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L'Algérie et la France
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Germaine Tillion, directeur de recherches à l'Institut des Hautes Etudes, ethnologue et sociologue, publiait sous le titre ''Algérie 1957'' un livre qui fut salué comme une étude décisive. Mais depuis 1957, elle observait un silence que l'on pouvait comparer à celui d'Albert Camus pendant les trois années qui précédèrent sa mort.
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Comment tout a commencé
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Pourquoi la manifestation organisée par l'UDMA, le jour de la célébration de la victoire (8 mai 1945) fut-elle pacifique dans toute l'Algérie, sauf dans la région de Sétif? J'ai parlé de ces horribles jours avec des témoins nombreux et divers. Du côté musulman, on croit fermement à une provocation montée par les colons; du coté colon on ne doute pas de la préméditation musulmane (1). Les deux me semblent peu certaines, car cacher pendant quinze ans Ies trames d'une machination - nécessairement connues d’un grand nombre de personnes - cela représente un exploit peu conforme au tempérament très également méditerranéen des deux groupes. En revanche, la famine des tribus montagnardes qui entourent Sétif n'était que trop certaine, et trop certaine aussi la convoitise excitée chez elles par les splendides récoltes que ramassait, sur leurs terres confisquées (14 744 ha) la Compagnie genevoise de Sétif. Dix ans plus tard, à deux cents kilomètres de là, les paysans qui m'en parlaient perdaient encore leur calme...
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La Compagnie genevoise fut mise en possession des meilleures terres de la région de Sétif en 1853, sans autre obligation que celle d'y créer dix villages de cinquante feux. Les bons comptables suisses s'aperçurent vite que ces créations étaient onéreuses et ils s'appliquèrent dès lors à décourager les colons européens déjà installés: 428 en 1870, 105 seulement en 1923. Malgré cela, un décret du 21 avril 1858 accorda gratuitement à la Compagnie la propriété du fond, en la dégageant de toute obligation (2). Elle vendit par la suite, et dans de bonnes conditions, une partie de ses terres, mais elle possédait encore, en 1944, 14 744 hectares - part peu importante de son capital, qu'elle conservait peut-être par négligence. Le jour du marché Il eût été aisé de la dédommager et de ne pas maintenir ce flambeau allumé en permanence prés de cet immense monceau de brindilles sèches, mais il aurait fallu y penser. Et le malheur voulait que l'Algérie algérienne était - pour la France, pour les fonctionnaires français - comme si elle n'avait pas existé. Pendant ce temps, les cheminots et des facteurs européens de Sétif demeuraient là, visibles, sentant quotidiennement cette hostilité des tribus qui les cernaient ; elle les rendait solidaires des grands banquiers lointains qui, dans l'innocence de la Suisse, ne touchaient à cette dynamite que sous forme de dividendes inodores. Le facteur et le cheminot avaient peur, non sans raison. La peur exaspère: elle exaspère celui qui a peur et celui qui fait peur. Avant 1940, J'ai connu des intellectuels algériens; ceux que j'ai rencontrés militaient pour l’intégration; ils étaient, pour cette raison, très assidûment persécutés par l'administration française et par les cadres coloniaux, qu'une aussi insupportable prétention révoltait. Découragés, la plupart d'entre eux se rallièrent au Parti du peuple algérien, de Messali Hadj (3), et aux Amis du manifeste et de la liberté, de Ferhat Abbas (4); ce dernier prônait alors une Algérie algérienne, fédérée à la France (5). Le mardi 8 mai 1945, jour de la victoire alliée, une manifestation pacifique fut organisée par ces deux mouvements dans toutes les villes d'Algérie. Le hasard voulut que le mardi fût jour de marché à Sétif, - ce qui signifie que les hommes des tribus spoliées étaient là, amers, violents... Ils grossirent tout naturellement les rangs des manifestants qui, vers 8 heures du matin, se rassemblaient prés de la grande mosquée. Une faute irréparable Les autorités françaises recevaient pendant ce temps les responsables qui s'engageaient à maintenir l'ordre et désarmèrent eux-mêmes leurs partisans. La manifestation n’étant pas interdite, le cortège s'ébranla... Au centre de la ville, rue de Constantine, un policier en civil arrête le défilé, brandit