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La recette pas tout à fait secrète
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.«Le mépris des hommes est fréquent chez les politiques, mais confidentiel».
A.Malraux
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Pendant la décennie sanglante des
années quatre-vingt-dix, le pays allait être obligé d’importer des
coopérants techniques pour combler les désaffections de nombreux élus
et pallier le manque dramatique de candidats aux élections des
différentes assemblées. On se défilait à leur simple évocation. C’était
l’époque héroïque des fameuses DEC dirigées par des kamikazes.
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Avec
la paix revenue, c’est la ruée vers ces magistratures. Qu’est-ce qui
fait donc courir les gens après les postes politiques en rivalisant
d’astuces et de coups tordus faisant appel à des combines souvent à la
limite de la légalité ? D’ailleurs, cette dernière n’a jamais fait bon
ménage avec une campagne électorale ni empêché la corruption qui en est
devenue l’inévitable corollaire. Sacrifier son temps et dépenser des
sommes parfois incroyables, est-ce par pur souci de servir son pays ou
la préparation de l’assaut contre le trésor public ? Tout ce qui compte
c’est d’arriver à s’accrocher au train, qu’importe la forme. Aucune
loyauté envers le groupe politique auquel on appartient si ce dernier
ne peut garantir un bon classement sur la liste électorale. On cherche
ailleurs, quelle que soit la coloration politique, aussi antinomique
soit-elle.
Si en public, même si personne n’est dupe, on tient
encore, juste pour le respect de l’usage, un discours hypocritement
patriotique, en privé, la plupart vous diront sans éprouver aucune gêne
qu’ils veulent améliorer leur statut social. Comble d’ironie, aucun
candidat n’aura la pudeur de camoufler ses véritables intentions.
L’objectif commun à tous ces prétendants à l’ambition parfois démesurée
est de se rapprocher le plus près possible des centres de décisions.
L’un est hanté par l’idée fixe de se mettre en pole position pour le
poste de sénateur. L’autre déclarera froidement qu’il vient pour régler
des problèmes personnels et s’enrichir.
D’ailleurs, si quelqu’un
ose prétendre qu’il est mû par le souci de servir la chose publique, on
le prendrait pour un anachronique, un zombi qui arrive d’une autre
planète avec une culture étrange. Clamer sans aucune vergogne qu’on n’a
aucun devoir envers la société est plus adapté à l’air du temps et
prouve un signe de bonne santé mentale.
Dans la fièvre qui
s’empare en conséquence du pays, jusqu’à fausser tous les critères de
jugement fondamentaux, on a même vu les membres de la commission
chargés de sélectionner des candidats, consacrer, sans aucun état
d’âme, leur mission à s’auto-sélectionner ! S’il y a des places en
queue de liste on puisera dans le tas de dossiers pour le complément
nécessaire à la finalisation du travail. Comme quoi on n’est mieux
servi que par soi-même ! Les plus audacieux vont même jusqu’à investir
des sommes colossales.
Des montants à vous donner le vertige
parce que, rationnellement, on ne pourra jamais les récupérer par des
moyens légaux. Des philanthropes qui font des investissements à perte !
Pour l’anecdote, on raconte qu’un riche éleveur, obsédé par la
recherche de la notoriété et le désir excessif des honneurs, est arrivé
devant le lieu où allait se dérouler un simulacre de vote pour désigner
les membres d’une de nos augustes Assemblées (dites) populaires, sortit
de la malle de son véhicule un gros cartable et commença à faire un
tour en aparté avec chacun des présents avant de les voir revenir,
comme deux larrons en foire, le visage fendu jusqu’aux oreilles par un
large sourire et l’air satisfait. La magie avait donc frappé pendant le
laps de temps nécessaire à ce très petit circuit. Après chaque navette,
on pouvait remarquer que les boursouflures du cartable disparaissaient
et que le contenant s’allégeait à vue d’œil. Son chauffeur, en vigie
dans un coin de la cour, observait le manège et n’attendait qu’un
signal de son maître pour accourir avec un autre gros cartable de
renfort si jamais les enchères venaient à s’envoler.
A l’un de
ses laudateurs, intrigué par le manque de discrétion de la manœuvre, il
déclara, sans la moindre retenue, qu’il venait de vendre de véritables
moutons au marché de bestiaux pour acheter les voix des moutons sous
apparence humaine qui n’éprouvent aucune honte à venir profiter de la
prodigalité qui s’empare des candidats aux élections. Une véritable
bourse à laquelle ne manque que le crieur ! Non seulement personne ne
s’est offusqué, ne serait-ce que pour la forme devant cette facétie
rocambolesque, mais au terme de ce souk, le Monsieur s’est retrouvé
confortablement satellisé pour un quinquennat.
