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Certains de ses biographes l'ont comparée à Arthur Rimbaud. D'autres leur ont tissé des affiliations sans preuves. Il demeure que le destin d'Isabelle Eberhardt est profondément marqué par sa rencontre avec le monde musulman. Femme occidentale, journaliste et écrivaine, elle se prit de passion pour une civilisation à laquelle elle consacre l'essentiel de son œuvre. Au centre de ses nombreux articles, nouvelles, récits et romans la présence de l'Islam est une constante.
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Commencé dans l'Europe aristocrate de la fin du XIXe siècle, à
Genève, sur les bords du lac Léman, le destin d'Isabelle Eberhardt est celui
d'une femme mystique, mystérieuse, intrinsèquement humaniste. Il est celui d'une
femme, née dans la bonne société européenne, éprise de liberté et de justice.
Mais ce destin exceptionnel se poursuivra sous d'autres cieux, en Afrique du
Nord, loin... la-bas, avec sa langue, sa culture, sa religion islam.
« Moi, à qui le paisible bonheur dans une ville d'Europe ne suffira
jamais, j'ai conçu le projet hardi, pour moi réalisable, de m'établir au désert
et d'y chercher à la fois la paix et les aventures, choses conciliables avec mon
étrange nature» Isabelle Eberhardt - "Lettres et journaliers".
La Fascination pour l'Islam
Fille d'aristocrates russes exilés, née à Genève en 1877, Isabelle Eberhardt,
grandit dans une famille recomposée, cosmopolite, peu conformiste, libertaire,
avec trois demi-frères, dans un environnement multiculturel et intellectuel qui
développe chez elle une intarissable soif de découverte, une passion pour le
monde arabe et l'Islam, encouragée par son «père » Alexandre Trophimowsky,
arménien, philosophe, polyglotte. Elle apprend le Français, l'Allemand, le
Russe, le Latin, l'Italien, un peu d'Anglais et l'Arabe.
Elle entend
parler pour la première fois de l'Algérie par ses demis-frères engagés dans la
légion militaire. Quand, à 20 ans, elle accompagne sa mère souhaitant se
rapprocher de l'un de ses fils, elle découvre un pays, une culture, une religion
qui vont l'imprégner totalement. Elle est fascinée par l'Islam et va recevoir la
révélation comme une explosion en elle. « Je sentis une exaltation sans nom
emporter mon âme vers les régions ignorées de l'extase ». Elle trouve son
inspiration dans les médersas et les mosquées. Elle revendique seulement la
liberté de se convertir à l'islam, d'aimer un peuple et un pays - l'Algérie -
d'y vivre fièrement : «Nomade j'étais, quand toute petite je rêvais en
regardant les routes, nomade je resterais toute ma vie, amoureuse des horizons
changeants, des lointains encore inexplorés.»Isabelle Eberhardt.
Convertie à l'Islam, c'est déguisé en homme, drapée dans les plis de son
burnous, bottée en cavalier filali, qu'Isabelle Eberhardt va parcourir les
immenses étendues sahariennes, à la manière des soldats bédouins , en route pour
le sud constantinois.«A la place parlait et vivait un jeune musulman, un
étudiant allant à la découverte de l'Islam. Isabelle était devenue Mahmoud
Saadi. Dans sa vie et dans ses récits ce sera dorénavant ce nom qu'elle
utilisera, le nom d'un jeune taleb voyageant pour s'instruire et qui parfois,
d'un geste brusque, repoussait son guennour en arrière, découvrant un crane
carré tout bosselé et qu'elle faisait raser à la mode orientale »écrit
Edmonde Charles-Roux dans «Nomade j'étais, les années africaines d'Isabelle
Eberhardt ».
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L'amour et le soufisme
Isabelle Eberhardt va faire une expérience intérieure dans
la "zaouïa" de Kenadsa, confrérie où elle est reçue en tant que "taleb",
c'est-à-dire étudiant, plus précisément "demandeur de savoir " ou "voyageur en
quête de sens". Elle va y trouver ce vieil islam qui la fascine et qui va la
conduire vers une forme de dépouillement et de contemplation. « Etre sain de
corps, pur de toute souillure, après de grands bains d'eau fraîche, être simple
et croire, n'avoir jamais douté, n'avoir jamais à lutter contre soi-même,
attendre sans crainte et sans impatience l'heure inévitable de l'éternité… »
!
