SITE ARCHÉOLOGIQUE DE TIPAZA
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Pendant que le ministre du Tourisme déclarait la saison estivale 2007 ouverte à partir de Tipasa, tout près de là, un massacre archéologique a lieu.
Le port antique de Tipasa, est en effet, en train de disparaître sous les coups de boutoir des pelleteuses d’une entreprise portugaise.
Les éléments essentiels reconstitutifs de plus d’un millénaire d’histoire vivent leurs dernières heures. Thermes, théâtres, amphithéâtres, basiliques chrétiennes, tous ces legs d’une civilisation attestée depuis le IVe siècle avant J.-C. jusqu’au IVe siècle de l’ère chrétienne qui forment la mémoire et forgent l’identité algérienne, risquent d’échapper au regard des générations futures. Des civilisations se sont fondues, enchevêtrées aux coutumes et modes de vie des populations locales. Un brassage réussi entre le Phénicien et l’Afro-Berbère qui a donné naissance au Punique.
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«Genèse» de l’information
Mercredi 23 mai. On nous fait part d’une invitation. Une conférence est organisée au Palais de la culture dans le cadre du mois du patrimoine. Une sorte de bilan de certains sites archéologiques les plus vulnérables. Ils seront en fait passés au crible. Le mois du patrimoine se déroule du 18 avril au 18 mai, chaque année. Il est vrai que pour cette fois-ci, il a été quelque peu «écrasé» par l’événement culturel de 2007 «Alger, capitale arabe de la culture». Les manifestations se sont télescopées. Il était attendu de leurs organisateurs une meilleure gestion. Ont-ils estimé que la manière dont ils ont mené l’affaire était parfaite? Dissocier les événements aurait été certainement plus judicieux. Bref, direction le Palais de la culture, à la rencontre du patrimoine. Sur les lieux, Mme Nacéra Benseddik est en pleine interview. Des confrères journalistes de la Radio nationale, la Chaîne I, la monopolisent un instant. C’est une référence incontournable de la période antique. Les invités affluent. On remarque la présence de Mme Anissa Boumediene, l’épouse du défunt président Houari Boumediene.
L’assistance prend place au sein de l’amphithéâtre du Palais de la culture. «Histoire et patrimoine», c’est le thème de la conférence animée par Abderrahmane Khelifa, historien du Moyen Age et ex-directeur du patrimoine et de la culture (DPC) au ministère de la Culture, d’une part, et Mme Nacéra Benseddik, historienne de l’antiquité, archéologue et professeur de l’histoire de l’art antique à l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger. «Histoire de l’Algérie antique à travers les monuments» est l’intitulé de son intervention. Le temps presse. Très vite, les images défilent à l’écran. Elles sont agrémentées, accompagnées de commentaires. Clairs et limpides. Une affaire de spécialiste. La pédagogie est remarquable. La science à la portée de tous. Il y a des conférences qui marquent, qui interpellent. Comme il y a des rencontres qui ne peuvent laisser de marbre. On sent que l’on tient «quelque chose». Nous ne serons pas déçus. Des siècles d’histoire nous sont restitués en un temps record. Quelques dizaines de minutes. «Les habitants du Maghreb n’ont pas vécu ‘’à côté de l’histoire’’ comme on a voulu le faire croire», nous fait savoir la conférencière. Les contacts ont été établis très tôt avec le monde égéen, grec et les navigateurs phéniciens. Les relations avec l’Egypte pharaonique demeurent, cependant, parmi les plus remarquables des peuples de la Méditerranée. Les Berbères Mechouech, qui s’étaient installés vers l’an 1000 avant J.-C., dans le Delta autour de Bubastis, ont étendu leur territoire jusqu’au Fayoum. C’était l’époque de la XXIe dynastie pharaonique. Sheshonq Ier à la tête d’une armée à la puissance redoutée, prend le pouvoir à la mort de son beau-père Psouennes II. Il fonde la XXIIe dynastie et s’impose comme pharaon. Un Berbère à la tête de l’Egypte pharaonique. Egyptiens, Libyens et Nubiens composent ses contingents. Il conquiert la Palestine. Il combat les royaumes d’Israël, s’empare de Ghaza et pille Jérusalem. C’est un des premiers événements bibliques historiquement attesté. Son pouvoir durera jusqu’en 715 avant J.-C. Nous sommes presque sur un nuage. Une certaine fierté s’empare de l’assistance. Nos ancêtres, un peuple valeureux. Une nouvelle terrible va, cependant, perturber cette ambiance. Elle va bouleverser l’assistance. Un grain de sable dans la machine pas assez bien huilée. Comme un scénario de mauvais film. Un nouveau «désastre» est en cours. Les pelleteuses d’une entreprise portugaise, chargée de construire le port de plaisance de Tipasa, sont en train de détruire toute la nécropole punique recouverte par la remontée du niveau de la mer. Dans l’assistance, une invitée prend la parole. «A chaque fois, c’est la même chose. Il ne nous reste plus que nos yeux pour pleurer», lâche-t-elle dans une réaction d’impuissance.
Les puissants auront raison de notre histoire. Le béton envahit nos vestiges. Il détruit, il envahit des pans entiers de notre patrimoine archéologique. De notre mémoire. Les responsables du secteur du département en charge de la préservation du patrimoine est aux abonnés absents. Le folklore a pris l’ascendant sur la culture. Cela fait déjà bien longtemps qu’on le savait. Mais à ce point...il fallait oser. Ils l’ont fait. L’information est trop importante. Elle est d’une extrême gravité. Nous la prenons au pied de la lettre. Une visite sur les lieux du désastre s’impose.
