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L'année 1842 touchait à sa fin ; l’hiver s’avançait à grands pas; cependant, malgré la mauvaise saison qui rendait déjà les campements peu praticables, les hostilités ne paraissaient point devoir se ralentir. La présence d’Abd-el-Kader dans la chaîne des montagnes de l’Ouarenseris donnait trop d’inquiétudes pour qu’on le laissât paisiblement s’établir pendant l’hiver dans ce retranchement. On n’avait pas encore oublié l’influence qu’il avait exercée l’année précédente sur les provinces d’Oran et de Titery, et aujourd’hui on craignait qu’il ne reconquît la même puissance s’il séjournait longtemps au milieu des populations belliqueuses de l’Ouarenseris.
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De cette position, en effet, il dominait non-seulement tout le pays entre le Chélif et la Mina, mais encore il contenaitles tribus des environs qui nous étaient le plus attachées aux Français, et menaçait de porter la guerre dans les contrées soumisesen avant de Médéa, Miliana et Mostaganem. Soutenu par de nombreux contingents que sa troupe recrutait chaque jour au sein de ces montagnes, pouvant d’ailleurs disposer à son gré d’abondantes ressources, il devenait très dangereux pour les établissements français; la prudence commandait donc de le déloger promptement.
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A cet effet, le gouverneur général organisa une campagne d’hiver et réunit des novembre, sous les murs de Miliana, trois colonnes de la division d’Alger. Le lendemain, elles se mirent en mouvement pour aller occuper les montagnes couvertes de bois de Beni-Ouragh, retraite habituelle de la grande tribu insoumise des Flitas. D’un autre côté, par une habile combinaison, les divisions de Mascara et de Mostaganem, conduites par les généraux Lamoricière et Gentil, devaient manœuvrer de manière à pousser les populations de cette tribu dans les montagnes des Beni-Ouragh, où la division d’Alger les attendait. La colonne de droite était commandée par le gouverneur lui-même, ayant sous ses ordres le duc d’Aumale; celle du centre obéissait au général Changarnier; et celle de gauche avait pour chef le brave colonel Korte.
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Le résultat des opérations répondit parfaitement à l’attente du général en chef. En vingt-deux jours, presque toute la chaîne de l’Ouarenseris jusqu’à l’Oued-Rihou, la vallée entière du Chélif, avec toutes les tribus qui bordent la Djediania et la rive gauche de l’Oued-Rihou, ainsi que la plus grande partie de la tribu des Flitas, furent soumises. Le 17décembre, les hostilités avaient entièrement cessé sur la rive gauche du Chélif. Après un pareil succès, On jugea opportun de profiter de la circonstance pour intimider les populations qui environnent Ténès. Le général Changarnier eut la direction de cette expédition, dont il s’acquitta avec une grande habileté.
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Ces avantages divers, remportés par les troupes, étaient autant d’échecs pour la puissance d’Abd-el-Kader. L’émir ne l’ignorait pas. Il savait que l’Arabe obéit avant tout à la crainte, et que la force est pour lui la loi suprême. Aussi, dès les premières soumissions des tribus, Abd-el-Kader s’était ménagé des intelligences avec elles, afin de neutraliser les effets des victoires françaises. Quelques-unes ne cachaient point leur sympathie pour lui; mais entre toutes, les mieux disposées en sa faveur étaient celles établies dans la partie de l’Atlas qui s’étend de Cherchell jusqu’auprès de Ténès. Suivi seulement d’un millier de chevaux, l’émir se présenta donc vers la lin de décembre dans la vallée du Chélif, où il arbora de nouveau le drapeau de l’insurrection. Aussitôt les tribus se lèvent, et de toutes parts des forces nouvelles viennent grossir celles dont il dispose. A la tête de deux mille cavaliers et de six cents fantassins, il envahit l’aghalik de Brâz; ce mouvement n’était que le prélude d’une défection plus grande. Le 7 janvier 1843 suivant, Abd-el-Kader ayant exécuté une razzia contre les Athaf, à une journée de Miliana, presque toutes les autres tribus soumises aux Français au mois de décembre reconnurent de nouveau son autorité.