En quittant Genève et en s'enfonçant de plus en plus au coeur du
Sahara, Isabelle Eberhardt, née de père inconnu, déclarée « illégitime » à la
naissance, va rompre définitivement avec l'Occident matérialiste et
colonisateur. Elle va découvrir ces peuples du Sud qui seront les héros de ses
écrits. Au contact de la population indigène, elle observe les gens, pose sur
eux un regard d'une intense acuité, sans exotisme. Elle trouvera la réponse à sa
problématique socio-psychique dans la culture et la religion musulmane. Ces
musulmans- indigènes, Isabelle Eberhardt va non seulement prendre fait et cause
pour eux contre les colonisateurs, mais elle va également les rejoindre dans son
engagement spirituel. Ces êtres rejetés par la société colonisatrice, elle les
suit dans leur vie, dans leur destin vers la mort, dans leur chemin vers Dieu.
Elle sillonne l'Algérie du Nord au Sud, d'Est en Ouest mais c'est à El
Oued –dans le Sud- qu' Isabelle revient, rencontre Slimène Ehnni, l'homme de sa
vie, un jeune «soldat indigène» de l'armée française en Afrique du Nord, s'y
installe, se marie avec la Fatiha seulement, selon le rite musulman. L'union de
l'Européenne et du spahi indigène fait scandale. L'armée française lui refuse le
mariage civil, l'enjoignant de quitter l'Algérie, estimant que son mode de vie
est un facteur de troubles, ses fréquentations de zaouïas suscitaient la
méfiance des colonisateurs français ! Exilée à Marseille pendant un an, elle
obtient enfin l'autorisation d'épouser civilement en octobre 1901, Slimène,
grand, visage fin, teint sombre, une famille de spahis engagés depuis trois
générations, le Français étant sa langue autant que l'Arabe. Isabelle d'origine
russe, obtient la nationalité française et le couple rejoint l'Algérie en 1902.
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Le repos au cimetière de Aïn Sefra
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Calomniée, espionnée, raillée par les colons « l'étrangère, la scandaleuse», des
jours, des nuits, guettant le retour de Slimène retenu à la caserne- des
permissions rares- une promotion qui s'envole- un solde dérisoire, un semblant
de toit- un gourbi à Ain-Sefra, une volonté farouche … ! Pour son spahi, la
nomade met le pied à terre, s'assagit. finies les grandes chevauchées –Mahmoud
Saadi redeviendra Isabelle, habillée, vivant comme les femmes du Sud. «… Peu
importeraient la misère, réelle maintenant, et la vie cloîtrée parmi les femmes
arabes… Bénie serait même la dépendance absolue où je me trouve désormais
vis-à-vis de Slimène - qu'elle appelle Rouh' - mon âme… Mais ce qui me torture
et me rend la vie à peine supportable, c'est la séparation d'avec lui et l'amère
tristesse de ne pouvoir le voir que rarement, quelques instants furtifs..
».
Slimène en permission, après une longue absence, le dernier jour
passé ensemble. Aïn Safra fut en octobre 1904 le théâtre d'une grave inondation,
la ville emportée. Isabelle, affaiblie par la maladie est retrouvée morte dans
les ruines de sa maison. Trois années d'un amour incommensurable ! Enterrée
selon le rituel musulman, au cimetière de Aïn Sefra, sa tombe est jusqu'à nos
jours visitée. Isabelle n'avait que 27 ans. De la mort, elle a écrit : "
Tout le grand charme poignant de la vie vient peut-être de la certitude absolue
de la mort. Si les choses devaient durer, elles nous sembleraient indignes
d'attachement. " (A l'ombre chaude de l'Islam)
De sa courte vie,
elle en fit un long voyage « .. la fièvre d'errer me reprendra, que je m'en
irai; oui, je sais que je suis encore bien loin de la sagesse des fakirs et des
anachorètes musulmans… Au fond, cela serait la fin souhaitable quand la
lassitude et le désenchantement viendront après des années- Finir dans la paix
et le silence de quelque zaouïa du Sud, finir en récitant des oraisons
extatiques, sans désirs ni regrets, en face des horizons splendides… !»
Slimène, très affecté par la disparition, d'isabelle, ne lui survivra que trois
ans.
Cent ans après sa mort, Isabelle Eberhardt reste un personnage
fascinant. Une femme d'exception transcendée par une religion « l'Islam : «
Ainsi, nomade et sans autre patrie que l'Islam…C'est bien la paix, le bonheur
musulman- et qui sait ? peut-être bien la sagesse... »
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Pour aller plus loin, en plus des nombreuses biographies, on peut consulter: Yasmina (1902), Le Major (1903), La Rivale (1904), Nouvelles algériennes (1905), Dans l'ombre chaude de l'islam (1906), Les Journaliers (1922) .
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Nacéra Hamouche
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