un revolver, tire: il tue un très jeune garçon qui portait le drapeau. La foule musulmane se scinde alors en deux groupes, dont un va déposer une gerbe au monument aux morts, tandis que l'autre s'égaille, s'empare d'armes improvisées, et massacre au hasard les civils français - avec des pierres, des couteaux et des haches, car les manifestants n'avaient pas d'armes à feu. Trois jours plus tard, l'armée était là, et commençait une répression qui dura jusqu’au 16 mai. Le bilan officiel mentionne 1 165 victimes musulmanes, la presse d’opposition donne le chiffre de 45 000 morts. Divers recoupements permettent de penser que le chiffre exact doit être inférieur à 45 000 mais dépasse 15 000. Du côté européen on compte 103 morts (dont 29 à Sétif) et 110 blessés. En 1948, la France devait subir en Algérie un autre grand échec – entendons qu'elle laissa commettre une faute irréparable: la falsification systématique des élections. Faute d'abord, due à l'ignorance, à l'absence de méditation politique, à la faiblesse, à la carence de la morale civique. Echec ensuite, et échec, aux graves conséquences... Il y en eut d'autres, moins éclatants, qu'il serait fastidieux d'énumérer, car il faudrait pour cela suivre les avatars de foules les velléités de libéralisme qui, de Paris, cherchèrent à pénétrer jusqu'à la population musulmane, écrasée, offensée, asphyxiée. Or non seulement aucune velléité libérale de Paris n’aboutit, mais il semble bien que leur seul effet fut de stimuler les oppositions au libéralisme, et de leur donner l'envie et l'occasion de se durcir. «Dis-moi non...» Huit années plus tard, à partir de 1956, des raisonneurs sans cervelle dirigèrent l'appareil de la répression contre ce que l'on appelle l'OPA (Organisation politico-administrative) qui désigne, en fait, à la fois les jeunes élites formées dans nos écoles et les cadres traditionnels: les hommes que l'on écoutait dans les villages. Ils savaient aussi se faire entendre du chef militaire FLN qui baroudait dans le secteur. Or cela ne fait aucun mal à des militaires de se laisser parfois chapitrer par des "intellectuels" ou par des grands-pères expérimentés qui parlent raison. Tous ces petits lettrés de campagne, ces notables pieux et pauvres, auxquels une année passée de temps en temps à Billancourt permettait de subsister, ces hommes si originaux, à la fois vrais aristocrates et vrais prolétaires, n'étaient pas "obéissants", et il est exact qu'ils composaient avec le maquis, mais non sans réciproque. Inversement, ils n'acceptaient ni ne rejetaient a priori toutes les initiatives françaises: quand elles leur semblaient avantageuses et convenables, ils les examinaient, ils les adaptaient, ils les imposaient. On ne peut s'appuyer que sur ce qui résiste, on le vit après 1958, lorsque toute la haute administration française et même quelques chefs militaires, commencèrent à se pencher avec sollicitude sur les fruits de trois ou quatre élections algériennes: «Allons, un bon mouvement, dis-moi non...». Hélas, il fallut plus de deux ans pour l'obtenir, même chez les plus dociles. On n'en était pas encore là, lorsque le Ier novembre 1954, sonnèrent les premiers coups de feu d'un interminable combat. A trois heures du matin, ce jour-là, une révolte éclata en même temps dans l'Aurès, dans la région d'Alger et en Oranie. On signala la mort de cinq soldats, dont deux à Batna et trois à Kenchela, de deux agents de police a Dra-el-Mizan (à 120 kilomètres d'Alger), d'un fils de colon prés de Cassaigne, tandis que, sur la route d'Arris à Biskra, un jeune instituteur et un caïd étaient blessés mortellement. En tout, dix morts - les premiers d'une guerre qui dura encore et dont il n'est plus possible de compter les victimes. Dans l'ensemble, on peut dire que l'Algérie de 1954 - grandes masses musulmanes et colons - ignorait presque tout du petit groupe d'hommes qui venait de prendre les armes. Des observateurs de tous bords savaient depuis longtemps que «quelque chose n'allait pas», mais ces mêmes observateurs n’ont pas immédiatement reconnu, dans les flammèches de novembre 1954, le grand incendie qu'ils appréhendaient dans leurs cauchemars. Ceux de la montagne De décembre 1954 à avril 1966, j'ai séjourné dans l'Aurès, premier foyer de la révolte où, dans toutes les tribus, je comptais de vieux amis paysans. En tête-à-tête et à voix basse, ils me disaient, parlant des hommes du maquis: «Les gens se demandent ce qu'ils veulent». En