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Voulant imposer à ceux qui seraient tentés de l’abandonner, l’émir déploya la plus grande cruauté envers le caïd de Brâz ralié aux Français et ses trois fils; par ses ordres, tous quatre furent impitoyablement décapités. Il fit mutiler plusieurs chefs, et enlever tous les individus soupçonnés d’être favorables à la cause farbçaise; puis il alla se retrancher dans les hautes montagnes des Beni-Zioui Zatima, Gouraya et Larhulh, où il recruta environ trois mille Kabyles, à la tête desquels il s’avança bientôt chez les Beni-Menacer avec son khalifat El-Berkani. Comme son but était de pousser ces populations à une démonstration contre Cherchell il avait eu soin de préparer d’avance ce mouvement par ses émissaires et ses intrigues.
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Ainsi, l’année 1843 semblait commencer encore sous de fâcheux auspices. De toutes parts dans l’ouest les hostilités reprenaient une nouvelle vigueur; l'exemple des défections pouvait devenir contagieux et ramener la guerre aux portes d’Alger; il importait donc de prévenir ce retour. Pour cela, et afin d’achever la ruine de l’émir, il fallait s’attacher obstinément à ses pas, paralyser toutes ses tentatives. Le général de Bar, instruit à temps des projets d’Abd-el-Kader sur Cherchell, marcha à sa rencontre, et eut avec lui, dans les journées des 23, 24 et 25 janvier, plusieurs engagements à la suite desquels il l’obligea de se jeter dans les montagnes de Gouraya. Sur ces entrefaites, le général Changarnier, sorti de Miliana le 22, s’était porté, par une marche hardie, sur ses derrières, châtiant sévèrement sur sa route plusieurs tribus rebelles qui avaient cédé à l’entraînement de leur ancien chef. D’un autre côté, le duc d’Aumale ayant effectué de nombreuses prises sur l’ennemi dans !e sud de Mi1iana, dédommageait amplement les alliés des pertes que leur avaient fait éprouver les razzias d’Abd-el-Kader.
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En apprenant Ces hostilités nouvelles et inattendues, le général Bugeaud envoya, sur le théâtre des événements un officier expérimenté, afin d’apprécier la véritable situation des choses. Le 27 janvier, à quatre heures du matin, le colonel l’Admirault vint lui apprendre l’arrivée d’Abd-el-Kader dans la province de Titery, et les progrès que faisait l’insurrection dans la partie occidentale. Aussitôt le gouverneur général s’embarque avec deux bataillons, et dans la nuit même il aborde à Cherchell; trois jours après, il était à la poursuite de l’émir et châtiait, chemin faisant, les tribus coupables de défection. Le mauvais temps seul s’opposa à l’entier accomplissement de cette campagne. Surprise par un ouragan terrible au milieu des montagnes, l’expédition dut se hâter de gagner promptement les bords de la mer, où stationnait un convoi. Des tourbillons de neige mêlés de grêle obscurcissaient l’atmosphère et rendaient la marche excessivement pénible. Malgré ces obstacles, le 5 février, à quatre heures du soir, on atteignit le convoi. Jusque-là, le temps n’avait pas discontinué d’être affreux, et, dans la nuit du 6 au 7, il tomba une si grande quantité de pluie que les feux du camp furent, tous éteints. Deux des plus importantes tribus rebelles, les Beni-Ferrak et les Beni-Menacer, furent punies sévèrement; le rassemblement des Kabyles qui s’étaient joints à Abd-el-Kader se dispersa, et l’émir lui-même, avec son califat El-Berkani, fut contraint de chercher un refuge dans les montagnes. Peu s’en fallut, dans cette courte expédition, que l’armée n’eût à déplorer la perte du gouverneur général tombé au milieu d’une embuscade, il essuya le feu de six coups de fusil tirés presque à bout portant. Aucun ne l’atteignit, mais son cheval fut grièvement blessé.
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Cette dernière tentative d’un pouvoir expirant fut donc complètement déjouée, et pendant les mois de mars et avril l843, des razzias incessantes, exécutées par les généraux Changarnier, Bedeau, Gentil, amenèrent la soumission définitive d’un grand nombre de tribus. Mais de toutes ces opérations exécutées avec audace et habileté, aucune n’égale celle qui a eu pour résultat la prise de la smalah d’Abd-el-Kader par M. le duc d’Aumale.
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