Les conditions d’éligibilité, c’est quoi cette invention impie sortie tout droit de l’esprit tortueux d’un intellectuel fauché ?
Ce
jour-là et les jours d’après, ce fut la fête au village et on vient de
toutes parts féliciter l’heureux élu et goûter au fameux méchoui de la
région. N’allez surtout pas lui demander son programme de travail ou
quels sont ses projets pour le devenir de la société. Il s’en balance
comme de l’an quarante. S’il daigne vous répondre, il vous dira avec
une franchise déconcertante qu’il a conquis de haute lutte le sésame de
la nomenklatura pour développer ses affaires ou pour briguer l’un des
hauts postes de la république, même s’il n’a jamais été capable de
prendre un journal à l’endroit.
Du jour au lendemain, un
individu pareil, catapulté dans les hautes sphères avec les méthodes
que l’on sait, est investi de la lourde charge de légiférer ou de gérer
les affaires de la communauté nationale.
Notre Kouider national,
venant tout droit de sa steppe natale et habitué à monter sur ses
ergots devant un parterre de pauvres bougres qu’il humilie avec
l’insolence de sa richesse, aura donc l’insigne honneur de représenter
et de porter haut la bannière du pays dans les forums internationaux.
Que ne donnerai-je (même ce qui me reste à vivre) pour assister à l’une
de ses rencontres avec ses homologues étrangers ou par exemple une
visite au sénat US ou plus, près de nous, l’Assemblée française ! Dans
les sujets à débattre, ses hôtes ne vont certainement pas s’éterniser
sur l’évolution de la bourse des marchés à bestiaux d’El-Harrach ou
l’incidence de la sécheresse sur le cheptel !
Quelles seront les retombées pour le pays de cette balade aux frais de la princesse ?
Une
franche rigolade devant le spectacle de cette inconscience dans le
choix des moyens humains avec lesquels nous voulons participer à la
culture universelle. Comment dans ce cas amener les autres à nous
accorder un quelconque crédit, nous écouter alors que nous leur donnons
toutes les raisons de ne pas nous prendre au sérieux, voire nous
ridiculiser et nous faire avaler tout ce qu’ils veulent ?
Où en
sommes-nous des fameux critères des années quatre-vingt, compétence,
intégrité, engagement, qui auraient dû guider la sélection des
ressources humaines et qui ont fait rêver combien de générations de
cadres de valeur avant de s’apercevoir que ce n’est qu’une des
nombreuses supercheries démagogiques ?
L’autre candidat, à
l’ambition plus modeste, qui voulait, il n’y a pas si longtemps,
simplement vivre décemment, s’est retrouvé en condition de se poser la
question : comment s’enrichir vite ? Une question à laquelle peu de
gens peuvent répondre.
Pour y parvenir, certains engagent leur
génie, leurs efforts et leurs ressources dans des entreprises dont les
résultats forcent le respect, d’autres se lancent dans les jeux de
hasard; chez nous, le loto semble avoir peu d’élus. Certains profitent
d’un héritage, mais combien d’entre nous avaient un Oncle en Amérique ?
Le reste fricote avec plus ou moins de bonheur avec les affaires.
Pourtant,
quelques-uns semblent avoir découvert une voie originale et garantie
efficace qui leur permet une ascension fulgurante en un minimum de
temps et avec peu d’effort.
Ainsi, nous constatons que du jour
au lendemain le voisin avec lequel on faisait le trajet à pied pour
aller se rincer gratuitement les yeux au marché et revenir avec la
mercuriale brûlante en mémoire, a subitement déménagé vers les
quartiers huppés et se retrouve au volant du dernier modèle sorti des
chaînes d’une marque prestigieuse.
Il commencera par vous éviter
et si par hasard vos regards se croisent vous sentirez tout le reproche
qu’il vous fait pour tout le temps qu’il a perdu en votre stérile
compagnie !