ce temps-là, les chefs de famille qui constituaient les jemaâs laissaient voir parfois de l'agacement à l'égard de ceux que tous appelaient alors imounafqen (hors-la-loi) et dès le premier jour, le meurtre improvisé d'un jeune instituteur sympathique avait scandalisé l'opinion musulmane qui, sur ce point, réagissait à l'unisson de l'opinion européenne (un des premiers efforts de propagande des imounafqen consista pendant les mois qui suivirent à se désolidariser de ce meurtre). Aux mêmes endroits, moins de six mois plus tard, le mot imounafqen n'avait plus cours et le terme courant pour nommer les révoltés était devenu Hodjadj (pluriel du mot Hadj, titre que porte le croyant après l'accomplissement du pèlerinage de La Mecque). A l'origine, il semble que l'adoption de ce mot avait eu surtout pour but de tromper un auditeur indiscret, mais peu à peu, comme toujours, l'appellation clandestine s'imposa au point d'être connue de tout le monde et de devenir la plus usuelle. Elle était relayée de temps en temps par des locutions telles que yan-negh, "les nôtres", yay-nbarra, "ceux du dehors", yay-n-oudhrer, "ceux de la montagne". En Kabylie, où le mot imounafqen existe et avec le même sens que dans l'Aurès, il n'a, à ma connaissance, jamais servi pour désigner les hommes du maquis. D'emblée les Kabyles ont nommé moudjahidin (6), "combattants de la foi", ceux qu'en France on appelait fellaga (7). Par la suite, plus souvent encore que moudjahidin les Kabyles dirent yen-nil, "les autres" en parlant d'eux. Au cours de l'été 1955, l'organisation secrète qui avait déclenché la révolte (le CRUA: Comité Révolutionnaire d'Unité et d'Action) définissait les structures de ses deux éléments: - le FLN (Front de libération nationale), instrument politique, sera la synthèse de tous les mouvements nationalistes algériens; - l'ALN (Armée de libération nationale) groupera les maquis... A cette date le peuple confond encore le MTLD (8) et le Front, et cette confusion se prolongera dans les campagnes jusqu'au début de 1956. La police imite cette ignorance et s'efforce de détruire tout ce qui ressemble à une organisation. Celles-ci, naturellement, sont d'autant plus vulnérables qu'elles sont plus innocentes: c'était faire la part belle aux vrais clandestins. Avant le 6 février 1956, l'appareil de la révolution algérienne est assez réduit et très mal connu des masses musulmanes. Les sentiments qu'il leur inspire sont: une vague bienveillance, une vague inquiétude, beaucoup de curiosité. Un antidote La campagne électorale de décembre 1955 et le succès électoral de M. Pierre Mendés France et de M. Guy Mollet suscitent un timide intérêt parmi les Algériens musulmans, et un désespoir bruyant chez les Européens; la capitulation totale et immédiate du Président du Conseil dès son arrivée a Alger, le caractère spectaculaire des manifestations violentes qui la précèdent déclenchent inversement une profonde inquiétude chez les musulmans, tandis que les Européens, ayant pris conscience de leur force, aspirent désormais à s'en servir. Le hasard veut que ce soit vers cette époque que le premier grand réseau FLN ait été démantelé. Grâce à la presse française, l'opinion musulmane apprend - pour la première fois et non sans satisfaction - l'importance des organisations du Front. Chaque détail en est alors avidement accueilli, commenté, grossi, et les adhésions au FLN prennent aussitôt - nous sommes en avril 1956 - l'allure d'un mouvement de masse: de toutes parts les gens cherchent le contact avec l'organisation clandestine et prient ses représentants de bien vouloir accepter leurs cotisations. Pendant ce temps les réseaux contre-terroristes, qui jusqu’alors étaient demeurés virtuels, s'organisent fébrilement, car, dans l'étrange magma conducteur qu'est l'Algérie, on sait, de part et d'autre, à quoi s’en tenir sur les dispositions prises par la communauté rivale – ce qui évidemment, accélère encore le zèle offensif de chacune d'elles. Il ne faut pas perdre de vue que, dans ce double processus, la métropole supporte une lourde responsabilité: elle a désespéré les Français d'Algérie et fait naître chez eux le "complexe de la trahison" - puis elle a libéré sans contrôle leur agressivité, agressivité compréhensible mais nullement excusable, et très dangereuse même pour eux. La métropole laissa détruire également, par sa faiblesse coupable, toute la confiance que les Algériens musulmans conservaient encore