Sid-Ahmed Serri
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« La musique andalouse est belle dans son imperfection » Gontran Dessagnes.
Sid-Ahmed Serri est une référence de la musique andalouse. Ayant à son actif plus d’un demi-siècle d’expérience, il a consacré toute sa vie à l’enseignement et au chant.
C’est avec une classe et une modestie incommensurable que le maître a accepté en l’espace de trois heures de revenir sur son passé. Un passé auréolé de rencontres et de succès. Les quatre vingt ans passés, Ahmed Serri — qui en paraît beaucoup moins — parle avec beaucoup de passion de l’andalou. D’une voix douce, il confie que dès son jeune âge, il a aimé cette musique. « Je suis presque né avec l’amour de cette musique », confie-t-il sur un ton ironique. Le petit Sid-Ahmed a été bercé au sein d’une famille de mélomanes. Il y avait toujours du chant dans la maisonnée. Son grand-père était moqadem de la confrérie des Aïssaouia. Ses parents l’inscrivent à la mosquée de la Pêcherie d’Alger où se pratiquaient les rites hanifites, connus pour ses intonations découlant des différents modes andalous. Il y a appris à faire l’appel à la prière. Par la suite, il officia derrière l’imam. En 1945, il adhère successivement aux associations El Andaloussia puis El Hayat qu’il quitte pour rejoindre El Djazaïria où il est admis dans la classe dirigée par Abderrezak Fakhardji. Ahmed Serri éprouve une admiration sans limite pour ce maître qui lui a tant apporté. Sur un ton navrant, l’artiste se désole de constater que son maître n’a pas eu les honneurs qu’il méritait alors qu’il a fait, pendant un demi-siècle, un travail remarquable dans l’enseignement et la transmission de son art dans la conduite de l’orchestre de la radio, et ce, de 1946 à 1961. Quand son professeur est mort, il n’y avait personne pour le remplacer à El Mossilia. C’est ainsi qu’en octobre 1952, Sid-Ahmed Serri est passé du statut de disciple au statut de professeur jusqu’en 1988. Année où fut créée l’association El Djazaïria El Thaâlibiya dans des conditions assez difficiles. Après moult promesses pour l’attribution d’un local par les responsables de l’APC d’Alger-Centre, les membres de la toute jeune association se résignent à trouver des refuges provisoires. Ce problème de domiciliation n’a pas empêché le regretté Abou Bakr Belkaïd de retenir El Djazaïria El Thaâlibiya pour représenter l’Algérie à l’exposition universelle de Séville (Espagne) en 1992. Le déplacement a été annulé en raison de l’assassinat du président Mohamed Boudiaf. Parallèlement à son travail dense au sein du mouvement associatif, le maître enseigne successivement au Conservatoire national, à l’Institut national de l’enseignement de musique (INEM) et à l’Ecole normale supérieure (ENA). Il se retire de cette institution sans que cela l’empêche de rendre visite à ses anciens élèves, leur prodiguant de précieux conseils. Parmi ses anciens élèves, citons entre autres Amine Kouider et Nourreddine Saoudi. Ahmed Serri se dit fier d’avoir formé des artistes émérites qui, aujourd’hui, représentent dignement le patrimoine andalou. C’est justement grâce à certains de ses anciens élèves que la nouba andalouse a été introduite dans certaines communes, dont Chéraga et Koléa. L’association El Mossili de Paris a été créée il y a 15 ans par son élève Farid Bensarsa. Ahmed Serri avoue qu’il ne pensait pas faire carrière dans le domaine musical. « Si je devais compter sur la musique pour vivre, je ne sais si je serais encore en vie. Je serais peut-être dans un coin de rue en train de mendier », dit-il. Ainsi en dehors de son adoration pour le chant, Sid-Ahmed Serri occupa plusieurs emplois. Son premier emploi remonte en 1943, année où son lycée ferme suite au débarquement américain. Il trouve un poste de secrétaire du greffier à la Cour d’Alger. Un beau jour, Ahmed Boumedjel lui fait la proposition d’aller travailler chez lui en qualité de secrétaire