Lundi 28 mai. Le ciel est gris. Il pleut par intermittence. Dans une heure de temps, nous rallierons le village colonial. Tipasa, c’était, avant tout, un village propice à l’établissement et à la présence humaine. Les Romains y ont érigé une ville. C’est au port antique, cependant, que l’information que nous détenons doit être vérifiée. Se confirmer. On en croit à peine nos yeux. Le peu qui restait du caveau punique, daté du IVe siècle environ avant J.-C., et qui était apparent, est encerclé par des pelleteuses de l’entreprise en question ainsi que par des blocs de pierres destinées à la construction de la «Marina». Un port de plaisance où mouilleront yachts et bateaux privés. Un lieu pour privilégiés aux fortunes mal acquises sans doute. L’avenir nous le dira. Les engins vrombissent. Ils nous font sortir de notre torpeur. L’entreprise de destruction bat son plein. Les travaux avancent, sans la présence d’aucun spécialiste en matière archéologique. La direction de la culture est absente. Il n’y aura pas de fouille de sauvetage. Tous les éléments, qui constituent le fond marin du port antique sont menacés de disparition. Le quai, les bateaux échoués avec leur cargaison: objets archéologiques, poteries...sépultures et traces humaines, tout ce qui peut aider à la compréhension d’un pan de l’histoire de l’humanité. Le site de Tipasa est, pourtant, classé patrimoine mondial par l’Unesco, depuis 1982. Nul ne l’ignore, surtout pas les responsables en charge du secteur de la culture. L’Agence nationale d’archéologie a éclaté en trois structures, depuis l’arrivée de l’actuelle équipe, chargée de la protection du patrimoine. Un office, Ogipec, qui a son siège à Dar Aziza Palais du Dey à Alger. Un laboratoire de la restauration des monuments historiques et un centre de recherche archéologique à Dar El Hamra, place des Martyrs à Alger. Renseignements pris. Aucune trace de leur présence sur les lieux du carnage. Nous poussons notre visite plus loin. Ce qui est fait, est fait. Un sentiment d’impuissance et de désolation nous envahit. Le site est magnifique. Mais on veut visiblement sa mort. Les nouvelles constructions l’enlaidissent. Les villas peuvent être cossues. Aucun style architectural. Aucun respect de l’environnement. Le constat du chef de l’Etat en ce qui concerne ce domaine ressurgit. «Nos villes ne ressemblent à rien.» Le glas a sonné pour le patrimoine. Le tourbillon, l’ivresse des fortunes fait perdre la tête. On construit à tout-va. Qu’on le fasse, dans ce cas, dans les normes. Pas au détriment de notre histoire.
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Les risques d’un déclassement du patrimoine mondial
Le Comité du patrimoine mondial (CPM), responsable de la mise en oeuvre de la convention de l’Unesco de 1972, avait mis le site de Tipasa sur la liste du patrimoine en péril. Lors de la 30e session qui s’est tenue à Vilnius en Lituanie, du 8 au 16 juillet 2006, elle lui a accordé un sursis. En effet, en mars 2006, une mission de trois experts a constaté que les eaux usées, la prolifération des habitations illicites à l’intérieur du site, la pollution et les constructions routières constituent une menace pour le site archéologique. La levée de la sanction masque mal le marasme et l’état d’abandon auxquels est livré le patrimoine naturel et culturel algérien. L’humiliation a été évitée de justesse, mais apparemment, ce n’est que partie remise. Nous poussons la visite un peu plus loin sur le site archéologique. Il est composé de trois parties. Le Parc occidental, le domaine des Angelvy-Tremaux et le parc de Sainte Salsa où se trouve la nécropole chrétienne qui surplombe la mer, quand on l’admire du haut de la falaise. La basilique de Sainte Salsa doit son nom à une jeune Berbère qui résista aux envahisseurs et refusa de se soumettre à eux, en se jetant du haut des falaises. C’est sur ces sites qu’ont été construites une partie des habitations illicites. Elles ont été démolies, mais les gravats jonchent encore la place. Le Parc occidental, l’autre champ de fouilles, est toujours squatté, sur deux étages. Des élevages de chèvres et de moutons paissent paisiblement au vu et au su de tout le monde. Quant à l’égout à ciel ouvert, il est toujours là. Il traverse de bout en bout le site archéologique, telle une cicatrice, charriant détritus et eaux polluées de toutes les constructions de ces dernières années. Il termine sa chute en cascade dans la mer bleue de la Méditerranée. Quant aux fameux thermes, ils sont masqués par un immense restaurant qui impose un champ de visibilité de ses extensions. «La société algérienne s’est distinguée depuis l’entrée de l’Islam en Algérie par le respect des hommes érudits et vertueux», a déclaré, un jour, le chef de l’Etat. Une volonté de propulser l’Algérie au rang de nation moderne et tolérante, respectueuse de la civilisation d’autrui. Un message qui ne semble pas avoir été compris par certains. Le mois du patrimoine nous rappelle, chaque année, hélas, la fragilité de ces empreintes millénaires et leur rôle fondamental dans la construction de l’identité algérienne.
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Mohamed Touati
In L'Expression du 02 juin 2007
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