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Que ne m'as-tu, mère, faite capucine
Que j'étouffe dans ma soutane
Mes vingt années de grâce bédouine
Et vos vingt siècles d'irrévérence ?
Tu ne m'avais rien dit de ce vertige mutin,
Secrète volupté des anciennes guerrières,
Péché furtif des amantes de Grenade,
Qui vous envoûte femmes de ma terre
Depuis les premières coupes berbères
Et qui me prit, mère, au premier lait de ton sein...
Femme de ma terre,
Je ne me pardonne aucune joie
Que celle, sereine et inassouvie
De t’aimer
Et j’ai vu Dieu oser un péché :
Profaner la laideur du monde
Par ta beauté
J'ai perdu, fils, l'heure où se féconda notre honneur,
Comment te dire le ventre qui enfanta nos rêves ?
Prête-moi un peu de ta mémoire
Que je rallume quelques étoiles :
Djamila, Louisette, rappelle-toi...
Et que j'éclaire, tatouée sur ma chair amnésique
La balafre de la Casbah :
Hassiba, tremble ma peau !
Et d'une lune sur nos montagnes,
Tu entendras avec moi, au nom d'Ourida,
Se lever encore quelques fleurs sauvages...
Et surtout, fils, prend un peu de ma mémoire
Que je cesse de faire pleurer le ciel
A l'idée que nos enfants nous libèrent,
Et que j'oublie un peu leur nom :
Katia, Amal, Nour-El-Houda...
Vierges immolées
Pour éclairer leurs frères
Dans la nuit des hommes au sabre vert...
Katia, Amal, Nour-El-Houda...
Alger, ta race incessante de félines égorgées...
Combien nous faudrait-il d'offrandes
Et de mères démoniaques
Pour te délivrer de tes cerbères
Et te rendre à tes amants ?
Femme de ma terre,
Tu es ma part de ma terre,
Le sucre qui manque à mes fruits
Le sel du pain de ma mère
La qsida de mes longues nuits.
Miroir de mes joies anciennes.
Elles nous regardent,
Souviens-toi,
Elles nous regardent, le sais-tu ?
Là, de ce sol assoiffé,
Ce sont elles,
Chaque fois qu’un bégonia, à l’improviste
Viens décorer ma sereine baie d’Alger
A chaque verte fleur sous-marine
Qui se pose sur le corail orangé d’El Kala
Ce sont elles,
A chaque rose insolente qui se forme sur le sable
Pour divertir le Hoggar de sa solitude
Ou qu’un gai hortensia étourdi
S’égare sur les pistes rocailleuses d’Ain-Sefra...
Ce sont elles !
Les sirènes de ma terre,
Fauves indomptables,
Ce sont elles qui nous embrassent
Par ces tendres baisers déposés sur leur terre
Pour nous rappeler que de ce sol martyrisé
Au plus fort moment du désespoir
Quand la mort et l’avenir ne faisaient plus qu’un
Il a toujours surgi des plantes rebelles
Dont elles furent des espèces immortelles
Et qui firent refleurir la liberté.
Femme de ma terre,
Je ne me pardonne aucune joie
Que celle, sereine et inassouvie
De t’aimer
Et j’ai vu Dieu oser un péché :
Profaner la laideur du monde
Par ta beauté
J'ai perdu, fils, l'heure où se féconda notre honneur,
Comment te dire le ventre qui enfanta nos rêves ?
Cinq rue des Abderames :
Notre orgueil porte une adresse.
Un laurier pour trois cadavres...
Cinq rue des Abderames.
C'est l'heure de la lune et du muletier,
Ta tête blonde contre deux chars
Tes vingt ans et la haine de Bigeard :
Néfissa arrête la fontaine,
La poseuse de bombe va mourir...
Cinq rue des Abderames...
Derrière cette porte, fils
A l'odeur d'un églantier,
Tu chercheras l'offrande de Hassiba
Entre les seins désespérés de la Casbah.
Je n'irai plus dans ta nouvelle rue
Qu'ai-je à dire à cette foule orpheline
Vêtue de tes serments,
Et de la prophétie des Aurès,
Que j'ai vu implorer le néant,
Autour d'un soldat inconnu,
De la sauver de l'infini ?
Ne pourrais-tu, un jour
Allumer un réverbère sur nos doutes
Qu'on donne un âge à nos fiertés,
Un visage à nos illusions
Et un nom à nos mères ?
Femme de ma terre,
Tu es ma part de ma terre,
Le sucre qui manque à mes fruits
Le sel du pain de ma mère
La qsida de mes longues nuits.
Miroir de mes joies anciennes.
Femme de ma terre,
Ta peau léchée par nos vents...
Vents des oliviers de Sig
Salés par les vagues d’Oran ;
Vents Kabyles au goût de figues,
Chargés de colères félines
Qui font rougir les printemps ;
Ou vents du sud, amants des bédouines,
Qui soulèvent le sable et le temps...
Tous nos zéphyrs sont en toi
Même celui de Annaba
Tamisant ta peau de soie...
