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Pour expliquer les circonstances qui amenèrent le traité de la Tafna, il nous faut retourner à Oran. Dès son arrivée, le général Bugeaud avait lancé un manifeste menaçant contre les tribus qui se montreraient hostiles à la France; cependant, tout en se préparant à la guerre, il entamait des négociations avec Abd-el-Kader. Le juif Ben Durand lui servit d’intermédiaire; mais, soit que l’émir se défiât des lenteurs apportées par cet agent, soit qu’il espérât accroître la mésintelligence qu’il savait exister déjà entre les deux généraux, il prit tout à coup le parti de faire directement des ouvertures au gouverneur général. Celui-ci lui répondit qu’il ne serait pas éloigné d’accueillir ses propositions, et informa le ministère des bases sur lesquelles il pensait qu l’on pouvait traiter : elles renfermaient Abd-el-Kader dans les limites du Chélif.
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Ayant eu connaissance de cette négociation, le général Bugeaud adressa des reproches assez vifs au comte Damrémont, qui, se croyant dans son droit, répondit sur le même ton; mais bientôt, convaincu que son collègue avait seul mission pour traiter avec l’émir, il écrivit à ce dernier que désormais il devait s’entendre avec le général commandant la division d’Oran, ne se réservant à lui-même que le droit de sanction. Cependant les prétentions d’Abd-el-Kader parurent si exagérées au général Bugeaud, que les pourparlers furent suspendus. Alors le général partit d’Oran, à la tête de neuf mille hommes, se dirigeant sur Tlemcen qu’il ravitailla, puis sur la Tafna, qu’il atteignit le 23 mai, sans avoir eu dans toutes ces marches que quelques coups de fusil à échanger avec les Arabes.
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Dans cet intervalle, l’émir chargea Ben Durand d’annoncer à M. Bugeaud qu’il était tout disposé à traiter avec lui pour la province d’Oran; quant à celles de Tittery et d’Alger, il se réservait de s’entendre avec le gouverneur général. Mais M. Bugeaud, qui déjà commençait à se défier de la bonne foi de Durand, changea d’intermédiaire et se servit de Sidi-Hamadi-Ben-Seal, un de ses affidés. Ce dernier revint bientôt porteur de propositions d’Abd-el-Kader qui parurent au général pouvoir servir de bases à un arrangement convenable.
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Nous voici arrivés au trop célèbre traité de la Tafna, qui a attiré à son auteur des reproches de plus d’un genre; mais nous ne nous occuperons ici que du document officiel et des clauses authentiques. N’obéissant qu’à sa propre impulsion, le général Bugeaud rédigea le projet du traité sans tenir aucun compte des instructions qu’il avait reçues; ainsi, il lui était recommandé de tenir Abd-el-Kader au delà du Chélif, et il céda la province de Tittery. De son côté, il annonçait que l’émir se soumettrait à payer un tribut à la France, en signe de vassalité. Cette clause virtuelle fut rayée par Abd-el-Kader. Habitué à beaucoup prendre sous sa responsabilité, le général pensa que le ministère ne s’arrêterait pas à ces accessoires, et crut devoir passer outre. Au reste, il ne se trompait pas ; car, avant la conclusion définitive, une dépêche ministérielle l’autorisait à abandonner la province de Tittery, s’il le jugeait convenable. Sous cette déplorable influence, le traité suivant fut signé et échangé.
ART. 1 L’émir reconnaît la souveraineté de la France en Algérie.
ART. 2. La France se réserve dans la province d’Oran Mostaganem, Mazagran et leurs territoires ; Oran, Arzew; plus un territoire ainsi délimité: à l’est, par la rivière de la Macta et le marais d’où elle sort; au sud, une ligne partant du marais ci-dessus mentionné, passant par le bord sud’ du lac Sebgha et se prolongeant jusqu’à l’Oued-Malad (Rio Salado), dans la direction de Sidi-Saïd; et de cette rivière jusqu’à la mer; de manière que tout le terrain compris dans ce périmètre soit territoire français.
Dans la province d’Alger: Alger, le Sahel, la plaine de Mitidja, bornée à l’est jusqu’à l’Oued-Khadra et au delà; au sud, par la première crête de la première chaîne du petit Atlas jusqu’à la Chiffa, en y comprenant Blida et son territoire; à l’ouest par la Chiffa jusqu’au coude de Mazagran, et de là par une ligne droite jusqu’à la mer, renfermant Coléah et son territoire, de manière à ce que tout le terrain compris dans ce périmètre soit territoire français.
ART. 3. L’émir administrera la province d’Oran, celle de Tittery, et la partie de celle d’Alger qui n’est pas comprise, à l’ouest, dans les limites indiquées à l’article 2. Il ne pourra pénétrer dans aucune partie de la régence.
ART. 4. L’émir n’aura aucune autorité sur les musulmans qui voudront habiter sur le territoire réservé à la France; mais ceux-ci resteront libres d’aller vivre sur le territoire dont l’émir a l’administration, comme les habitants du territoire de l’émir pourront venir s’établir sur le territoire français.
