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Le fort de l’Empereur, dont l’armée française allait faire le siège, est assis sur le roc vif et présente une forme à peu près rectangulaire; les grands côtés du rectangle ont cent cinquante mètres de longueur, et les petits, cent; la hauteur moyenne des revêtements est de neuf mètres. Aux quatre angles s’élèvent des bastions peu spacieux et d’un tracé irrégulier; les revêtements et les parapets de ces bastions et des courtines qui les joignent sont construits en pisé et recouverts de maçonnerie. Il n’y a point de fossé; mais, en avant du front nord-ouest, celui contre lequel l’attaque semblait devoir particulièrement se diriger, le roc présente une forte excavation. Une tour ronde, construite dans l’intérieur, domine tous les ouvrages et forme comme une espèce de réduit entouré de magasins casematés. L’élévation du fort au dessus du niveau de la mer est de deux cent trente mètres.
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Les abords de la ville étaient encore défendus au sud par de nombreuses batteries échelonnées sur la plage, et au nord, par le fort des Vingt-quatre Heures, situé à trois cents mètres du Fort Neuf; plus loin encore, à quinze cents mètres, s’élève le fort des Anglais. Malgré ces constructions multipliées, la défense d’Alger était faible du côté de terre, car il n’y avait sur ce point que le château de l’Empereur qui pût faire une résistance sérieuse, et encore était-il dominé lui-même et vu dans son intérieur par le plateau supérieur du Bouzaréah. Aussi, dès que nos soldats eurent couronné ces hauteurs, le fort de l’Empereur tira le canon d’alarme les Algériens n’avaient jamais pensé que notre armée eût tenté de les escalader et de s’y établir.
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Quoiqu’on fût persuadé à Alger, et que le dey lui-même partageât cette opinion, que les Français ne pourraient jamais s’emparer du château de l’Empereur qu’après avoir construit une citadelle de force supérieure et capable de le ruiner, cependant les progrès rapides que les Français avaient faits dans une seule journée avaient jeté une vive alarme dans la ville. Le muphti fut chargé de relever, par ses exhortations, le moral des troupes et des habitants; on distribua de nouveaux étendards, auxquels étaient attachées des grâces spéciales, et le Khaznadji (ministre des finances), qui avait toute la confiance du dey, se chargea de la défense du château de l’Empereur. Huit cents tobjis (canonniers) pris parmi les plus habiles pointeurs, et quinze cents janissaires, furent chargés de le seconder; tous jurèrent de défendre la place jusqu’à la dernière extrémité.
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Après avoir visité les différentes positions de l'armée et reconnu un plateau que le capitaine Boutin avait désigné, en 1808, comme l’emplacement le plus favorable pour l’ouverture de la tranchée, M. de Bourmont établit son quartier général à deux mille mètres du fort de l’Empereur. A peine y fut-il installé, que les consuls résidant à Alger demandèrent à lui être présentés. Ils venaient complimenter le général en chef de l’armée française, et lui exprimer les vœux qu’ils faisaient pour le succès de l'entreprise. Quoique leur pavillon flottât sur chacune de leurs résidences, ils s’étaient cependant tous réunis, pour plus de sécurité, au consulat américain, situé à mi-côte du Bouzaréah. M. de Bourmont les rassura encore davantage en mettant à leur disposition une garde particulière, composée de gendarmes et de grenadiers français. Malgré les horribles fatigues de la journée, il fut ordonné que les travaux de tranchée commenceraient dès le soir même. Cinq maisons, situées à une distance moyenne de cinq cents mètres du château, et qui formaient un cordon entre le consulat de Suède à droite et un mamelon opposé à la face ouest du fort, devaient être crénelées et servir de première parallèle. Le 30 au matin, ces travaux préliminaires étaient accomplis, et mille mètres de tranchée avaient été ouverts.
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Dès que les artilleurs du château de l’Empereur découvrirent les travaux, ils commencèrent un feu terrible , surtout contre la ligne de l’ouest, dont quelques parties n’étaient pas entièrement terminées, et qui ne se trouvait d’ailleurs qu’à une faible distance de la place. Le chef de bataillon du génie Chambaud y perdit la vie. De leur côté, les janissaires, fidèles à leur engagement, firent une sortie, mais ils furent repoussés avec une grande perte. Ces attaques sans portée ne ralentirent pas un seul instant les travaux du siège. Les généraux commandant l’artillerie et le génie reconnurent le fort au milieu des escarmouches, et s’occupèrent de déterminer l’emplacement des batteries de siége.
