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Qu’on
l’avoue ou pas, il est certain que pour la majorité des Tunisiens qui
sont nés aux alentours des années de l’indépendance, le hidjeb et le
jelbeb ne sont rien d’autre que d’étranges tenues vestimentaires venues
d’ailleur. Car ils n’ont connu de véritable voile que le sefsari, le
haïk, le bakhnoug et la lehfa.
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Dans leurs souvenirs, c’est en 1975 que la première Tunisienne à avoir
porté un voile islamiste est apparue à la télévision. C’était à
l’occasion de la célébration de la fête du Mouled que cette étudiante
en théologie est venue présenter sa conférence. A cette époque on
pensait que c’est « l’habit qui fait le moine », et que s’il fallait
passer par là pour avoir accès à ce monde si fermé qui est celui de la
religion, eh bien ce n’était pas si grave que ça.
Puis il y eut la révolution iranienne et ses poussées vestimentaires
contagieuses. Ce fut un phénomène de mode qui s’est mis à prendre de
l’ampleur.
Tout le monde en Tunisie connaît la suite et les différents évènements
par lesquels notre pays est passé. Comme toute mode, cet habit a fini
par tomber en désuétude, et vint une époque où il est devenu vraiment
sporadique.
Cette année, on a vu déambuler dans nos rues des tenues très
extravagantes, faisant penser à toute autre chose qu’à des tenues de
musulmanes. C’est le «2 en 1» hidjeb et jelbeb. C’est un seul et unique
pan de tissu très large, qui enveloppe la femme de la tête aux pieds,
en recouvrant tout le visage en dehors des yeux. Et parfois ce voile
est « renforcé» d’un niqab. Il est évident que face à une tenue
pareille, tout le monde dans la rue se retourne pour voir ce qui reste
tout de même une curiosité dans notre pays.
Quand les unes s’inquiètent et parlent de recrudescence du port du
voile et de crainte de faire le jeu des islamistes, les autres
minimisent le phénomène et parlent de mode, lancée par les chaînes
satellitaires proches des milieux islamistes. Certains vont plus loin
dans leur explication du phénomène et parlent d’une façon de se
démarquer d’un Monde occidental rempli de haine et d’injustice à
l’égard des Musulmans et des Arabes.
Toute la classe politique tunisienne tire la sonnette d’alarme, sur ce
« danger » que représentent les habitudes vestimentaires « vecteurs
d’obscurantisme», « signe distinctif d’une frange dure et renfermée sur
elle-même », qui ne sont rien d’autres que « le symbole d’une
appartenance politique qui se cache derrière la religion et qui cherche
à faire revenir la réalité de la société aux ères très anciennes ».
Autoriser le port du voile serait une « véritable régression ». Notre
Président de la République, M. Zine El-Abidine Ben Ali insiste sur le
fait que « La Tunisie, de par son attachement à la sublime religion qui
se fonde sur la modération, l’ouverture et la tolérance » doit à propos
du voile « distinguer l’inspiration sectaire importée de l’extérieur ».
Et comme nous sommes un pays très regardé et très envié par l’ensemble
de la communauté arabo-musulmane, nous sommes souvent la cible de
critiques et de calomnies de certains médias au service des
fondamentalistes les plus obscurs.
Une enseignante de philosophie, de 55 ans, s’interroge : «De quel
retour aux origines et aux traditions nous parle-t-on ? Quelles sont
les traditions vestimentaires de nos parents, de nos grands-parents ?
Quand on se promène du côté des universités et dans certains quartiers,
on se croirait en Iran, en Irak, peut être du côté du Moyen-Orient,
mais pas en Tunisie, pas au Maghreb. C’est à se demander si ces jeunes
femmes ne sont pas en train de se déraciner. Il est vrai qu’on a parlé
de crise d’identité, mais quelle est leur identité, sinon tunisienne.
Au nom de quoi veulent-elles nous défigurer ? Nous avons une façon bien
à nous de nous habiller, nous avons une histoire à nous, nous avons un
patrimoine, une civilisation, une politique bien à nous, pourquoi doit-
on se laisser envahir par des coutumes qui ne sont pas les nôtres et
pourquoi devrait-on vouloir nous donner des leçons de religion, comme
si jusqu’à présent notre religion était incomplète ? Nous sommes
musulmans depuis bien avant la révolution islamiste de Khomeyni et bien
avant l’avènement des Frères Musulmans et la création du Hezbollah »
La réflexion de cette Tunisienne est si logique qu’on en arrive à se
demander ce qui se passe dans la tête d’une jeune femme ou d’une jeune
fille, pour que du jour au lendemain elle décide de porter ce voile qui
n’a jamais appartenu à son histoire.