dans un arbitrage de la France, ne leur laissant aucune voie de revendication en dehors de la pure violence. Il était fou de laisser s'enclencher une telle guerre. Plus fou encore – et odieux - de ne pas rappeler par son nom, et de ne pas traiter en soldats les hommes qui nous combattaient: la "guerre subversive" n'est pas une nouveauté dans l'histoire humaine, et l'instinct de survie de notre espèce lui a fait inventer depuis longtemps son antidote ; il s'appelle l'honneur. Avoir affaire à des Hommes, et ne pas croire à leur Humanité (autrement dit: à leur raison) c'est une méchante position, et une sottise, car on exclut ainsi la possibilité d'un accord - or il n'existe rien de plus dangereux que d'accoler un peuple entier au désespoir. Pendant vingt mois, les autorités de Paris, s'appuyant à la fois sur nos institutions et sur une répugnance légitime, parvinrent à freiner les exécutions capitales. Puis, comme d’habitude, elles cédèrent et deux exécutions eurent lieu à Alger (9). Les sacrifiés Une exécution capitale est en soi assez ignoble pour révolter n'importe quel individu normal ayant l’occasion de connaître de près les circonstances qui l'accompagnent. Le moins que l'on puisse exiger pour excuser ces cérémonies sauvages, c'est de les appeler à sanctionner un forfait odieux, inexcusable, universellement réprouvé, et dont on a identifié l'auteur avec certitude. Dans la conjoncture politique de 1956, et en présence de l'unanimité musulmane qui avait pris corps désormais, les exécutions étaient, en outre, des affronts qui ne compromettaient pas un sous-ordre irresponsable (comme les tortures) mais tout le corps institutionnel. Et c'est bien cela qu'exigeait âprement une certaine opinion "coloniale": compromettre définitivement le seul arbitre possible du conflit, afin de le rendre insoluble. Par lâcheté politique, par paresse d'esprit, par émiettement des responsabilités, l'arbitre se laissa entraîner. Si la police française, en novembre 1954, avait retrouvé l'assassin de l'instituteur Monnerot, il est possible - mais non certain - que l'opinion musulmane, en présence de son exécution, eût été partagée. Dix-huit mois plus tard elle était unanime contre notre justice. Le lendemain des deux premières exécutions capitales, dans Alger seulement, il y eut une trentaine d’attentats au revolver, les premiers. Ils firent 47 morts ou blessés européens. En même temps s'intensifiait le recrutement des "commandos de la mort" que le peuple appelle fiddayin (10) mais plus souvent encore, moussebbilin, les "sacrifiés". Deux des agresseurs furent abattus, dont l'un, nommé Achour, habitait 3, rue de Thèbes; un autre, pris vivant, sera exécuté par la suite. D'innombrables arrestations eurent alors lieu dans les milieux auxquels appartenaient les auteurs connus ou présumés d'attentats. Neuf lignes Avant celle date, on pouvait citer des cas de tortures en Algérie - il n'est d'ailleurs pas un pays au monde qui soit totalement indemne de cette horrible pratique - mais ils demeuraient isolés. Après les premiers attentats terroristes, la torture devint le complément sinistre de l'arrestation : le terrorisme justifiait la torture aux yeux des uns ; tandis que la torture et les exécutions capitales rendaient licites, dans l’opinion des autres, les attentats les plus meurtriers. La première bombe au plastic qui explosa à Alger fut une bombe contre-terroriste - une bombe française. Elle fit 53 morts (37, selon d'autres sources) et d'innombrables blessés. Elle démolit plusieurs immeubles et, d'après la mairie d'Alger, 280 personnes se trouvèrent sans toit (fin juillet 1956). Les auteurs du crime placèrent l'engin quelques minutes avant le couvre feu, afin de faire le plus grand nombre possible de victimes, et le hasard voulut que celles-ci soient surtout des enfants, des femmes et des hommes très âgés. Si un certain hasard a pu présider au choix des victimes, il n'y eut pas de hasard dans celui de l'emplacement - 3, rue de Thèbes - le domicile d'un des moussebilin qui avait été pris en vengeant Zabanah et Ferradj, trois mois plus tôt. Aucune émotion dans le public européen: les journaux mentionnent l'attentat sans parler du nombre des victimes, et n'y reviennent plus. Celui que j'ai sous les yeux lui a consacré neuf lignes qui répètent la version officielle «on pense qu'il s'agit d'un épisode de la lutte entre membres du FLN ou messalistes.» Or personne dans Alger ne pensa cela, car la