Et je leur ouvre grande ma porte
Quand je caresse ta joue ronde
Et je m’abandonne feuille morte
Pour qu'en eux je vagabonde
Au son du luth et d'une gasba...
Comment te dire le ventre qui enfanta nos rêves ?
Les murs d'El-Harrach m'ont parlé de toi, Lila...
Il y résonne encore tes dix-huit ans
Quelques soupirs de Sarrouy
Et tout le cauchemar du Paradou.
A quel instant de solitude as-tu gravé,
Sur mes parois de quarantaine,
La fille de Barberousse, l'inconnue des Baumettes,
Et la rescapée de Chebli ?
Mes murs te racontent, Lila :
« Violée, l'âme écrasée »
Ils disent que tu n'as pas parlé.
Mes murs te décrivent, Lila :
« Allongée nue, toujours nue...
Et les brutes qui passaient... »
Mes murs te délivrent, Lila
« Et le corps gavé de douleurs
S'était mis à flotter au dessus des tortionnaires... »
Aurons-nous assez de larmes pour laver ce souvenir
Des balafres du fer et du chalumeau ?
Ce corps est lourd, Ourida
Et tu l'as jeté du haut d'un trop fol espoir,
A l'appel d'une ode sacrée
Et de notre fable inachevée...
Ce corps est lourd, Ourida
Il est retombé sur nos veuleries,
Gravé là, sur le ciment gris de Sarrouy,
Et le soir ils ont fait un serment
Aux mères et aux cieux :
« D'un caftan d'or et d'étincelles
D'un séroual de feu
Et de la plus belle pelisse de Dieu
Nous vêtirons ce corps outragé... »
Et l'édile avait ajouté :
« Témoignez, témoignez, témoignez ! »
Ton siècle est mort, Ourida
Et le prochain s'est oublié.
Mais que nous reste-t-il de colère
Pour blâmer le poète ?
Femme de ma terre,
Je ne me pardonne aucune joie
Que celle, sereine et inassouvie
De t’aimer
Et j’ai vu Dieu oser un péché :
Profaner la laideur du monde
Par ta beauté
Comment te dire, fils, le ventre qui enfanta nos rêves ?
J'ai retrouvé une voix de toi
Sous quarante années de silence
Et je l'ai reconnue à sa crinière
Entre mille voix anonymes...
Tu ne l'as pas vue sortir, je le sais
Mais sur Alger il pleuvait ce jour-là...
C'était toi, qui d'autre ?
Tes seins brûlés à la cigarette
Les côtes brisées par la haine
Vierge éternelle, notre pucelle sans armure
Captive d'un rire gras du para violeur...
C'était toi, qui d'autre ?
Tu as hurlé à la nouvelle
Qu'il survivait dans Alger ces cavernes d'El-Biar
Où se broient toujours les vies des jouvencelles.
C'était toi, qui d'autre ?
Cette voix qui fit perler de sang noir
Le fusain de Picasso
La plume de l'avocate
Et les yeux indignés de Simone de Beauvoir.
C'était toi, qui d'autre ?
Ce cri, comment te dire,
C'était le seing d'une audace algérienne :
« Boupacha... Boupacha...»
A un soprano napolitain,
Sous quarante années de silence,
Au milieu du doute et de la nuit,
Sur un chemin de figues blessées,
Juin d'un printemps noir,
J'ai volé cette voix de toi
Qui chantait ta chanson :
La vie et l'amour ...
Canti di Vita e d'Amore...
Mais qu'as-tu vraiment chanté d'autre, Djamila
Même quand le téton pliait sous le feu
Et que le corps saignait pour ton peuple,
Qu'as-tu chanté d'autre
Qu'un rêve de la galette noire,
Qu'une prophétie insensée
Qu'une soif de sève pour les épis brisés,
Qu'une clameur d'un nouveau siècle,
Qu'un nouveau poème pour Alger ?
Femme de ma terre,
Tu es ma part de ma terre,
Le sucre qui manque à mes fruits
Le sel du pain de ma mère
La qsida de mes longues nuits.
Miroir de mes joies anciennes
La soupe a refroidi, Katia
Et notre porte se dénude de ton odeur...
Ne pourrais-tu, Houda, écourter la nuit sur la plaine ?
Le soleil ne se lève plus sans ton ombre.
Sur Haouch Boudoumi guette avec moi les hirondelles
Houria, à l'une d'elle tu reconnaîtras une mèche d'Amel.
Je suis fatigué, fils,
De ma prison et de toutes les prières qu'on m'a confiées
Mais sache, avant de t'en aller,
Si tu redoutes le chemin noir,
Que désormais nous savons tout du chandelier.
D'une flammèche nue et têtue,
Les sirènes de ma terre,
Violées, torturées puis égorgées,
En soixante années de calvaires,
Les sirènes de notre terre
Ont éclairé nos odyssées,
Allumé un bout d'orgueil
Et donné un nom à nos mères…
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UN POEME DE MOHAMED BENCHICOU
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