Il appartient maintenant à un autre univers avec ses
comportements et son langage dépouillé de toutes les scories du
romantisme. De partenaire des interminables parties de dominos, il
devient le point de ralliement des entrepreneurs et autres grosses
légumes. C’est lui qui décide des projets à réaliser, signe ou facilite
la signature des situations de travaux et des factures. Il est devenu
M. le Maire. D’ailleurs, la première opération avec laquelle il a
étrenné son mandat, c’est l’achat d’une limousine flambant neuf. Son
nouveau statut l’oblige à éviter d’être vu dans la voiture de service
héritée de la précédente magistrature. Madame avait applaudi cette
tendre perspective d’être baladée par son maire de mari dans un
véhicule neuf et climatisé, elle qui n’a connu que les effluves
pestilentiels des bus bondés. Elle ne se doutait pas que le changement
peut concerner d’autres domaines et n’a pas encore saisi le contenu du
programme de modernisation concocté en secret par son mari. Lorsque le
brassage de ses propres affaires devient insupportable, il se paie une
Omra pour échapper un peu à ce pénible brainstorming et remettre de
l’ordre dans ses idées tout en « rinçant ses os ».
Et dire que
tout ce cirque se passe devant tout le monde et que personne ne réagit
pour endiguer cette gangrène qui est en passe de devenir la véritable
nature de notre société. La corruption continue à fausser toutes les
tentatives de développement, et ce, dans tous les domaines. Combien de
nos responsables ont promis et juré de l’éradiquer sans y parvenir.
D’ailleurs l’ont-ils tenté avec détermination ?
Et si un beau
jour le miracle combien espéré se réalise et qu’enfin nous nous aidons
à manifester la curiosité thérapeutique de demander à ces aventuriers
de justifier leur insolente situation.
Ce jour, le grand ouf !
qui monterait des quatre coins de l’Algérie serait capable de perturber
la météo et nous ramener des pluies bienfaisantes !
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par Amara khaldi
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Au fond, c'est quoi le but de la nation ?
Un : élire le même président indéfiniment jusqu'à ce que
tous ses concurrents meurent de vieillesse et qu'il ne reste que lui, inévitable
et sans alternative.
Deux : chasser tous les chrétiens. D'abord, chez nous, puis
chez eux, puis partout où ils peuvent se trouver.
Trois : appliquer la chariâa
partout, sauf en politique. C'est-à-dire dans la rue, entre voisins, pour les
cérémonies de mariage, de divorces, pour l'habillement, dans les chansons, avec
la barbe et pour lapider les couples ou expliquer le monde, l'espace profond et
l'apesanteur.
Quatre : trouver les nouveaux codes de TPS pour pouvoir
tenir le coup entre sa propre libido et son idéologie conservatrice, et pour
pouvoir continuer à être islamiste passif le jour et zappeur astral le soir.
Cinq : continuer à se revendiquer des martyrs, mais en
essayant de ne pas crever dans le même pays qu'eux et de ne pas mourir pour les
mêmes raisons devenues démodées. C'est-à-dire, chercher l'Algérie partout dans
le monde, sauf en Algérie, et essayer de vivre partout avec, sauf dedans.
Six : continuer à vendre du pétrole pour manger et à
répéter qu'il faut trouver une alternative aux hydrocarbures, sans chercher une
alternative à la rente et à son Système de gouvernance. C'est-à-dire, continuer
à être de plus en plus dépendant en fêtant de plus en plus fréquemment
l'indépendance.
Sept : Relancer l'emploi en Algérie, en relançant l'emploi
pour les Chinois. C'est-à-dire, reconstruire l'Algérie à partir de zéro et pas
à partir de 62.
Huit : continuer à demander à la France de s'excuser pour ce
qu'elle a fait avant 1962 en lui demandant de terminer les travaux à partir de 1962.
Neuf : poursuivre le processus électoral algérien jusqu'à
obtenir l'indépendance du peuple sahraoui.
Dix : poursuivre le dialogue Etat-ENTV
en poursuivant le monologue Etat-population.
Onze : frapper les Algériens à chaque fois qu'ils veulent
se rassembler dans la rue, et les caresser à chaque fois qu'on les rassemble
dans des salles.
Douze : combattre les terroristes en disant qu'ils
n'existent pas et accueillir des repentis en disant qu'ils sont de plus en plus
nombreux.
Treize : développer la pêche à la ligne, pour empêcher le
détournement des barques par les Harraga.
Quatorze : raconter la même histoire nationale avec trente-six
millions de rôles secondaires, un seul rôle principal, pas de femme, une
caserne, deux martyrs dont l'un est curieusement toujours vivant parce qu'il
n'était pas dans le champ de bataille et un pipe-line pour les relier tous et
permettre un lien narratif entre les personnages.
Quinze : continuer ainsi. Indéfiniment jusqu'à ce que...
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par Kamel Daoud
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