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L'organisation judiciaire de l’Algérie a partagé et subi en quelque sorte toutes les vicissitudes de la conquête. Comme elle, soumise à de nombreuses et fréquentes transformations, elle a constamment progressé avec elle. Aux conseils de guerre et à la prévôté de l’armée, seules juridictions régulières après la prise d’Alger, en 1830, les arrêtés des généraux en chef ne tardèrent pas à substituer successivement une autre justice et d’autres juridictions. Cette fluctuation s’explique par le tâtonnement qu’exige l’administration d’un peuple récemment conquis, dont les mœurs et les lois sont opposées, en toutes choses, à celles des conquérants.
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Avant la conquête, deux justices principales étaient assises dans l’Algérie : la justice musulmane et la justice rabbinique.
La première était essentiellement représentée par les cadis, qui remplissaient à la fois les fonctions de juge et celles de notaire. Chaque village avait le sien, reconnu par l’autorité du dey; en plusieurs lieux, et notamment à Alger, ils étaient au nombre de deux, correspondants aux deux sectes de l’islamisme. L’un, le cadi hanefi, exerçait la juridiction sur les Turcs et leurs enfants; l’autre, le cadi maleki, avait pour justiciables les Maures, les Arabes et le reste des musulmans.
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Le tribunal rabbinique avait les mêmes pouvoirs que le cadi; ses attributions comprenaient uniquement, en matière civile et criminelle, les affaires entre israélites. Il jugeait sans appel, et avait à sa disposition une force exécutive spéciale. Telle était dans son ensemble, au moment de la conquête, l’organisation judiciaire de la régence.
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L’administration de la justice ne reçut une sorte de régularité, et seulement pour Alger, que le 22 octobre 1830. Cette première organisation, qui laissait fonctionner, avec les attributions légèrement modifiées, la juridiction musulmane et la juridiction rabbinique, n’était pas moins défectueuse au point de vue purement politique qu’au point de vue judiciaire. Son plus grand vice était peut-être de ne pas appliquer dans toute sa force le principe de la souveraineté française, puisqu’elle laissait aux tribunaux israélites ou musulmans le soin de rechercher et de punir les crimes et délits commis par leurs coreligionnaires, sans que l’autorité française eût qualité pour les leur déférer. D’un autre côté, aucune des institutions qui se lient si intimement avec l’administration de la justice et qui en sont le complément indispensable, n’avait été réglée d’une manière suffisante; la profession d’avocat ou de défenseur, livrée à la libre concurrence, était, sauf un infiniment petit nombre d’exceptions honorables, l’objet d’une scandaleuse exploitation. En un mot, les marchands inondaient le temple et toutes ses avenues lorsque la commission de 1833 arriva en Algérie.
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Un tel état de choses ne pouvait durer; mais si l’on considère les obstacles de toute sorte que la France a dut rencontrer d’abord, la diversité des religions, des langues, des races, le désordre né de la conquête, la prééminence naturelle de l’autorité militaire, l’incertitude de l’avenir de la colonie, la mobilité des chefs qui se succédaient dans le gouvernement, ayant chacun des systèmes différents ou contraires, on s’étonnera peut-être que l’on ait pu seulement asseoir sur un sol si profondément ébranlé les bases d’une administration judiciaire.
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L’ordonnance du 10 août 1834 consacra les principales dispositions ou améliorations elle régla la compétence des tribunaux; elle supprima les attributions judiciaires du conseil d’administration; elle organisa le ministère public sur des bases convenables; elle introduisit le recours en cassation tant en matière civile qu’en matière criminelle; elle assura la poursuite et la répression de tous les crimes, même entre indigènes; elle étendit la compétence des tribunaux français aux affaires entre indigènes de religion différente; elle soumit au visa et à un appel facultatif de la part du procureur-général les jugements rendus en matière correctionnelle et criminelle par les tribunaux musulmans; elle enleva aux tribunaux israélites toute compétence en matière correctionnelle et criminelle.
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Quant à la procédure, elle dispensa du préliminaire de la conciliation toutes les instances civiles; elle décida que la forme de procéder en matière civile et commerciale devant les tribunaux français d’Afrique serait la même que celle suivie en France devant les tribunaux de commerce; elle autorisa la citation directe sans instruction préalable, en matière de simple police, correctionnelle et criminelle. Quant à la juridiction administrative, elle dépouilla le conseil d’administration de sa souveraineté, et créa un degré supérieur de juridiction, le Conseil d’état. Par des dispositions particulières, elle rendit facultatives par le juge les nullités d’exploits et d’actes de procédure; elle admit la contrainte par corps dans tout jugement portant condamnation au paiement d’une somme d’argent ou à la délivrance de valeurs ou objets mobiliers.
Cette ordonnance, qui a été souvent attaquée, comme toutes les choses qui vivent, a cependant régi la colonie pendant plus de six années.
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L’ordonnance du 28 février 1841 a adopté le cadre de l’ordonnance du 10 août 1834 seulement elle l’a élargi dans quelques-unes de ses parties, selon les besoins et les exigences que le développement naturel des affaires avait créés. Elle a encore étendu l’application des principes de la souvéreneté française, en disposant que les tribunaux musulmans ne pourraient connaître des crimes commis par des musulmans qu’autant qu’ils ne seraient pas prévus par la loi française. C’est là le critérium de la nouvelle ordonnance.
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Deux juridictions fonctionnaient déjà dans l’Algérie, indépendamment des conseils de guerre, celle des tribunaux ordinaires et celle des commissaires civils, lorsque l’ordonnance du 18 mai 1841 en introduisit une troisième, les justices de paix. Cette dernière juridiction fut appelée à siéger dans les mêmes localités que celles où sont établis les commissariats civils; les attributions de ces deux juridictions sont les mêmes en matière civile qu’en matière commerciale; mais en matière correctionnelle, les juges de paix ont, aux termes de l’article 6, des attributions que n’ont point les commissaires civils; de plus, en matière de simple police, ils jugent sans appel, tandis qu’en la même matière l’appel des jugements des commissaires civils est porté au tribunal correctionnel.
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L’ordonnance du 26 septembre 1842 est venue perfectionner encore les modifications successives que nous avons indiquées. Sous l’ordonnance de 1834 le personnel judiciaire de l’Algérie se composait de seize membres, et sous celle de 1841 de vingt-quatre. L’ordonnance de 1842 le porte au chiffre de quarante-six. En outre, trois nouveaux juges de paix sont créés à Alger, Bône et Oran, ainsi que dix suppléants et trois greffiers.
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