Devoir de mémoire - Histoire d’un parjure
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Les habitants d’Alger, jusqu’alors si réservés, se joignaient au mouvement. Des armes circulaient sous le burnous, passaient les portes. Deux kabyles étaient surpris à la porte de Bab-Azoun, poussant deux chameaux chargés de fusils. Torturés, ils restèrent muets. On les fusilla. On retrouvait des soldats poignardés la nuit dans les ruelles. Arme dont usent les nations mises au secret pour se faire entendre, des carbonari aux fenians de l’Ira, le terrorisme était né. Les Français ne pouvaient plus sortir d’Alger sans risquer leur tête. La marine braqua ses pièces sur la ville. On abattit des maisons pour permettre aux batteries de Bab-El-Oued et de Bab-Azoun de prendre les rues en afilade. Les habitants étaient fouillés, les quartiers ratissés. Quarante conspirateurs furent fusillés ou pendus le 29 juillet. Le manège infernal des exécutions sommaires et des représailles s’ébranlait.
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Le général Petiet nous raconte que les condamnés à mort chantaient toute la nuit, avant d’aller au supplice. Il demanda à son interprète s’ils n’étaient pas devenus fous. « Non, répondit-il, ils chantent l’hymne des héros martyrs de la foi ». C’est encore ce chant qui s’élève, repris en choeur, des prisons de France et d’Algérie, dans les heures qui précèdent les exécutions de Fellagha.
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« Qu’avons-nous fait de nos solennelles proclamations? déplorait alors le baron Pichon. « C’est ainsi qu’on crée des révoltés qui deviennent des héros pour leurs compatriotes ». Bourmont essaya de renouer les contacts, de prolonger les habituelles équivoques des négociations faussement souhaitées, qui lui avaient si bien servi. On lui répondit « qu’un gardien de boeufs de la Mitidja ne voudrait pas être surpris en train de traiter avec un Français ». Nos amis devinrent suspects. Le marabout de Koléa, dont le prestige était immense, le perdit d’un seul coup en le mettant à notre service. « Ben Zamoun, qui avait paru disposé à se rapprocher de nous, écrivit Bourmont, à changé de langage et appelle aux armes ». Pour l’Algérien, la rupture d’une négociation qui n’est pas menée de bonne foi est irréparable. Il est fâcheux que nos maîtres ne s’en soient pas avisés plus tôt.
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Le parjure était trop grave, la blessure trop profonde. « Les Français, écrit Hamdan, n’avaient pas accompli le centième de leurs promesses, qui étaient formelles... Non, le serment ne devait pas entrer dans les ruses de guerre. Il s’agissait d’honneur et de bonne foi. On peut dire hautement qu’on avait commis un péché politique ». En 1833, les Maures d’Alger diront au roi: « Nous avons été trompés et dupés et maintenant nous supportons toutes les imaginables. Une telle violation des proclamations rendrait féroces les êtres les plus dociles ». Cette violation eut de si graves conséquences qu’une des premières missions assignée à la commission d’enquête, en 1833, fut de rechercher quel avait été sur l’état du pays l’effet de « proclamations qui avaient garanti l’affranchissement des tribus ». Cette violation, répondra-t-elle, est « l’un des plus grands embarras du gouvernement et la source de la plupart des griefs ». Laurence, qui fut longtemps à Paris le directeur des Affaires algériennes, dira encore en 1835, à la tribune du Parlement: « Les proclamations de Bourmont sont des monuments pour les indigènes... Elles sont toujours debout, comme les monuments d’une justice trop longtemps refusée... »
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Elles devaient peser longtemps encore sur toutes les tentatives de négociations. Lors de celles de 1832, qui furent peut-être notre dernière chance de terminer la guerre d’Algérie par une « protection à l’égyptienne », le duc de Rovigo qui lui demandait la reconnaissance du tribut, Ahmed déclara que, la proclamation du roi ayant garanti l’indépendance, les Algériens en étaient dispensés. « Après avoir violé ces promesses, ajoute-t-il, comment pourriez-vous tenir les traités que vous voulez faire? » Je citerai la réponse du général en chef, elle le mérite: « Le maréchal de Bourmont s’est servi de tous les moyens qu’il jugeait utiles à la perte de ses ennemis. S’il était resté à Alger, il serait revenu sur ce qu’il avait promis. Nous sommes ici par droit de conquête. On ne lit pas le destin, l’avenir appartient à Dieu ». Ahmed Bey dit alors à Hamdan Khodja, qui servait de négociateur: « Ainsi, ils violent leurs engagements au gré de leurs intérêts. Même si nous faisions un traité à des conditions sacrées, ils les violeraient tout comme avant. » Hamdan nous apprend qu’en 1832 les Kabyles répondirent à nos avances qu’on ne pouvait e fier à des parjures. Et voici la réplique des chefs kabyles aux propositions de Bugeaud en 1844: Forts de vos promesses nous avions gardé la neutralité. Nous possédons les écrits de vos prédécesseurs.
