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Jeudi 15 novembre, au moment où l'Algérie des salons spéculait sur la venue ou non de Enrico Macias, l'Élysée conviait une dizaine d'écrivains pour fêter le cinquantième anniversaire du prix Nobel de Littérature octroyé à Albert Camus. Furent présents à cette cérémonie plutôt intime : Catherine Camus (la fille de l'’écrivain), Jean Daniel, Olivier Todd, Amine Maalouf, Daniel Rondeau, Richard Millet, Jean-Noël Pancrazi, Yasmine Ghata, Colette Fellous et… Yasmina Khadra s’il vous plait!. Je vais commencer par une blague en citant Nicolas Sarkozy qui ne s’empêcha pas de lancer à la cantonade : “Grâce à Albert Camus, j'ai la nostalgie, chaque fois que je vais en Algérie, de ne pas être né en Afrique du Nord”. Sacré Sarkozy, il en arriverait à dérouter les plus éminents linguistes. Faisons une rapide incursion dans la pensée Sarkozienne en guise d'’étude de texte comme on faisait dans le bon vieux temps et voyons ce qui ne fonctionne pas dans la phraséologie de notre bouillonnant président : Primo, on a la nostalgie de quelque chose que l'on a connue et qui n’existe plus. Conséquence, Sarkozy, n’étant pas né et n’ayant pas vécu en Algérie, ne peut pas être nostalgique de ce qu’il n’a jamais connu.
Secundo, Sarkozy est pris de nostalgie à chaque fois qu’il visite L'Algérie mais son regret c'est de ne pas être né en Afrique du nord. Autrement dit, il aurait pu naître au Maroc ou en Tunisie et pourquoi pas en Libye ou en Mauritanie, mais il serait tout de même nostalgique de l'Algérie. La distance géographique peut en effet disparaître pour peu que les vents cléments de l'Est, de l’Ouest, ou même du Sud, charrient dans leur sillage ces senteurs enivrantes typiques de l'Algérie chère à Alphonse Daudet (Lettres de mon moulin). Mais comme je devine que la culture de Sarkozy est quand même solide malgré son côté un peu brigadier CRS, je mettrai cette faute de style sur le compte des distractions furtives que seul un millésimé Champagne sait engendrer. Passons à l’essentiel. Il est de notoriété publique que dans les salons littéraires, Camus n’a jamais fait l’unanimité quant à son positionnement politique durant la guerre d’Algérie. Son humanisme légendaire le portait en effet à fustiger la voracité des colons qui créaient les conditions de leur propre malheur en soumettant les indigènes à toutes sortes d’humiliations mais son amour pour la mère-patrie le poussait à se positionner contre le besoin de justice quand celui-ci s’exprime à travers les armes ou ce qu’il appelle la terreur. Dans un discours prononcé à l’université de Stockholm il dit ceci, "J'ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément dans les rues d'Alger, et qui, un jour, peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice mais je défendrai ma mère avant la justice." Cette phrase sonna comme une douce mélodie aux oreilles des Pieds noirs qui en firent l’un des leurs puisque comme eux, il s’érige en défenseur ultime de la mère (entendre mère-patrie). Pourtant le besoin de justice a toujours été au centre de la pensée Camusienne. Ne dit-il pas que la condition humaine est absurde et que l'’homme n’a d'’autre choix que de se révolter? Dans sa pièce ‘’Les Justes’’ (1950), Camus concéda ‘’J'ai compris qu'il ne suffisait pas de dénoncer l'injustice. Il fallait donner sa vie pour la combattre’’. Ainsi, Le maximalisme auquel l’auteur de la Peste en appelle est celui-là même dont s’est prévalu le FLN durant les années de braise. Le FLN de l'époque (pas celui de Belkhadem Allah Yastar) n’était pas un nid de terroristes mais un groupe d’hommes qui voulurent mettre un terme à leur condition humaine absurde. On voit bien que l'écrivain est traversé par des contradictions qui rendent son œuvre littéraire sublime et son action politique illisible. Il est un peu à l’image du Général de Gaulle qui un jour de 1958 à Mostaganem prononça son fameux ‘’Je vous ai compris’’. Les arabes comprenant qu’il les a compris et les colons aussi! Ce fut une belle pirouette pour sortir d’une impasse politique mais elle n’avait pas le mérite de la clarté. Camus est aussi le digne héritier de cette France un peu franchouillarde qui répugne à donner du sens et de la matérialité aux idées généreuses qu’elle porte dans l'imaginaire universel, dès lors que ses intérêts étroits sont questionnés. Comme si son sens de l'altérité se dissipait devant les calculs d'épicier. Il est difficile de décrire en si peu de temps et en si peu de mots la complexité de l’œuvre de Camus et la dimension extraordinaire de l’homme qui avait, sans doute, sa part d’ombre mais aussi sa part de lumière. L’histoire retient d’ores et déjà qu’il a été ce grand humaniste qui parla de cette terre algérienne avec beaucoup de générosité et de grandiloquence, en atteste ce passage sublime dans lequel il dit : « j’ai aimé avec passion cette terre où je suis né, j’y ai puisé tout ce que je suis et je n’ai jamais séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent, de quelque race qu’ils soient. Bien que j’aie connu et partagé les misères qui ne lui manquent pas, elle est restée pour moi la terre du bonheur, de l’énergie et de la création. ». En ce cinquantième anniversaire de son couronnement par l'institution Suédoise, ne boudons pas notre plaisir et, savourons ce délicieux extrait du discours que Camus prononça le 10 décembre 1957 à la clôture de cérémonie de la remise des prix Nobel. J’ose simplement espérer que Yasmina Khadra qui goûta aux petits fours Élyséens et au thé à la menthe Bouteflikien apprécie la profondeur et la justesse du propos. ‘’ ..Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre ou de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance’’.