dans son cabinet d’avocat. Il y transite quelque temps avant d’occuper un autre emploi : pointeur sur les quais. En 1948, il travaille à la société agricole de prévoyance. Il est ensuite détaché au gouvernement général, à la direction de l’agriculture : poste qu’il occupa jusqu’à la fin de l’occupation française pour aller au ministère des Affaires sociales. En 1965, il exerce au sein de la Banque centrale comme chef du personnel et de la formation jusqu’à sa retraite. L’artiste révèle qu’il anime occasionnellement des soirées privées le samedi soir. Les autres jours de la semaine étaient bannie pour lui car il occupait un poste de responsabilité. En juin dernier, Sid-Ahmed Serri a foulé les marches de la Sorbonne de Paris où il a donné une communication portant sur la musique andalouse suivie d’un concert. Ce passage dans ce lieu mythique du savoir l’a marqué. Il a retrouvé certains de ses anciens élèves qu’il n’avait pas revus depuis plus de trente ans. Cela a été un réel plaisir aussi bien pour lui que pour ses élèves. « Il y avait, confie-t-il, dans cette salle, une charge émotionnelle extraordinaire. C’est un hommage qui m’a touché. Qui aurait dit qu’un jour, je me produirai à la Sorbonne. » Réajustant ses lunettes, il tient cependant à préciser que tout au long de sa carrière, il a refusé les hommages, si ce n’est celui rendu à l’occasion de ses 80 ans, à la salle Ibn Zeydoun, à Alger, en 2006. A la question de savoir quelle définition exacte donne-t-il à la musique andalouse, le musicologue rappelle qu’en décembre 1964, il a été convenu de l’appeler « Musique classique algérienne ». Cela fait des siècles que cette musique — d’origine arabo-andalouse — a quitté l’Andalousie. Elle a sillonné tout le Maghreb. C’est une musique qui a pris un caractère maghrébin mais il y a un fond andalou certain. Elle n’est plus ce qu’elle était du temps de Zyriab. Moderniser cette musique savante ou la baptiser autrement paraît impensable pour le spécialiste. Mi-figue, mi-raisin, le chanteur lyrique estime : « Peut-on apporter une nouvelle touche à une symphonie de Mozart ou de Beethoven ? » « Dans le chaâbi, il y a une qacida qu’il faut mettre en tête et le chanteur est libre d’interpréter comme il le veut. Il n’y a pas de règles absolues dans le chaâbi, sauf pour la musique classique. C’est sacré, on n’y touche pas. On ne peut apporter un changement dans un morceau existant déjà. » Créer une nouba personnelle est du domaine du possible. En témoigne la remarquable nouba d’ziria, signée par Nourreddine Saoudi. On ne peut pas empêcher les gens de créer ; cependant, il ne ne faut pas confondre avec ce qui existe déjà dans le patrimoine. « Il aurait fallu, explique Serri, enregistrer le patrimoine dans sa totalité. Il faut absolument enregister ce qu’il reste. » Le patrimoine de l’école de Constantine a été déjà enregistré, il ne reste que les écoles d’Alger et de Tlemcen. Il révèle que l’enseignement se pratique le plus ouvent grâce à d’anciens enregistrements. Ne mâchant pas ses mots, Sid-Ahmed Serri dénonce cette folie des associations de vouloir à tout prix commercialiser des CD sans s’assurer de la véracité des morceaux. Le musicologue a un regard pessimiste sur le devenir de la musique andalouse : si on continue d’enregistrer à la légère les noubas dans les conditions actuelles, dans cinq ans, on ne reconnaîtra plus notre patrimoine musical. Depuis l’indépendance, plus d’une trentaine de maîtres ont disparu sans que l’on songe à récupérer ce qu’ils possédaient. En ce qui concerne la transcription, le maître est formel : « Nous sommes très loin de trouver la technique idoine pour le faire. » Les mélomanes se souviennent que Sid-Ahmed Serri a entrepris, sans prétention aucune, l’enregistrement intégral du répertoire musical classique de l’école d’Alger en un coffret de 45 CD. Des disques qui ne sont pas pris en charge par l’Etat ; donc non disponibles sur le marché