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Il faut se poser cette question car nous entendons souvent ces termes
employés par la presse pour définir les partis qui se présentent aux
élections sous la bannière d’un Islam assagi et tolérant comme en
Turquie par exemple, ou au Maroc ou en Algérie, des Islamistes qui
officiellement se disent prêts à jouer le jeu démocratique pour
parvenir au pouvoir, on pourrait dire, dans les règles de l’Art
politique.
L’islamisme politique se définit comme une idéologie se réclamant de
l’Islam qui a des ambitions sociales et politiques, son effort porte
sur la conduite des hommes et prône la solidarité et la fraternité au
sein de la communauté, des valeurs éminemment respectables que chacun
peut revendiquer. Mais cette idéologie prend sa source essentiellement
dans la Chariaa qui, plus qu’un code de conduite, est un ensemble de
lois juridiques et sociales extrêmement précises et contraignantes
accompagnées par des châtiments corporels, comme la lapidation ou
l’amputation d’un membre, qui peuvent sembler barbares dans leur
application dans certains pays rétrogrades.
La première question qu’il faut poser à ces islamistes modérés est
celle-ci : sont-ils pour l’application de la Chariaa et de ses
châtiments corporels ? Pour être honnête, je ne pense pas sincèrement
qu’un Erdogan ou un Güll, au pouvoir actuellement en Turquie,
prôneraient l’application de châtiments corporels, cela provoquerait un
véritable tollé dans cette Europe dont ils ont l’ambition
officiellement de faire partie. Par contre, ces deux dirigeants sont
certainement pour l’abolition de la laïcité qui préconise la neutralité
de l’Etat envers les religions, pour l’instauration d’un régime
islamiste et surtout pour l’affirmation d’un dogme, créateur d’une
pensée unique, une porte ouverte à l’instauration d’un ordre moral et
d’une censure rigoureuse. Pourrait-on nier l’existence de Dieu dans ce
type de régime sans redouter d’être taxé d’apostasie et de craindre
pour sa propre vie ? Pourrait-on enseigner dans les universités les
théories de l’évolution qui replacent dans leur véritable contexte
l’origine de la vie? Aurais-je le droit, en tant qu’individu,
d’exister, de me comporter, de penser et de dire ce que je veux dans
les limites de la liberté de l’autre ?
Si l’Islam prôné par les islamistes consiste à respecter les valeurs de
la science et la primauté de celle-ci sur toutes autres considérations,
alors que signifie le fait d’être islamiste ?
Etre musulman est une chose, être islamiste en est une autre.
J’aimerais comprendre par exemple pourquoi les épouses des deux
principaux dirigeants turcs sont voilées. Que signifie le fait de
porter tailleurs et pantalons et de s’affubler d’un foulard ou
peut-être est-ce cela qui définit l’islamiste modéré? J’aimerais
demander respectueusement à ces deux femmes si elles accepteraient de
perdre les droits civiques dont elles disposent dans la Turquie laïque
pour devenir des mineures sur le plan juridique si par malheur un
régime islamiste était mis en place dans ce beau pays.
C’est peut-être cette confusion entretenue qui m’inspire une solide
méfiance envers ce qu’on appelle « islamiste modéré» car je pense
sincèrement qu’on est un islamiste modéré dans l’opposition et un
islamiste pur et dur au pouvoir. L’islamisme politique a la volonté de
régenter la vie sociale et intime des citoyens et je ne parle pas du
statut des femmes reléguées dans un état de soumission qui est une
véritable insulte à l’intelligence. Dans un régime islamiste,
l’ensemble des citoyens est censé vivre dans la soumission de la loi
divine dont l’interprétation est laissée à quelques théologiens qui
disposent du vrai pouvoir comme on le constate en Iran ou sous la
sinistre tyrannie de ce qu’on a appelé les talibans en Afghanistan
lorsqu’ils étaient au pouvoir. Il ne peut y avoir de cohabitation entre
le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel car le pouvoir ne peut se
partager et toutes les sociétés démocratiques ont fait ce partage et
donné à chacun son espace d’expression. Au pouvoir temporel, celui de
la gestion des hommes et de leur imbroglio, et au spirituel,
l’opportunité laissée à chaque individu de répondre à sa manière aux
interrogations existentielles dans une relation libre et ouverte avec
sa propre conscience. Mais le pouvoir engendre trop d’appétits pour que
ce partage se fasse sereinement et il a fallu des luttes parfois
sanglantes pour reléguer le pouvoir des religieux dans leur seul espace
spirituel. Je constate avec désespoir que la lutte à mener est loin
d’être gagnée et que l’hydre semble renaître, se nourrissant de la peur
des hommes et de leur angoisse existentielle.
Le Monde arabe est malade de sa surenchère religieuse, entre islamistes
modérés et intégristes de tous bords, les Arabes s’accrochent à leur
religion comme à une planche de salut sur un océan de tourmentes en en
faisant leur seule identité et leur seule référence, oubliant le grand
profit à entendre et à connaître les autres peuples. Qu’il était grand
le temps où l’Islam recommandait d’aller chercher la connaissance
jusqu’en Chine. On ne peut cloisonner sa pensée sans dommage car la
modernité s’imposera un jour ou l’autre, inexorablement. La sanction du
réel, celle de la vérité scientifique, balaiera tous les dogmes.
Prendre le train de la modernité, c’est commencer par relativiser ses
propres croyances et surtout accepter de vivre avec sa propre
ignorance. A tous les excités de tous bords qui se croient investis
d’une mission divine, on a envie de recommander plus de modestie et de
tolérance, le maître mot pour un « vivre mieux » ensemble, harmonieux
et pacifique.
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Foued Zaouche |
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