Yasmina Khadra entendra
t-il Camus?
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Larbi Chelabi
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Yasmina Khadra vu par Leila Aslaoui
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Le «koursisme » n’est pas seulement la course pour le siège éjectable, c’est une opinion, une conviction, un mode de pensée, un savoir-faire. Lorsqu’on en est atteint, on ne peut pas s’appeler Mohamed Benchicou, Boualem Sansal, le commandant Azzedine, ou Abdelaziz Rahabi. Le profil du koursiste est bien défini. L’exemple tout à fait récent nous est fourni par Mohamed Moulesshoul, alias Yasmina Khadra, nommé et installé mardi 13 novembre 2007 à la tête du Centre culturel algérien à Paris. En d’autres temps, j’aurais vivement et sincèrement applaudi à cette nomination car quoi de plus judicieux qu’un homme de culture à la tête d’une structure culturelle et qui plus est à l’étranger ? Pour avoir lu tous les ouvrages — Tous sans exception — de cet écrivain, je ne saurais décrire avec des mots l’admiration sans limites qui était mienne pour sa plume libre et son ton tout aussi libre.
L’ex-commandant
Mohamed Moulesshoul ne m’a pas laissé, quant à lui, indifférente car ce
n’est pas commun dans notre pays de voir un homme choisir la plume au
détriment de sa carrière. Mais aujourd’hui Mohamed Moulesshoul, alias
Yasmina Khadra, ne peut nous interdire — quand bien même la critique
l’insupporte et nous sommes nombreux à avoir conservé le souvenir de
son «coup de gueule» contre El Khabar qualifiant l’un de ses
journalistes de «criminel» (voir El Watan 2 novembre 2006) au café
littéraire du Salon du livre en 2006 — de nous poser des questions. Et
ce pour une raison évidente. L’homme dit avoir été honoré de la
confiance placée en lui par Abdelaziz Bouteflika. Que signifie donc ce
mot pour ce dernier lorsqu’on sait que ses ministres nommés, renommés,
reconduits par lui, ont été l’objet de colères bouteflikiennes
publiques, dix jours, quinze jours après leur nomination ? L’autre
raison réside dans le fait que Mohamed Moulesshoul, alias Yasmina
Khadra, avait publié un réquisitoire très sévère contre le régime
actuel dans El Païs (quotidien espagnol) le 1er juin 2007. Je l’avais,
pour ma part, lu dans l’édition du Soir d’Algérie du 3 juin 2007. J’ai
conservé l’article parce que j’avais trouvé les mots justes et tout à
fait conformes la réalité. Je ne pensais pas m’en servir. Aujourd’hui,
j’en reproduis quelques extraits : «Dans ce monastère triste et
désœuvré qu’est devenue l’Algérie tous les clochers sont en berne.
Fêlés, misérables et laids telle est la fanfare préférée de nos
gouvernants... A chaque banqueroute, ils nous promettent de revoir
leurs copies et de se corriger et oublient l’essentiel. Ce ne sont pas
leurs copies qui sont en cause mais eux-mêmes. Lors des dernières
élections législatives, le peuple algérien a été clair. En n’allant pas
voter, il leur a signifié qu’il ne voulait plus d’eux. Jamais un taux
d’abstention n’a été aussi péremptoire et expéditif. Ce cri de
désespoir a-t-il été entendu ? Non ! Les mêmes incompétences nous
proposent les mêmes malheurs. Le peuple algérien se retrouve à la case
départ : otage du système pourri face aux mêmes incertitudes.» La
chronique est plus longue, j’ai choisi quelques extraits les plus
significatifs. S’il n’y avait pas eu ce réquisitoire, l’on aurait pu se
montrer indulgent et se dire que Mohamed Moulesshoul a fait preuve de
candeur politique. Mais, que s’est-il donc passé pour que le même
Moulesshoul, alias Yasmina Khadra, ait soudainement découvert des
vertus au «système pourri» ? (ses propos à lui). «La confiance placée
en lui» est plutôt à mettre dans le registre langue de bois. Non, la
réponse est ailleurs : Mohamed Moulesshoul a déclaré aux journalistes
présents lors de son installation officielle qu’il préparait un ouvrage
sur la réconciliation nationale entre Algériens. Voilà tout est dit
dans cette réponse. Inutile de tenter de retrouver le militaire qui dit
«avoir cassé du terroriste». Mohamed Benchicou continue à faire un
tabac avec ses ventes-dédicaces, il mène son combat contre vents et
marées, tandis que l’autre... Mais qui est l’autre ? Je ne le connais
plus. Mohamed Moulesshoul est directeur du Centre culturel algérien à
Paris. La page est tournée, définitivement tournée. Je comprends mieux
que des compatriotes de bonne foi suspectent souvent des hommes et
femmes publics dont la voix est discordante de courir derrière le
«koursi». Et pourtant ! Des Algériens(ennes) qui ne vendent pas leur
âme, cela existe fort heureusement quand bien même le prix à payer est
fort coûteux. C’est le prix de la liberté, celle qui consiste chaque
jour à se dire que l’on n’a nullement besoin de gouvernants pour
exister et pour vivre.
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Leila Aslaoui
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