de Jean-Pierre Lledo
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C’est finalement à Montréal qu’a eu lieu l’avant-première « algérienne » du documentaire de Jean-Pierre Lledo, Algérie, histoire à ne pas dire, après l’annulation des projections publiques prévues en juin dernier en Algérie et la non-délivrance d’un visa d’exploitation par le ministère de la Culture.
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C’est le réalisateur lui-même qui l’a soutenu, dimanche dernier, devant une salle comble à l’Office national du film du Canada. Les présents, pour la majorité des Algériens vivant dans la métropole québécoise, sont venus assister à la projection de son documentaire dans le cadre des Journées du cinéma algérien, organisées par l’Union des artistes algéro-canadiens (UDAAC). « Ma venue à Montréal ressemble à un déplacement entre Bab El Oued et Belcourt. Ce n’est plus la traversée de l’Atlantique ! », affirme-t-il calmement à une salle qui a suivi religieusement pendant 2 heures et 35 minutes les quatre personnages du documentaire de Skikda à Oran en passant par Alger et Constantine. Une projection à Montréal rendue possible grâce à la ténacité de la présidente de l’UDAAC, Zineb Sahli, qui a proposé au réalisateur de venir présenter son film au Canada après l’annulation des projections publiques en Algérie. Le documentaire qui aborde le délicat sujet des « victimes civiles » européennes de la guerre de Libération nationale braque les projecteurs sur le massacre des Européens dans le Nord-Constantinois en août 1955 et à Oran le 5 juillet 1962, la mort du chanteur juif de malouf, Raymond Leyris, et les attentats à la bombe durant la Bataille d’Alger. Le message « subjectif » de Jean-Pierre Lledo repose sur une question : pourquoi l’ALN a-t-elle désigné le « gaouri » comme l’ennemi à abattre au faciès ? On se retrouve devant des images forcément dérangeantes où Louisette Ighilahriz doit s’expliquer sur le recours aux attentats à la bombe qui ont ciblé des « civils européens ». Elle répond passionnément, dans le film, à l’insistance du réalisateur : « Mais c’était une guerre inégale. » Tout en rappelant que c’était dans un contexte de guerre pour l’indépendance, ceci renvoie à la célèbre phrase de Larbi Ben M’hidi : « Donnez-nous vos avions, nous vous donnerons nos couffins. » Pour ce réalisateur algérien de mère judéo-berbère et de père d’origine catalane, le film est forcément personnel. « Je pense qu’au fond, j’ai choisi de faire du ciné ma juste cause pour réaliser ce film. » « Quelqu’un d’ autre n’aurait pas pu faire ce film », affirme-t-il modestement. Un Algérien, résidant au Canada depuis plus de 30 ans, a interpellé le réalisateur sur « le déséquilibre » dans le traitement du sujet à une sorte de sélection ou de hiérarchisation de la douleur. Après tout, ce sont les Français qui ont envahi l’Algérie et non le contraire. « Pourquoi n’avez-vous pas parlé des massacres des Algériens le 8 mai 1945, de la Basse Casbah qui a été défigurée par l’envahisseur ? » Jean-Pierre Lledo rappelle qu’il n’a aucun problème avec la question du moment, que quand il a réalisé son film Un rêve algérien sur Henri Alleg, il aborde le sujet de la torture systématique pratiquée par l’armée française en Algérie. A propos des Juifs d’Algérie qui ont opté pour la francisation grâce au décret Isaac-Jacob Crémieux de 1870, leur départ est naturel après l’indépendance de l’Algérie, suggère le même intervenant. Ils ont choisi leur camp. Pour Jean-Pierre Lledo, qui fait appel à un écrit de l’historien Mohamed Harbi, les Juifs d’ Algérie avaient un statut de Dhimi qui leur imposait certaines restrictions et, de ce fait, opter pour la citoyenneté française changerait radicalement leur statut en tant que minorité. Pour le réalisateur qui croit que le modèle sud-africain sur la cohabitation des Européens et des Africains aurait pu être une voie après le recouvrement de l’indépendance de l’Algérie, et ce, à l’image de Kheireddine, le personnage oranais du documentaire : « Tout le monde sait que l’histoire officielle apprise l’école est fausse. Reste maintenant à chercher la vérité. » Mais, devant certains passages du film qui ne passent pas, on est tout simplement enclins à dire : c’était juste l’histoire en marche.
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