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« Tenez vos premiers engagements et le mal n’existera pas entre nous ». Leur langage se comprend. Ces velléités de négociation n’ont jamais été que ruses de guerre à la Bourmont. Que s’était-il donc passé à Alger après le 5 juillet pour que la déception fut si profonde? Laissons répondre les deux témoins les moins discutables et les mieux placés. Le général comte Berthezène qui prit Alger à la tête de sa division et en fut le gouverneur en 1831, et le général d’Aubignosc qui fut en 1830 notre premier directeur de la police en Algérie. « ce fut un système de rapine et de violence, dit Berthezène, une conduite indigne du nom français qui révolte tout ce qui a le sentiment de la justice ». « Les garantis méconnues provoquent la résistance sourde des citadins, confirme d’Aubignosc: nous sommes venus en amis, en libérateurs, ils ont eu foi en nos promesses. On les pile, on les torture, on insulte tout ce qu’ils ont de plus sacré ».
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Que dira la commission d’enquête, choisie par le roi parmi les féaux (hormis un ou deux libéraux, tolérés pour figurer l’alibi de l’opposition constructive)? « Nous avons décoré de trahison le nom de négociation, d’actes diplomatiques de honteux guet-apens ». Quand d’Aubignosc déplore que la colonie ait une assiette équivoque », disons qu’il pratique l’euphémisme. Mais, pour les Clauzel, Louis-Philippe et autres Thiers, ce qui comptait, c’était l’assiette. Le reste n’importait guère. Je pense au mot de Talleyrand, attribuant ses pouvoirs à son zèle d’être « ce chien assez avisé pour porter toujours au cou l’assiette de ses maîtres ».
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« ... Maîtres indépendants de votre patrie »
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Les proclamations, nous l’avons vu, garantissaient l’indépendance et les libertés, les personnes et les biens, les choses de la religion et du culte. L’indépendance, nous savons ce qu’il en fut. Mais ce qui surprend encore, c’est la hâte cynique que l’ont mit à la bafouer. Alger tombé, Polignac mandait aussitôt à Bourmont: « Occupez Bône, la France doit exercer son autorité dans toute sa plénitude. » Le lendemain même de la convention du 5 juillet Bourmont signait un arrêté proclamant la « prise de possession » immédiate du pays et « l’amalgame » des indigènes. Dès le 8 juillet, les journaux du gouvernement réclamaient l’annexion et on pouvait lire dans Le sémaphore du 14 juillet: « Le complément politique de notre victoire est une loi en deux articles:art. 1: Alger, Oran et Constantine font partie du territoire français. Art.2: Ils forment trois départements. » En prenant possession, le 7 septembre, de son fief algérien, Clauzel proclamait au nom du roi, « l’occupation du royaume d’Alger et de toutes les provinces qu’il comprend, pour y faire régner pour toujours la justice et les lois. » Indispensable corollaire: il promettait en même temps des « punitions exemplaires » à ceux qui faisaient courir de coupables rumeurs d’abandon. La fameuse ordonnance royale de 1834 faisait de l’Algérie, et sans esprit de retour, « une possession française en Afrique, adoptant ainsi les conclusions de la commission d’Afrique: « 1° Alger doit être définitivement occupé par la France. 2° Il doit l’être à titre e colonie française. » Si les tribus prétendent conserver la possession libre et indépendante du pays, ce serait la guerre prompte et terrible, la soumission ou la destruction ». « Vous appartenez désormais à la France », proclamera Clauzel. Le roi, recevant alors une délégation de « colons » algériens, leur déclarait sans ambages: « je veux qu’on dise le département d’Alger comme on dit le département des Bouches-du-Rhône ».
