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Le 6 octobre 1837, à 9 heures du matin, la première colonne arriva sur le plateau de Mansourah. Le gouverneur général se porta aussitôt en avant pour observer la ville et en reconnaître les abords. Comme l’année précédente, Constantine se montrait décidée à une résistance énergique: Ben-Aïssa commandait toujours les troupes de l’intérieur, et Ahmed Bey celles du dehors. D’immenses pavillons rouges s’agitaient orgueilleusement dans les airs, salués par le cri aigu des femmes et par les moles acclamations des défenseurs de la place. Les topjis étaient à leur poste, et sitôt qu’ils apercevaient un groupe de Français, ils lançaient dans leur direction, avec une rectitude remarquable, une bombe ou un boulet. C’est ainsi que furent accueillis sur plusieurs points le général Damrémont et le jeune prince qui marchait à ses côtés.
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Lorsque les généraux d’artillerie et du génie eurent fait la reconnaissance de la place, il fut décidé que l’attaque aurait lieu par Coudiat-Aty, et qu’il serait seulement établi sur le Mansourah trois batteries destinées à éteindre les feux du front d’attaque et ceux de la Casbah: on espérait que ces trois batteries, en foudroyant la ville détermineraient plus promptement sa capitulation. Pendant que l’on arrêtait ces dispositions, la seconde colonne arrivait sur le plateau de Sidi-Mabrouk, en arrière de Mansourah. Elle reçut aussitôt l’ordre d’y laisser le convoi et d’aller occuper Coudiat-Aty. La troisième brigade s’y porta en coupant le Rummel au-dessous de sa réunion avec le Bou-Merzoug, et la quatrième en traversant successivement les deux rivières, au-dessus de leur confluent. Sur la croupe montueuse qui forme un haut promontoire entre ces deux rivières, se tenait en observation, et à une certaine distance de la ligne de direction suivie par les troupes, la cavalerie arabe, au milieu de laquelle on distinguait Ahmed Bey. Malgré sa bonne position, l’ennemi ne fit aucune démonstration offensive, et le général Rulhières, sous le commandement supérieur duquel étaient placées les deux dernières brigades, s’établit à Coudiat-Aty, sans avoir eu un coup de fusil à tirer.
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Du côté qui regarde la ville, le contrefort de Coudiat-Aty s’arrondit et se termine par une berge fort abrupte. En dedans, il se relève et forme une sorte de rebord demi-circulaire, dont la pente est semée de tombes, de chapelles et de marabouts. Deux bataillons s’établirent dans ce cimetière, tandis que le quartier général posait ses tentes à Sidi-Mabrouk et que le plateau de Mansourah se garnissait de batteries. Sur celui de Coudiat-Aty, les difficultés du terrain empêchaient les travaux d’avancer aussi rapidement.
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Toutes ces dispositions inquiétaient les assiégés; et, le 7, ils résolurent d’y porter obstacle. En effet, dès les premières lueurs du jour, une double sortie fut dirigée contre les travaux la première eut lieu par la porte d’El-Kantara; elle porta ses efforts sur la droite de Mansourah; mais fut repoussée avec une grande perte par le 2e léger et les zouaves. La seconde sortie, plus sérieuse, s’opéra par les portes qui font face à Coudiat-Aty; cette colonne se composait de huit cents hommes, Turcs ou Koulouglis. Le troisième bataillon d’Afrique, la légion étrangère et le 26e de ligne l’accueillirent par des feux de peloton bien dirigés, qui l’ébranlèrent. Les Arabes du dehors vinrent aussi attaquer; mais ils eurent affaire au 47e de ligne et aux chasseurs d’Afrique, qui les mirent en complète déroute. Vers dix heures du matin, tout ce flux d’assaillants s’était retiré: les hommes à pied regagnèrent la ville, ceux à cheval se portèrent hors du rayon des charges de la cavalerie.