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Le voile de la pudeur, du respect et de l’honneur
Les raisons du port du foulard à l’iranienne sont variables d’une femme à une autre, d’une catégorie sociale à une autre.
Il y a la dame de la cinquantaine révolue, qui après un pèlerinage à la
Mecque, a décidé de se faire respecter définitivement par les autres,
en arborant sa différence vestimentaire. C’est le cas de Neïla. Elle
n’a jamais été portée sur les vêtements à la mode. Quand son mari a
touché son héritage, ils ont accompli le pèlerinage de la Mecque.
Depuis, elle se couvre la tête et tout le corps, et dans ses moments
libres elle prie et lite le Coran. Par ailleurs elle reste très
ouverte, très tolérante vis-à-vis des autres, et ne veut rien prouver
au reste de la société, sinon sa gentillesse et sa générosité.
Il y a encore ces jeunes femmes de la quarantaine, qui ne sont pas
encore allées à la Mecque, mais qui font comme la voisine « entrée en
religion », et la rattrapent sur le plan vestimentaire et donc sur le
plan «tu n’es pas plus honorable que moi».
Samia, âgée de 32 ans, porte le voile depuis une année. Elle n’est pas
encore allée en pèlerinage et ce n’est pas dans ses projets immédiats.
Elle est pratiquante assidue depuis plus de cinq ans, presque depuis
son mariage. « C’est quand j’ai découvert que mon mari se saoule tous
les soirs, joue aux cartes et fait un tas de choses que la morale
réprouve que je me suis rapprochée au maximum du Bon Dieu pour qu’il
nous protège tous les quatre avec mes deux enfants. Il arrive souvent à
mon mari de pleurer comme un enfant quand il me voit lire le Coran ou
prier, il a tellement honte de ce qu’il fait qu’il me jure de changer
de comportement un jour prochain».
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Le voile de la séduction
Parfois, le hidjeb n’est plus en tissu blanc ou noir, mais il est en
dentelle, en mousseline, de couleur rose, vert, turquoise, jaune,
or…rebrodé de paillettes, de perles… Il ne se porte plus uniquement
avec le jelbeb, mais avec un jean, une jupe sirène, un body moulant,
des tenues assez sexy, même si elles ne découvrent aucune partie du
corps. Le voile « sympa » se noue derrière la nuque, laissant découvrir
certaines mèches rebelles du côté des oreilles, se porte avec bijoux,
en particulier boucles d’oreilles et surtout avec maquillage en parfait
accord avec les couleurs du reste des vêtements. L’ensemble de la
toilette donne une certaine aisance à ces jeunes filles, toutes
contentes de n’avoir rien à se reprocher aux yeux du monde. Leur
démarche devient plus aguichante et quand elles exagèrent dans leurs
déhanchements, les voilà à la limite de l’indécence.
C’est le choix de nombreuses jeunes filles qui se cherchent un mari et
qui font l’ultime tentative en jouant sur la pudeur, alors qu’elles
usent de la séduction. C’est un créneau qui fonctionne bien, car pour
la majorité des hommes —jeunes et moins jeunes— le port du voile est un
gage de bonne conduite. Alors qu’une fois chez elles ces jeunes filles
avouent se mettre en short et petit débardeur et sont tellement crevées
qu’elles foncent dans leur lit et qu’il n’y a plus de place à la prière.
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Le voile de la régression et de l’obscurantism
Si pour certaines jeunes filles la contagion de la mode prime, pour les
autres, on sent le lavage de cerveau. Ecoutons Sana, une étudiante en
2ème année de faculté, qui porte le voile et le jilbeb depuis qu’elle a
eu son bac :
« Le voile est obligatoire pour toutes les filles et les femmes. Pour
chaque cheveu découvert, les femmes se feront brûler une fois de plus
en enfer et maudites par les anges (kol chaara bi harka, kol chaâra bi
laâna). La femme dans sa totalité est réduite aux parties honteuses de
son corps (limraâ kolha âoura). A travers la tenue vestimentaire d’une
bonne Musulmane, on ne doit pas pouvoir déceler ni imaginer le corps
d’une femme. On ne doit pas penser que la femme a des jambes ( !), une
taille, un cou et même des doigts. C’est pour ça que les vêtements
amples sont les plus recommandés et que le port des gants est
préférable. Une main de femme, belle, fine élégante peut être à
l’origine d’un moment d’égarement chez les hommes. Nous sommes nées,
nous les femmes, pour embellir la vie des hommes auxquels nous
appartenons selon la sunna d’Allah, et non pour dévier les hommes du
droit chemin d’Allah. Qu’on le veuille ou non, les femmes resteront
toujours dépendantes des hommes, c’est la sunna d’Allah (arrijalou
kaouamouna âla annissa)».