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Mais il n’est pas de prison sans barreaux. Le 8 juillet, Bourmont demandait la création d’une cour prévôtale extraordinaire « qui permette l’exécution immédiate de la sentence ». Nos lois sont trop lentes, disait-il, et « des formes trop lentes seraient un signe de faiblesse ». Le 15 octobre, un décret de Clauzel soumettait l’Algérie à la loi du 13 brumaire an V, qui, des troupes, étend la juridiction des conseils de guerre aux indigène du pays conquis. Dès lors, tout devenait possible. Le code militaire de 1802, en effet, punissait de mort « toute tentative d’embauche en faveur de l’ennemi » (1, 14), termes d’une portée aussi arbitraire et imprécise que ceux de nos actuelles atteintes à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat. Légalisant ainsi le triomphe de la Croix sur le Croissant, le tourniquet des trois tribunaux militaires aussitôt établis à Alger, Oran et Bône se mit à tourner allègrement. En 1832, dans le territoire « soumis », un Algérien sur 320 passait en conseil de guerre, et parmi les inculpés un sur cinq était exécuté! Comme le constatait la commission d’enquête sur la guerre kabyle de 1871, notre « justice » considérait les Algériens à la fois comme des ennemis vaincus, ce qui entraînait les tributs de guerre, comme des sujets coloniaux, ce qui « justifiait » un séquestre de 400.000 hectares et comme des citoyens français, ce qui permettait de les exécuter comme criminels de droit commun. On les frappait des trois chefs, en leur refusant les garanties de l’un au nom de deux autres.
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La garantie des biens? « En ce qui concerne les propriétés, déclarait la commission de 1833, il y a violation manifeste des engagements ». Bien des auteurs en ont montré et chiffré l’ampleur. Je m’en tiendrai aux tout premiers jours. Notre entrée à Alger fut le signal du pillage. Les journaux ultras en accusaient les juifs ou les soldats. La vérité est tout autre. « Malgré les traités, dit Aubry Bailleul, les officiers d’état-major ont pillé et volé impitoyablement ». Le général de Loverdo raconte qu’on voyait les chefs « mener la meute à la curée » et « des porteurs de noms illustres descendre de la Casbah les bras chargés de butin » (c’est probablement moins lourds à porter :) ). « Si la France n’a plus rien à espérer du Trésor, ajoutait-il, il n’est pas perdu pour tout le monde ». Le Dr Pfeiffer qui s’était tant réjoui de notre entrée à Alger, elle devait lui permettre de revoir les compatriotes, dit sa déception quand un soir, rentrant à l’hôpital, il trouva sa maison « ratissée » par la civilisation, « régénérée », comme on disait. Des 5.000 maisons d’Alger, 3.000 furent confisquées et 900 démolies. Bourmont laissa détruire ces bazars où se trouvaient les ateliers de tissage, de broderies et de soieries qui faisaient la renommée d’Alger et les ressources de tout en petit peuple artisans et de marchands. Il fallait bien penser à nos exportateurs. Dans la campagne autour de la ville, ce fut pire encore. « L’occupation française a porté la destruction après elle, dit la commission, le luxe des maisons et des cultures ne reparaîtra plus de sitôt ». Pour répondre à l’indignation d’Hamdan, Clauzel invoquera cet argument: « Le génie militaire et les Ponts et Chaussées ont détruit à qui mieux mieux, mais il fallait bien employer les trop nombreux ingénieurs. » Tout cela cependant n’était que « les petits inconvénients de la guerre », comme il disait. Infiniment plus grave pour le peuple algérien fut son décret du 8 septembre 1830 qui séquestrait les biens habous (fondations religieuses) et ceux des domaines de l’Etat algérien. Ce décret touchait la majorité des propriétés urbaines, une bonne partie de la Mitidja et des plaines côtières. Dès lors, l’histoire foncière en Algérie ne sera qu’une suite de confiscations collectives ou individuelles, séquestres de tribus rebelles, « punies » ou en fuite. Les principales étapes « légales » en furent la loi de 1840 sur l’expropriation forcée (« inique et scandaleuse », dira Tocqueville), les décrets de cantonnements, les lois de 1863 et 1887, peut-être les plus désastreuses en dépit de leur apparence inoffensive: en individualisant des terres collectives familiales indivises, elles livraient en effet à une spéculation européenne sans scrupules une population éperdue de faim et d’épuisement. Longtemps, l’achat plus ou moins forcé de biens indigènes, revendus cinq ou dix fois plus cher, fut la principale ressource des « colons » algériens. Un officier des bureaux arabes expliquait à Tocqueville: « Il n’y a pas, monsieur, de colonisation possible sans terre. Il faut donc déposséder les tribus pour mettre les Européens à leur place. » Comme disait Raousset-Boulbon « l’expropriation est la condition première de toute colonie ». Le résultat, nous l’avons sous les yeux: trois millions d’hectare ses meilleures terres entre les mains européennes, lesquelles tiennent 90% des plaines d’Alger, d’Oran et de Bône, et 95% des plantations de vignes et d’agrumes.