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A midi, le général Valée vint reconnaître Coudiat-Aty et déterminer l’emplacement de deux nouvelles batteries : une de brèche et une d’obusiers. On ordonna aussi la construction d’un retranchement sur le mamelon qui se trouve au-dessus du confluent des deux rivières pour mettre les communications entre Coudiat-Aty et Mansourah à l’abri des attaques de l’ennemi. Ces divers travaux commencèrent la nuit. Trois compagnies de sapeurs du génie et sept cent cinquante hommes d’infanterie y furent employés; mais la pluie, qui tombait par torrents, rendit tous leurs efforts inutiles : les rampes ménagées pour le transport de l’artillerie s’éboulaient; les canons et les prolonges s’embourbaient à chaque pas; les sacs à terre, imprégnés d’eau, n’offraient plus qu’une masse fangeuse et sans consistance. Condamnés à l’inaction, couverts de boue, glacés par l’humidité, les travailleurs, sentaient leurs membres s’engourdir, et ne trouvaient nulle part un abri; tous les feux étaient éteints; aucune tente n’était dressée. Sous l’influence de ce fâcheux contretemps, les batteries de Mansourah ne purent être armées, et celles de Coudiat-Aty restèrent inachevées.
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Dans la journée du 8, une batterie supplémentaire s’éleva avec rapidité sur la pointe méridionale du plateau. Elle reçut le nom de batterie de Damrémont, et fut armée de trois pièces de 24 et de deux obusiers. On aurait du commencer le feu dans la soirée; mais le temps étant trop brumeux pour obtenir un hon pointage, on en remit l’ouverture au lendemain. La nuit fut encore plus pénible que la précédente ; la pluie tomba sans discontinuer. Il importait cependant que les éclats de l'artillerie, répondant à celle de la ville, vinssent soutenir le moral des troupes.
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Enfin le 9, vers 7 heures du matin, le feu commença. Cependant les batteries de Mansourah ne produisirent pas tout l’effet qu’on en avait attendu le feu de la Casbah fut, il est vrai, assez promptement éteint; mais les bombes et les fusées n’allumèrent nulle part l’incendie, et la ville, bravant ce bruyant orage, ne se montra pas disposée à ouvrir ses portes comme on l’avait espéré. Renonçant à une tentative qui, plus longtemps prolongée, aurait pufaire user toutes les munitions de siége en pure perte, le gouverneur général résolut de dégarnir les batteries de Mansourah, pour amener leurs pièces à celles de Coudiat-Aty il faut avoir vu les lieux, mesuré les précipices qui se trouvent entre ces deux points, pour apprécier toutes les difficultés d’une semblable opération. Pas de route tracée, un terrain gras et argileux détrempé par la pluie, un torrent hérissé de rochers, et des berges à pic; c’est à travers tous ces obstacles qu’il fallut transporter des pièces de 24 ! Les chevaux n’y suffisaient pas; les hommes étaient obligés d’aider leur marche à coups de leviers, de charger les pièces sur leurs épaules, et de s’avancer avec cet immense fardeau sous le feu de l’ennemi.
Deux jours et deux nuits furent consacrés à ces pénibles travaux.
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Le 11 au matin, les batteries de Coudiat-Aty ouvrirent leur feu, et cette fois en deux ou trois heures, le couronnement des murailles fut détruit ou mis hors d’état de protéger efficacement les pièces de rempart. Vers deux heures et demie, un obusier pointé par le commandant Maléchard, sur un but indiqué par le général Valée, détermina le premier éboulement, qui fut salué d’un cri de joie unanime. Dès ce moment Constantine put être considérée comme vaincu, car le succès ne dépendait plus que de la baïonnette de nos soldats.
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Cependant le gouverneur général, moins jaloux de la gloire d’une prise d’assaut que désireux d’arrêter l’effusion du sang et d’empêcher les vaincus de courir à leur perte, avait résolu, avant de lancer les colonnes d’attaque, de sommer les assiégés, et de tenter de les éclairer sur le danger de leur situation. La réponse à ces propositions bienveillantes ne fut remise que le lendemain matin; elle était conçue en termes presque outrageants. « Il y a à Constantine, y disait-on, beaucoup de munitions de guerre et de bouche. Si les Français en manquent, nous leur en enverrons. Nous ne savons ce que c’est qu’une brèche ni une capitulation; nous défendrons à outrance notre ville et nos maisons. Les Français ne seront maîtres de Constantine qu’après avoir égorgé jusqu’au dernier de ses défenseurs. » En entendant la lecture de cette réponse, le gouverneur général s’écria : « Ce sont des gens de cœur, eh bien ! L’affaire n’en sera que plus glorieuse pour nous ! » Puis il monta à cheval et se dirigea sur Coudiat-Aty, suivi de son état-major.
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