La guerre en différé
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«Il a fallu cinquante ans pour que les événements d’Algérie soient enfin et officiellement reconnus comme une guerre et non comme de simples opérations de maintien de l’ordre public ainsi que tous les gouvernements successifs, jusqu’en 1999, et de nombreux manuels d’histoire les présentaient».
Maxime Gremetz, député communiste
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Plus de quatre décennies après l’indépendance de l’Algérie, les mines antipersonnel continuent de semer la mort parmi des civils innocents. Ce sont souvent des enfants et des bergers qui se font prendre par la détonation fatale. Des campagnes de déminage, à la fois difficiles et coûteuses, ont été effectuées par l’Algérie depuis 1963. Ces opérations ont permis d’éliminer près de huit millions de mines antipersonnel et de nettoyer plus de 50.000ha de terres. Néanmoins, à l’heure actuelle, trois millions de mines demeurent enfouies dans les bandes frontalières de l’est et de l’ouest du pays. Profondément marquée par ce danger permanent et invisible, l’Algérie, qui a ratifié la Convention d’Ottawa en décembre 2000, n’a jamais cessé d’alerter l’opinion internationale sur la nécessité d’éliminer ces engins de la mort. Officiellement, la guerre d’Algérie s’est arrêtée le 5 juillet 1962. Dans les faits, ce n’est que 45 années plus tard que la France a enfin daigné -contre toute attente- donner le plan des mines indétectables et tueuses d’enfants comme la mine API 51.
«Pour Jean M.Manach, cette décision, ´´qui était attendue par l’Algérie, marque la volonté des autorités françaises de progresser pour lever les obstacles hérités du passé et leur souhait de bâtir des relations de confiance avec l’Algérie´´ En novembre 2005, rappelait en janvier dernier El Watan, le président Abdelaziz Bouteflika avait ainsi ´´dénoncé le passé de la France coloniale, eu égard au nombre important de mines antipersonnel et de mines en général, qui ont été semées à travers le territoire national, regrettant par la même occasion le fait que la France n’ait pas daigné nous fournir la cartographie pouvant faciliter le déminage de ces régions». Près de cinquante ans après, elles tuent encore régulièrement, «en particulier des enfants et des bergers», souligne El Watan, pour qui le nombre de victimes, depuis l’indépendance, s’établirait entre 3000 et 40.000 morts et 80.000 blessés. Les autorités algériennes estiment avoir désamorcé 8 millions de ces mines entre 1963 et 1988, et un peu plus de 218.000 depuis 2004. Mais 3 des 11 millions de mines antipersonnel dissimulées par l’armée française n’ont toujours pas été désamorcées. La Gendarmerie nationale a ainsi saisi, ces derniers mois, 108.000 mines antipersonnel (´´modèle 1957´´) contenant chacune plus de 100 grammes de TNT».(1)
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L’expertise française et le danger des mines
Cette revendication des plans, tous les présidents qui se sont succédé l’ont faite, en vain! Pourquoi la France «mère des arts, des armes et des lois» qui se pique de s’introniser «patrie des droits de l’homme», est-elle restée sourde à cet appel de détresse de tous les petits enfants et des bergers et des paysans qui affrontent la mort ou le handicap au quotidien? Pourquoi maintenant? Est-ce en prévision de la visite de Sarkozy en décembre, où, semble-t-il, un contrat d’armement est prévu? Pour les journaux dits de gauche, il doit être insupportable de reconnaître au président Sarkozy le mérite d’avoir fait ce que tous les autres présidents, y compris Mitterrand, 14 ans au pouvoir, ont refusé avec obstination. De quoi s’agit-il en fait? La ligne Morice, barrage électrifié et miné surveillé en permanence, fut construite à partir de juillet 1957, le long des frontières de l’Algérie avec la Tunisie et le Maroc. Longue de 460km à la frontière tunisienne et de 700km avec le Maroc, la ligne Morice a été partiellement doublée par une autre ligne dite ligne Challe du nom du général Maurice Challe. L’armée française a semé le long des frontières avec le Maroc et la Tunisie onze millions de mines antipersonnel lors de la guerre d’Algérie. La France connaît le danger des mines chez elle. Elle a été truffée de mines et de bombes pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment par l’occupant nazi. Elle connaît le traumatisme des enfants handicapés à vie. Dans une intervention au Sénat français, le sénateur Michel Pelchat déclare: «La lutte contre une centaine de millions de mines antipersonnel disséminées à travers le monde pose un problème dramatique, car la difficulté réside, non pas dans la destruction des mines, mais dans le repérage des champs de mines... Pourtant, dans ce domaine, la France n’a pas été en mesure de jouer le rôle qui aurait dû être le sien, tant sur le plan européen qu’à l’échelle internationale. Ainsi, dans un pays ami comme le Cambodge, qui ne pourra être reconstruit tant qu’il ne sera pas débarrassé de ces armes infernales et meurtrières, aujourd’hui, seuls 148 kilomètres carrés, sur plus de 1000 kilomètres carrés concernés, ont été déminés. Et la part de la France dans ce déminage insuffisant a malheureusement été, jusqu’à présent, beaucoup trop faible. Le savoir-faire de la France n’est pas suffisamment exploité, monsieur le secrétaire d’Etat».(2). On remarquera au passage, que la France offre ses services à des contrées lointaines au nom de l’humanitaire, mais qu’elle reste sourde à l’appel pour le déminage de milliers d’ha qu’elle a elle-même truffée de mines.