national. « Il faut récompenser les gens qui ont travaillé sur ce produit. On veut peut-être qu’il soit offert gratuitement ! Bien sûr, quand on fait venir des chanteurs orientaux payés rubis sur l’ongle en devises, là il y a de l’argent. Quand il faut organiser des réceptions, il y a de l’argent mais quand il s’agit de sauvegarder un patrimoine, il n’y a aucun sou », s’indigne-t-il. La relève est l’une des priorités du musicien. Après un long silence, Sid Ahmed Serri estime que sur le plan technique la relève existe. Il y a des nouveaux talents qui sont mieux que les anciens. Pourquoi ? Parce qu’ils commencent jeunes, à l’âge de 6 ans. Il faut justement mettre les moyens et les compétences adéquates. Pour l’heure, « les compétences sont insuffisantes, tant que les élèves n’ont pas reçu une formation organisée. Actuellement, les enseignants font preuve de bonne volonté pour enseigner ce qu’ils savent mais cela reste insuffisant ». Il appartient, ainsi, au ministère de l’Education de prendre en charge l’enseignement de la musique dans les écoles. Depuis l’indépendance, Ahmed Serri n’a pas cessé d’écrire en défendant le patrimoine musical ancestral et à faire en sorte que les maîtres soient reconnus à leur juste valeur. Il ne comprend pas pourquoi aucun hommage n’a été organisé à l’intention des frères Fakhardji. « Ce sont toujours les mêmes têtes d’affiche qu’on honore et qu’on écoute à la radio et qu’on voit à la télévision en occultant ceux qui ont tout donné de leur vivant », se plaint-il. Pour avoir des chanteurs, il faut des formateurs. « Est-ce que Sid-Ahmed Serri aurait existé si Fakhardji n’avait pas existé ? », s’interroge-t-il avec émotion. En guise de conclusion, Sid-Ahmed Serri, avec toute la sagesse qu’on lui connaît, affirme que sa plus grande satisfaction, c’est de voir ses élèves continuer sur la même lancée. « Je crois avoir fait tout ce que je devais faire. Il me semble que j’ai essayé de travailler pour laisser une relève, même si cela peut être contesté par certains », confie-t-il. Ahmed Serri est à lui seul une école. C’est avec beaucoup de plaisir que ses fans ne ratent aucun de ses concerts. Toutefois, une date est à retenir, celle du 4 octobre prochain où il donnera, à coup sûr, un sublime concert au Théâtre de Verdure d’Alger.
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BIO-EXPRESS
Musicien, professeur de musique et chanteur algérien, Sid Ahmed Serri est né en 1926 à La Casbah d’Alger. En 1945, il adhère successivement aux associations El Andaloussia puis El Hayat qu’il quitte pour entrer à l’association El Djazaïria où il est admis dans la classe de musique dirigée par Abderrezak Fakhardji. En 1952, les dirigeants d’El Djazaïria (devenue depuis peu El Djazaïria El Mossilia par la fusion de leurs associations) lui confient la classe supérieure. Entre 1988 et 1992, il s’attelle à la création et au développement d’une nouvelle association musicale, El Djazaïria El Thaâlibiya. En 1989, il est choisi et élu à l’unanimité par ses pairs comme président national de l’Association de sauvegarde et de promotion de la musique classique algérienne. En avril 2006, il est élu président de la Fédération nationale des associations de musique classique algérienne. Sid-Ahmed Serri est l’auteur, en collaboration avec Rachid Mahi, d’un recueil de noubas andalouses, édité en 1997 puis réédité en 2002 et 2006 par l’Entreprise nationale des arts graphiques (ENAG). Il a écrit en outre de nombreux et divers articles et études publiés dans la presse et les revues algériennes et a participé à des travaux et des interviews sur la musique classique algérienne. Entre 1998 et 2002, il réalise l’enregistrement sur CD de l’intégralité de son répertoire de musique classique algérienne. Sid-Ahmed Serri a été le premier artiste lyrique à recevoir, en avril 1992, les insignes de l’Ordre du Mérite national.
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