bombe qui vient d'exploser est une bombe au plastic, et la population européenne, en juillet 1956, est très loin d'imaginer que F.L.N. ou messalistes pourront un jour en posséder de semblables. La police a-t-elle identifié les coupables? Je l'ignore. En fout cas, il n'y eut pas d'arrestation. Sans défense Cependant, des suspects sont très vite nommés ouvertement dans de nombreux milieux algérois: un certain Michel Féchoz (11), avec la fameux Kovacs, aurait dirigé l'organisation qui a fabriqué et placé la bombe ; ils auraient eu pour collaborateur un inspecteur de la DST nommé Mestre - inspecteur qui sera assassiné deux mois plus tard (seplembre1956) par un nommé Ahad qui lui aussi habitait rue de Thèbes, dans une des maisons contiguës au bloc sinistré. Ahad a été condamné à mort et exécuté en juin 1957, mais il vengeait des morts innocents: sa propre famille, dont nulle justice ne s'était souciée. En face de l'indifférence apparemment totale de l'opinion et des pouvoirs publics français, les musulmans sont bouleversés: ils ont désormais le sentiment d'être livrés - sans défense, sans armes, sans recours légal d'aucune sorte - à l'assassinat pur, et simple. Lorsque, deux mois plus tard, les premières bombes FLN éclateront à leur tour, elles seront accueillies avec exaltation par des secteurs de plus en plus importants de leur opinion, et les poseurs de bombes feront tout naturellement figure de protecteurs du peuple et de héros nationaux. Or, quel que soit le parti politique auquel il appartient, quel est le Français qui ose dire publiquement qu'une vie algérienne innocente tranchée par une main française ne doit pas être payée du même prix qu'une vie française innocente tranchée par une main algérienne? Pourtant, pendant six années accomplies, la sévérité de nos lois s'est appesantie constamment sur les uns et jamais sur les autres, et cela, il faut le dire, malgré les efforts d'officiers et de magistrats indignés. Depuis deux ans, quelques sanctions légales ont pu être prises contre des Français auteurs d'exactions en Algérie; elles ont un peu diminué le nombre de celles-ci - un peu seulement, sans doute parce qu'elles n'ont été ni assez nombreuses assez publiques.
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(*) Les Ennemis complémentaires, de Germaine Tillion, paru au début de l'année 1961 aux éditions de Minuit.
(1) Des faits précis et authentiques sont cités des deux côtés pour démontrer la préméditation adverse. Retenons-en que la situation était, comme on dit, tendue.
(2) La Compagnie genevoise a constamment réinvesti en Suisse capitaux et bénéfices, même pendant la guerre de 1914-1918. Une autre grande compagnie (la Compagnie algérienne) a bénéficié de faveurs aussi exorbitantes. Elle possédait encore en 1954, une centaine de milliers d'hectares.
(3) L'Etoile nord-africaine, animée par Messali Hadj, fut dissoute par décret le 26 janvier 1937. Sur le conseil du colonel de la La Roque, leader d'une partie de la droite française, Messali fonda un parti régulier, le PPA (Parti du Peuple Algérien), qui fut déclaré le 11 mars 1937. Il fut dissous après les émeutes de 1945. Messali Hadj fonda alors le MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques).
(4) Amis du Manifeste et de la Liberté, parti fondé à Sétif le 14 mars 1944 par Ferhat Abbas. Après l’emprisonnement de son leader, l’A.M.L. devint un parti régulier : l’U.D.M.A. (Union Démocratique du Manifeste Algérien) déclaré en 1946.
(5) Entre le 9 et le 15 mars 1960, l’institut français d'Opinion publique a interrogé, dons toutes les régions de France, des hommes et des femmes de toutes conditions sur le gouvernement des Algériens par eux-mêmes en union étroite avec la France. Cette solution avait 64 partisans sur 100.
(6) sing. moudjahad.
(7) sing. felleg. Pluriel arabe de fellaga. Pluriel chaouia : ifellagen. Les journaux français ont longtemps diffusé l’orthographe " fellagha" qui est incorrecte.
(8) Ce dernier ne prit aucune part à l'élaboration de la révolte de 1954 et ses partisans sont actuellement en opposition violente avec ceux du FLN.
(9) Ferradj et Zabanah (nom inexactement orthographié par l’état civil : Zahana).
(10) Pluriel du mot arabe fedday, "celui qui purifie"
(11) Condamné pour participation à l’attentat contre le Général
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par Germaine Tillion
L'Express du 22/12/1960
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