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Les promesses solennelles de respecter toutes les choses de la religion et du culte ne furent guère mieux tenues. La commission déplorait qu’après deux ans d’occupation, soixante-deux mosquées d’Alger eussent été confisquées et dix détruites. L’enquête officielle d’Albert Devoulx nous apprend en 1865 que des cent trente-deux mosquées d’Alger avant 1830, nous n’en avions laissé que douze au culte musulman. Qu’étaient devenues les autres? Détruites ou consacrées casernes, hôpitaux, écuries, bains publics, magasins, couvents, églises catholiques... ou incluses dans ces quartiers réservés au repos du guerrier, telle la petite mosquée de Sidi Hellel. Ainsi en fut-il dans les autres villes. A Oran, notre occupation ne laissa qu’une seule mosquée aux Algériens. « Nous avons profané sans ménagements les asiles sacrés des Musulmans, déclare la commission. Nous avons jeté les ossements des cimetières au vent ». Ce « vent » amena les bateaux qui les avaient chargés jusqu’à Marseille, où on les vendait aux fabricants de noir animal. Dans le même temps, le maréchal Clauzel s’emparait des pierres tombales pour se faire construire trois moulins... dont les ailes se refusèrent toujours à tourner. Il faut croire que le vent d’Afrique en avait assez des tristes besognes qu’on lui réservait.
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Les décrets des 7 septembre et 9 décembre 1830 portèrent un coup grave à la religion et à la culture islamique: ils affectaient les revenus de toutes les fondations charitables et culturelles aux domaines français (que dirigeait, ironie de l’histoire, le colonel de Gerardin, le chef de la fameuse mission des Proclamations!). De ces revenus dépendaient l’entretien des monuments historiques, celui des mosquées et de leurs imams, celui des écoles, collègues, universités et de leurs professeurs, celui des conduites et fontaines d’eau potable d’Alger, l’assistance sociale aux pensionnés de guerre, aux malades, vieillards, orphelins et indigents des cités. « La ville se transforma en une population de mendiants et de désespérés », dit d’Aubignosc. Elle manqua d’eau. Les écoles durent fermer. Les monuments, faute d’entretien, tombèrent en ruines. Ces décrets furent catastrophiques pour la culture musulmane. « De quoi vous plaignez-vous? répondra Clauzel aux plaintes d’Hamdan. A ceux qui le demandent, on distribue trois sous par jour.»
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Que faisiez-vous des revenus des Habous? Vous alliez en Pèlerinage pour en ramener la peste. Votre culte? Est-ce que nos canons ne vous annoncent pas la fin du jeûne? Est-ce qu’on ne laisse pas vos moutons entrer à Alger pour l’Aïd? » La mauvaise foi de « ces Maures faux et rampants », comme les qualifiait hautement monsieur le maréchal, était sans borne.
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Mais l’Islam était aussi à la base des lois civiles, criminelles et fiscales. Exiger les impôts coraniques, la zakat et l’achour, au nom de la nation chrétienne conquérante, était une atteinte directe au sens national et religieux du croyant, qui se devait de le refuser. Le tribut devint ainsi, entre nos mains, la plus efficace des provocations et des excuses de répression. Dès le premier jour, les taux furent triplés. S’y ajoutaient les « contributions correctionnelles »: ainsi sur des prétextes futiles, Rovigo frappera les deux petites villes de Koléa et de Blida d’une amende de 2.300.000 francs: la vente totale n’aurait pas atteint cette somme, remarque Hamdan.