La France doit, dans le cadre des dispositions de la Convention d’Ottawa, reconnaître ses responsabilités où plus de 120.000 victimes algériennes des mines antipersonnel dont 40.000 sont mortes et 80.000 handicapés à vie. Sur les 11 millions de mines posées par l’armée française, huit millions ont été désamorcées, trois millions restent enfouies dans les secteurs frontaliers de l’Algérie. Les mines ne sont pas seulement disséminées à la frontière mais partout où l’armée française en sentait la nécessité de protéger ses arrières. Ainsi, le 26 août 2007, un enfant, âgé de 14 ans, a sauté sur une bombe antipersonnel datant de l’époque coloniale, enfouie sous terre dans la région de Béni Ksila, près du littoral, à l’ouest de Béjaïa. La victime, qui a eu une jambe amputée à la suite de cet accident, voulait cueillir des figues lorsqu’elle a marché sur l’engin explosif. En même temps, les mines antipersonnel sont des armes extrêmement simples, donc très faciles à produire et d’un coût très bas. Les éléments de base qui les constituent sont des produits courants. Les modèles les plus classiques sont très faciles à copier. On peut même en fabriquer de façon artisanale: en Bosnie-Herzégovine, on relève des mines élaborées avec des boîtes de conserve ou des bouteilles de lait.(3)
L’évolution technique a rendu les mines de moins en moins détectables, voire totalement indétectables. Ainsi, nombre de modèles ne comprennent plus aucune pièce de métal, et peuvent échapper désormais au repérage au moyen des classiques ´´poêles à frire´´. Le rythme du déminage est, dans ces conditions, de 15m² par démineur et par jour...Pour citer des coûts effectifs, le Koweït a payé en 1992, 100 millions de dollars pour enlever 330.000 mines antipersonnel en dix mois. Cette opération a ainsi coûté 330 dollars la mine.Les ordres de grandeur sont bien connus: 100 à 120 millions de mines seraient disséminées, dont 65 millions auraient été posées depuis 1980. Il y aurait notamment entre 10 et 30 millions de mines sur le sol afghan, 20 millions en Angola, 10 millions en Irak, 8 millions au Cambodge, 3 à 6 millions en Bosnie-Herzégovine, 3 millions en Croatie, 3 millions en Algérie qui attendent depuis un demi-siècle...On considère que les mines antipersonnel font aujourd’hui, dans les zones où elles ont été disséminées, une victime toutes les vingt-deux minutes. A ces souffrances humaines s’ajoute, pour la société des pays victimes des mines antipersonnel, un coût financier énorme. Les morts laissent des orphelins qu’il faut secourir; les blessés réclament des soins, les mines font aussi des invalides non seulement incapables de travailler désormais mais demandant une assistance permanente. Enfin, des zones fertiles entières ne peuvent plus être cultivées sans risques graves.
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Le déminage de la France après 1945
Le déminage de la France après 1945 a été une tâche essentielle de la reconstruction du pays. La neutralisation des millions de mines restées tapies dans le sol national fut ainsi un préalable à la sortie définitive de la guerre. Les mines ont été utilisées de façon massive lors de la Seconde Guerre mondiale par tous les belligérants. La France en avait reçu plusieurs générations. Ramené à 13 millions, ce chiffre représentait tout de même 500.000 hectares. Les démineurs britanniques formèrent les premiers démineurs français. La saisie des documents du commandement militaire qui suivit la reddition allemande permit de connaître les détails des plans des champs de mines, leur disposition et les différents types d’amorçage et d’explosifs employés. Restait à trouver la main-d’oeuvre qui accepterait un travail au cours duquel les accidents mortels étaient fréquents. Le Déminage recruta des volontaires -souvent jeunes et sans travail- attirés par des salaires élevés. Un peu plus de trois mille démineurs furent engagés jusqu’au début de 1946. Malgré l’article 31 de la Convention de Genève (1929) interdisant l’emploi des prisonniers de guerre à des tâches dangereuses, la direction du Déminage obtient des Alliés l’autorisation de prélever un contingent de plusieurs milliers de prisonniers de guerre allemands sur les 500.000 affectés à la France pour des travaux d’intérêt public. Malgré les précautions et la formation, les accidents furent nombreux. Il y eut au moins 1800 morts parmi les Allemands et 500 du côté français. A la fin de 1947, les travaux de déminage étaient considérés comme achevés.(4) On remarquera que, contrairement à l’Algérie, la France qui a eu sensiblement la même quantité de mines, s’est appuyée fondamentalement sur les plans allemands avec des soldats allemands pour déminer.