ART. 5. Les Arabes vivant sur le territoire français exerceront librement leur religion. Ils pourront y bâtir des mosquées et suivre en tout point leur discipline religieuse, sous l’autorité de leurs chefs spirituels.
ART. 6. L’émir donnera à l’armée française: trente mille fanègues (d’Orient) de froment, trente mille fanègues (d’Orient) d’orge, cinq mille bœufs. La livraison de ces denrées se fera à Oran par tiers; la première aura lieu du 1er au 15 septembre 1837, et les deux autres de deux en deux mois.
ART. 7. L’émir achètera en France la poudre, le soufre et les armes dont il aura besoin.
ART. 8. Les Koulouglis qui voudront rester à Tlemcen, ou ailleurs, y posséderont librement leurs propriétés et y seront traités comme les Hadars. Ceux qui voudront se retirer sur le territoire français pourront vendre ou affermer librement leurs propriétés.
ART. 9. La France cède à l’émir: Harshgoun, Tlemcen, le Mechouar et les canons qui étaient anciennement dans cette dernière citadelle. L’émir s’oblige à faire transporter à Oran tous les effets, ainsi que les munitions de guerre et de bouche de la garnison de Tlemcen.
ART. 10. Le commerce sera libre entre les Arabes et les Français qui pourront s’établir réciproquement sur l’un ou l’autre territoire.
ART. 11. Les Français seront respectés chez les Arabes comme les Arabes chez les Français. Les fermes et les propriétés que les sujets français auront acquises ou acquerront sur le territoire arabe leur seront garanties; ils en jouiront librement; et l’émir s’oblige à leur rembourser les dommages que les Arabes leur feraient éprouver.
ART. 12. Les criminels des deux territoires seront réciproquement rendus.
ART. 13. L’émir s’engage à ne concéder aucun point du littoral à une puissance quelconque sans l’autorisation de la France.
ART. 14. Le commerce de la régence ne pourra se faire que dans les ports occupés par la France.
ART. 15. La France pourra entretenir des agents auprès de l’émir et dans les villes soumises à son administration, pour servir d’intermédiaires près de lui aux sujets français, pour les contestations commerciales ou autres qu’ils pourraient avoir avec les Arabes. L’émir jouira de la même faculté dans les villes et ports français.
Tafna, le 30 mai 1837.
Le lieutenant général commandant la province d’Oran,
Signé: BUGEAUD.
Cachet du général Bugeaud. Cachet d’Abd-el-Kader.
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Après l’échange du traité, le général Bugeaud fit proposer à Abd-el-Kader une entrevue pour le lendemain à trois lieues des bords de la Tafna. Dès neuf heures du matin, le général était à l’endroit indiqué, accompagné de six bataillons d’infanterie, de deux escadrons de cavalerie et de quelques pièces de campagne. Abd-el-Kader ne s’y trouva pas; il est vrai de dire que sept lieues le séparaient du rendez-vous, tandis que le général français n’en avait eu que trois à faire. Cinq heures s’écoulèrent à attendre, sans que personne se présentât; enfin, vers deux heures après midi, des cavaliers arabes annoncèrent que l’émir avait été malade et n’avait pu quitter son camp que fort tard; qu’il marchait lentement, et qu’il serait peut-être convenable que le général s’avançât encore. Toutes ses excuses satisfaisaient peu M. Bugeaud; mais enfin il était tard, et il ne voulait pas retourner dans son camp sans avoir vu Abd-el-Kader. Il poussa donc en avant. Après avoir franchi des vallons et des collines sans rien rencontrer encore, on signala, au détour d’une gorge étroite le chef de la tribu des Oulassahs ; il venait au-devant du général français pour lui dire qu’Abd-el-Kader se trouvait près de là sur un coteau, et offrit de l’y conduire. La condescendance du général était à bout; cependant il suivit son obligeant cicérone; pendant ce temps l’émir, au repos, disait aux chefs arabes dont il était entouré : « J’attends l’hommage que le sultan de France vient me rendre. » Lorsque le général Bugeaud eut marché pendant un quart d’heure sous la conduite de son guide, il aperçut enfin, sur un mamelon, l’émir au milieu d’un groupe considérable de cavaliers; les contingents arabes et kabyles, au nombre de dix mille, couronnaient toutes les collines environnantes. Alors seulement Abd-el-Kader s’avança du côté de la petite troupe, en tête de laquelle se trouvait le général Bugeaud. Le cortège de l’émir avait un aspect réellement imposant : on pouvait y compter cent cinquante ou deux cents chefs, tous revêtus de riches costumes, tous montés sur de magnifiques coursiers qu’ils maniaient avec une grande habileté ; Abd-el-Kader ne leur cédait ni en adresse ni en magnificence; il les précédait de quelques pas, guidant un beau cheval noir merveilleusement dressé: tantôt il l’enlevait des quatre pieds à la fois, tantôt il le faisait marcher sur les deux pieds de derrière; et tous ces mouvements, il les exécutait avec la plus grande aisance, comme sans y penser; six domestiques rangés autour de lui surveillaient les différentes parties du harnachement.
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