A propos des femmes qui ont des postes importants, on l’avait
questionné il y a quelque temps sur la probabilité qu’une femme soit
présidente de la République en France, elle répond : «Nul bien pour un
peuple ayant à sa tête une femme». (La khaîra fi kaoumen tahkoumou fihi
imraâ).
Si Sana poursuit des études à la faculté, c’est parce que dans le Coran
on recommande les études aux filles, nous assure-t-elle. Quant au
travail, elle n’y pense pas encore. Peut-être que si les conditions
pour mener une vie en parfait accord avec ses convictions religieuse,
sont réunies, elle travaillera, sinon elle privilégiera sa religion à
sa profession. Etre en règle avec les recommandations d’Allah, voilà le
plus important, nous dit-elle. Ainsi, ajoute-t-elle, si l’on doit
mourir, et la mort, cette imprévisible, nous guette à tout moment, nous
mourrons alors sans avoir de dettes envers Dieu, et nous pourrons
aspirer au Paradis éternel. Sana rajoute que toute bonne Musulmane et
tout bon Musulman doit avoir la mort présente à l’esprit.
Sana est originaire de Zarzis. Elle habite en ce moment le foyer
universitaire mais retourne dans sa ville natale pendant les vacances
scolaires. Son père vit en France depuis plus de trente ans, il fait le
va-et-vient mais n’a jamais songé emmener sa femme et ses enfants avec
lui. Depuis quelque temps il a retrouvé la foi grâce à la fréquentation
de nombreux Musulmans habitant en France, qu’il ne lâche plus depuis
qu’il les a connus.
Quand il rentre à Tunis, il ne ramène pas du chocolat à ses enfants,
mais des livres sur la religion. Sana applique à la lettre toutes les
recommandations qu’elle lit dans les ouvrages ramenés par son père,
c’est ce qui fait la fierté de ce dernier. Bien entendu, fier de sa
fille, le père n’arrête pas de parler d’elle : Sana à fait ceci, Sana a
fait cela, Sana par-ci, Sana par-là, jusqu’au jour où un de ses amis
lui propose de présenter Sana à son propre fils, né en France, en âge
de se marier et qui avait du mal à trouver une bonne Musulmane comme
future épouse. On arrangea la rencontre, et comme Sana est très jolie
fille, le fiancé, qui a certainement deviné la belle grande et fine
silhouette qui se cache sous le voile, tomba sous le charme et ne
rentra en France qu’une fois le contrat de mariage signé à l’ambassade
de France, et lu chez les «adouls» de Zarzis.
Il est prévu que Sana aille vivre en France après la célébration du
mariage, soit au mois de juillet 2007. Elle y terminera ses études.
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Le voile de la religiosité
Mais porter cet habit qu’on voudrait faire passer pour sacro-saint,
comme si c’était la garantie d’une morale et d’une conduite
irréprochable, ne garantit rien justement ni au niveau moral, ni au
niveau principes de vie ni encore moins au niveau piété. Les exemples
sont nombreux. Telle cette technicienne de laboratoire de la banlieue
Nord que les malades ont fini par appeler le pingouin à cause de son
jelbeb noir, de ses gants blancs, de son hidjeb blanc et de ses
immenses lunettes noires. Ne comptez jamais sur sa compassion, elle
n’en a pas. Comptez plutôt sur sa mauvaise humeur et sur son mauvais
caractère pour vous mettre les bâtons dans les roues et vous faire
revenir toujours le lendemain. Sa religion lui interdit de sourire,
mais apparemment ne lui interdit pas de vous faire des grimaces. Ses
voisins jurent l’avoir entendue blasphémer plus d’une fois quand elle
en avait après ses enfants !
Le comble, c’est qu’elle est persuadée d’appartenir à une caste
supérieure, celle des gens qui, parce qu’ils ont accompli le petit
pèlerinage, la omra, sont devenus le peuple élu de Dieu...