Tahar Fattani, de L’Expression, s’interroge sur le pourquoi de cette offre inattendue? «Se dirige-t-on, écrit-il, vers la levée des obstacles hérités de l’époque coloniale? La France fait le premier "geste"...Ce geste, serait-il pour la France le début du retour sur son passé colonial en Algérie? Il reste à attendre que la France prenne d’autres initiatives pour confirmer sa bonne intention. Outre le volet historique, cette démarche s’inscrit dans un cadre purement sécuritaire. Comment? La France affiche une grande volonté de collaborer avec les services algériens pour faire face à la menace terroriste, aussi bien en Algérie que dans l’Hexagone. Les mines antipersonnel sont l’une des principales sources de munitions pour les groupes armés. Les réseaux terroristes tentent d’extraire, à partir de ces mines, la matière explosive pour fabriquer ensuite des bombes artisanales. Autrement dit, ils s’approvisionnent en TNT pour la fabrication de bombes. Les services de sécurité chargés du dossier avaient affirmé l’utilisation des explosifs dans des attentats terroristes».(5)
Pour Fares N. de La Nouvelle République, Il a fallu à la France plus de 45 ans après l’indépendance de l’Algérie pour qu’enfin cela arrive. Pour le simple civil algérien ou même français qui apprend qu’un pays qui se veut de liberté et d’humanisme comme la France a maintenu le secret, pendant 45 années de trop, sur le plan de pose de mines qui ne devaient plus avoir le moindre rôle militaire dans un pays libéré et désormais indépendant, ne peut être qu’assimilé à une volonté criminelle délibérée de provoquer de nouvelles victimes parmi les populations algériennes. Si l’achat d’une mine antipersonnel coûte environ 30 dollars US, son enlèvement est estimé par conséquent à entre 500 et 1000 dollars US. On compte depuis 1975 plus d’un million de victimes dans le monde, en majorité des enfants et plus de 250.000 personnes ayant perdu un membre de leur corps par l’explosion d’une mine antipersonnel. (6).
Il faut en fait, rappeler une constante. En 1962 la France a admis l’indépendance de l’Algérie en tant que territoire. Cependant, il est curieux de constater que les 6 présidents de la République qui se sont succédé depuis 1962, qu’ils soient de droite ou de gauche, font preuve vis-à-vis de l’Algérie d’un unanimisme jamais démenti. Qu’on se souvienne! Il a fallu près de quarante ans pour que la France reconnaisse qu’il y eut une vraie guerre en Algérie. Ce n’était pas un vulgaire maintien de l’ordre contre de vulgaires hors-la-loi ou mieux fellagas.
Cette stratégie du compte-gouttes tient l’Algérie en apnée, elle en est à revendiquer son dû pendant des décennies. A titre d’exemple, deux autres dossiers aussi tragiques n’ont toujours pas vu de début de solution. Il s’agit de la responsabilité de la France dans la dizaine d’explosions atomiques au Sahara avec le désastre humanitaire y afférent. Un vaste territoire est encore contaminé. Il continuera à l’être longtemps. Dans 25.000 ans, l’uranium sera à sa demi-vie.
De plus, la tectonique et l’érosion des sols fera qu’après un demi-siècle, il est fort probable que les mines ont bougé. Elles ne sont plus là où elles étaient. Le deuxième dossier et non des moindres, est celui des archives de l’Algérie, déménagées entre mars et juillet 1962. C’est toute la mémoire d’un peuple qui est prise en otage. Apparemment, des deux côtés, on ne semble pas pressé; serait-ce parce que certains dossiers seraient toujours d’actualité? Il est incompréhensible, en définitive, que la France soit restée sourde à la demande de l’Algérie concernant les plans de déminage. Doit-on attendre encore des dizaines d’années pour que l’Algérie soit enfin totalement indépendante en récupérant sa mémoire? La «réal politique» de Sarkozy est en définitive, un troc: signer des contrats tous azimuts, contre la remise -en principe humanitaire et sans condition- des cartes pour le déminage en espérant qu’elles soient toujours opérationnelles. Les relations entre l’Algérie et la France ne doivent pas,de notre point de vue, se réduire à une affaire de gros sous. Les deux peuples «anciens adversaires intimes» sont à même de servir de modérateurs dans une région qui a grand besoin de stabilité.
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1.Jean Marc Manach:Algérie: la France révèle l’implantation des mines antipersonnel posées pendant la guerre Le Monde 22.10.2007
2.http://www.senat.fr/seances/s200010/s20001010/html
3.Robert
Gaïa: Avis autorisant la ratification du protocole sur l’interdiction
ou la limitation de l’emploi des mines,
http://www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r0995.asp
4.Danièle
Voldman, Revue Les Chemins de la Mémoire n°153-Septembre 2005
http://193.45.254.59/page/affichepage.php?idLang=fr&idPage=3509
5.Tahar Fattani: Un pan de l’histoire levé L’Expression du 21.10.2007
6.Farès N. Le bon geste, tardif La Nouvelle République 21-10-2007
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Pr Chems Eddine CHITOUR
le 25-10-07
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