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Non moins contraire aux proclamations, aux yeux d’un musulman pour qui « la justice est la soeur de la piété », fut le décret du 22 octobre 1830 qui subordonnait la justice musulmane au contrôle de la justice française.
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Trente ans plus tard, dans la Revue des deux Mondes, Jules Duval, qui exprimait alors la pensée officielle, écrira: « ... Un pas de plus, et la stratégie politique abordera, pour les entamer avec prudence, les institutions musulmanes et a leur tête la religion... Une attaque directe violerait les proclamations et soulèverait ces tribus. » Après quoi il déplore que le dogme de la Trinité rebute ces monothéistes, se félicité des 100.000 francs d’aumônes distribuées tous les ans (deux francs par mois par famille secourue! ), et exalte l’abnégation « des religieux », même des femmes du monde, poussées par un dévouement que stimulait la curiosité, qui ont pénétré sous les tentes pour soigner les femmes arabes ».
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« ... Votre pays restera dans l’état où il se trouve... »
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Le respect des personnes fut-il mieux assuré? La proclamation offrait une garantie: l’indépendance, brandissait une menace: l’extermination . Pendant que la première était tournée en dérision, qu’advenait-il de la seconde? La réponse tient en deux chiffres. En 1832, le porte-parole du peuple algérien, Hamdan Khodja, avec une solennité testamentaire, écrivait n exergue de son Miroir: le royaume d’Alger est une nation de dix millions d’âmes ». En 1872, le premier recensement valable et complet de l’Algérie française nous apprenait qu’elle comprenait 2.100.000 musulmans. Devant ces deux chiffres, une première question s’impose, qui exige une réponse sans équivoque: à défaut de recensement général valable avant 1872, dispose-t-on d’éléments suffisants pour répondre de l’estimation d’Hamdan? Une telle ampleur de destruction - huit millions en quarante ans - ne pouvant s’expliquer que dans le cadre d’une entreprise systématique, y a-t-il eu volonté d’extermination? S’il en est ainsi, s’est-elle méthodiquement réalisée?
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Ces trois questions, aussi pénibles qu’elles soient, nous n’avons pas le droit de les esquiver. Aujourd’hui moins que jamais. Parce qu’il y va de l’honneur de nos maîtres du siècle dernier, de celui de nos trois dynasties, de celui de nos hiérarchies politiques, militaires et religieuses. Parce que, la Seconde guerre d’Algérie replonge ce pays dans l’enfer qui fut le sien de 1830 à 1872. Parce que, si Hamdan dit vrai, le premier devoir de tout citoyen français est d’opposer un non catégorique, aussi maladroit ou véhément qu’il puisse être, à la remise en marche de l’engrenage qui aboutit à pareil forfait.
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Ces questions sont capitales pour le destin de nos deux peuples. L’affirmation d’Hamdan, en effet, retourne contre ses auteurs l’argument-clef de voûte de la colonisation française et de la guerre d’Algérie, celui de tous les manuels et dictionnaires, du Larousse à l’Encyclopédie britannique, d’Augustin Bernard à Gabriel Esquer, et qui convient jusqu’aux Algériens eux-mêmes. A le marteler pendant des dizaines d’années, il n’est de clou, si énorme soit-il, qui ne finisse par s’enfoncer: le peuple algérien serait une création de l’Algérie française, dont les bienfaits auraient transformé quelques milliers de pirates et de Bédouins, soumis au vatagan d’une clique de janissaires coupeurs de têtes, en neuf millions de « parts entières », qui sont les derniers des ingrats s’ils ouvrent la bouche pour dire autre chose que merci. Telle est la suprême victoire du conquérant, dont parlait Nietzsche: faire signer par le peuple opprimé le procès-verbal de son indignité en le livrant aux chaînes et aux prisons de la mauvaise conscience. C’est au nom de cet argument que depuis plus d’un siècle on applique au peuple français « ce cautère par où s’écoulent son sang et sa fortune », comme disait l’abbé de Pradt en 1831.
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