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Le voile du raccolage
Une discussion avec un sociologue et un psychologue, bien informés sur
les phénomènes de société, nous apprend qu’il se passe du nouveau à
Tunis concernant le racolage sur la voie publique en jelbeb, hidjeb et
même niqab.
Elles seraient quelques-unes, aperçues du côté du Lac, du côté des
hôtels du centre-ville et du côté du quartier El Menzah VI. Selon cette
source doublement masculine, c’est la règle de l’offre et de la
demande. D’abord pour certains de nos visiteurs étrangers qui
“ramassent” ces clandestines, ils seront moins “contrôlés” en compagnie
d’une femme voilée qui passerait pour la conjointe étrangère. Ensuite,
quand elles se déplacent, toujours clandestinement, chez un client
tunisien, elles ne sont pas reconnues par les voisins qui ont toujours
les yeux fixés sur les garçonnières.
Ceci nous rappelle l’histoire de Mouna.
A l’âge de 25 ans, Mouna a épousé un Syrien, rencontré en Tunisie. De
cette union elle eut une petite fille. Trois ans après, ils divorcent
pour incompatibilité d’humeur. Deux ans plus tard, ils se remettent
ensemble mais sans contrat de mariage car Mouna perdrait ses avantages,
en particulier l’indemnité qu’elle perçoit de la part de la CNSS, car
elle vivait chez sa mère tout en étant divorcée avant la mort de cette
dernière. Le couple reconstitué habite un rez- de- chaussée, avec comme
voisins du dessus les propriétaires. Des amitiés se lient entre Mouna
qui ne travaille pas et les propriétaires. C’est ainsi que Mouna
découvrit que le bailleur de fonds de cette famille était leur fils,
émigré en Suisse grâce à un mariage avec une vieille et riche
Italienne. Des idées trottèrent dans la tête de Mouna. Elle échafauda
un plan. Elle séduisit le fils des propriétaires, se sépara de son ex à
qui elle donna la garde de sa petite fille. Elle devint entièrement
disponible pour son nouvel amant. Lors d’un de ses nombreux retours en
Tunisie, voilà qu’elle apprend que le riche résident en Suisse « est
entré en religion ». Il ne boit plus, fait les cinq prières, exige de
Mouna qu’elle porte le voile et propose un mariage purement religieux à
sa partenaire. Qu’à cela ne tienne, il leur a simplement suffi de
réciter la Fatiha et le mariage, consommé depuis belle lurette, fut
religieusement officialisé, devant les parents respectifs et les amis.
Depuis, le niveau de vie de Mouna a changé du tout au tout. Elle ne
manquait plus d’argent et pouvait s’offrir tous les cadeaux dont elle a
toujours rêvé, en particulier les sorties, les restaurants animés, les
séjours dans les hôtels. Le conte de fée dura trois ans, mais les
mauvaises langues, ont vite fait de parler des virées nocturnes de
Mouna. Elle nia tout, prétextant qu’elle n’était sortie que de rares
fois à l’occasion des anniversaires de ses sœurs. Son mari fit semblant
de la croire et la mit sous surveillance. Pour la rassurer il lui
envoya de plus en plus d’argent et espaça ses séjours en Tunisie.
Seulement elle ne savait pas que le marchand de cigarettes du coin
jouait au détective privé pour le compte du mari, moyennant la coquette
somme de 1.000D par mois. Bien entendu, tout vola en éclat à la
découverte du pot aux roses.
Mouna continue, de sortir la nuit, le jour, et de mener la belle vie.
Elle n’a pas enlevé le voile, car la majorité de ses conquêtes le
trouvent excitant !
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Nos petites filles sont protégées.
Dieu merci, pour le moment nos écoles primaires échappent à cette
tendance vestimentaire. Cela signifie que rares sont les parents qui
forcent leurs filles à porter le voile. En général c’est leur propre
choix, et le sentiment est mitigé pour les parents. Pour certains c’est
une fierté et une satisfaction car ils l’assimilent à une rédemption ;
pour d’autres il est source d’inquiétude, car il a une connotation
politique. Une grand-mère bien de chez nous, qui porte encore la
melhafa et la takrita, s’est indignée de voir ses petites filles porter
jelbeb et hidjab. Elle leur a dit : «Vous allez nous ramener la poisse
avec ce chiffon sur la tête, vous allez voir il va y avoir la guerre si
vous continuez à vous habiller ainsi. Il y a la guerre dans tous les
pays où les femmes se “pansent” la tête. On devrait l’interdire».
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Samira Rekik | |
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