serais satisfait, car peut-être, aurais-je mérité de la patrie et de la culture », pronostique-t-il sobrement. Qui a dit que le poète n’avait pas raison ?
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Parcours
Naissance le 14 juillet 1937 à Alger. Il milite dans les rangs du FLN et participe en 1958 à La voix de l’Algérie libre et combattante (radio clandestine). Après 1962, il est responsable des affaires culturelles au ministère de l’Information et responsable du Parti unique. Ce parolier et poète écrit pour les grands chanteurs algériens. Ses œuvres restent à jamais gravées pour la postérité. Parallèlement, Mustapha collabore à plusieurs journaux et revues. Il est l’initiateur de plusieurs manifestations culturelles d’envergure internationale organisées en Algérie. En 1990, il crée un parti politique qui ne résistera pas au temps faute d’ouvrage populaire. M. Toumi se consacre depuis sa retraite à l’écriture et compte éditer un ouvrage relatant sa riche expérience dans des domaines aussi variés que la culture et la politique.
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