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L’angle ouest du château, dont l’un des côtés est tourné vers le nord-ouest, et l’autre vers le sud-ouest, fut considéré comme la partie qui offrait le plus d’avantages pour l’attaque, et celle dont la brèche serait plus facilement abordable. A cet effet, trois batteries armées, l’une de deux obusiers de huit pouces, l’autre de six canons de vingt-quatre, la troisième de quatre pièces du même calibre, devaient faire converger leurs feux sur la face sud-ouest. On pensa en outre qu’à l’extrême gauche, dans le prolongement du front sud-ouest, six canons de seize seraient favorablement placés pour enfiler la courtine de ce front et battre de plein fouet le front nord-ouest. Cette considération détermina la formation d’une quatrième batterie. Enfin, le général La Hitte, après de nouvelles études, décida la construction de deux autres batteries moins importantes, mais capables de répondre aux feux de la Casbah. Presque toutes ces batteries étaient masquées par des arbres, des haies ou des buissons, et dominaient de plusieurs mètres les parapets du château.
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Pendant que ces travaux s’organisaient, que les pièces de siège se mettaient en marche, l’armée française rectifiait ses positions et se rapprochait de la place. Le 6e régiment d’infanterie de ligne campa dans les jardins de la maison consulaire d’Espagne, à droite de la route de Staouëli; ses postes s’avancèrent jusqu’au consulat de Suède. On plaça le 49e près du terrain assigné au dépôt de tranchée. Les deux régiments de la brigade d’Arcine s’établirent à quatre cents mètres en arrière de la maison du consul des Pays-Bas. Le camp du deuxième régiment de marche (1er et 2e légers) se trouvait à la hauteur du grand quartier général; le 35e, après être resté deux jours dans l’emplacement qui lui avait été assigné le 29 au soir, se réunit au deuxième de marche. La deuxième brigade de la troisième division, composée des 17e et 30e de ligne, campa en arrière de la première. On marqua l’emplacement des parcs du génie et d’artillerie à droite et à gauche de la route, un peu en arrière du quartier général; ce fut là aussi que le régiment de chasseurs à cheval vint prendre position. La division Berthezène ayant toujours combattu en première ligne, ses pertes avaient été très considérables, aussi, pour la ménager, la chargea-t-on de couvrir l’armée de siége, d’escorter les convois et d’occuper, à partir du camp de Staouëli, les postes et redoutes destinés à le protéger. Par suite de cette disposition, le 15e de ligne et le premier bataillon du 48e ainsi que la brigade Montlivault, rejoignirent leur division sous les murs d’Alger.
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Le terrain où devaient s’opérer les travaux du siége présentait partout de grandes difficultés: il était composé de roche mixte que la pioche avait peine à entamer; immédiatement après la surface du sol, le roc se montrait à nu, et pour former les épaulements il fallait recourir aux sacs à terre. La tranchée avait été ouverte dans la nuit du 29 au 30 juin; la nuit suivante, la colline était déjà couronnée dans tout son développement. Pendant la nuit du 1er au 2 juillet, on élargit les communications et on commença à construire les batteries d’enfilade; enfin, la nuit d’après les bouches à feu furent amenées dans la tranchée et montées sur leurs affûts. Mais tous ces travaux, qui furent poursuivis sans relâche jour et nuit, causèrent des pertes considérables. Les canons du fort de l’Empereur et ceux de la Casbah, incessamment braqués sur les ouvrages, faisaient un feu roulant qui détruisait les parapets; tandis que les Arabes, armés de leurs longs fusils, prenant à revers les boyaux de tranchée, y décimaient les travailleurs. Ces attaques continuelles démoralisaient le soldat. Afin de détourner un instant l’attention de l’ennemi des travaux du siége, l’amiral fut chargé d’opérer avec la flotte sur le front de mer. En effet, le 1er juillet, une brise ayant permis ce mouvement, l’amiral Rosamel défila avec sa division, depuis la pointe Pescade jusqu’au Môle, à portée de canon, lâchant toutes ses bordées contre les batteries turques. Cette manœuvre obtint le plus grand succès. En défilant devant les forts on reconnut qu’ils étaient dépourvus de leurs canonniers, car aucun ne riposta aux feux des premiers vaisseaux; puis on vit accourir en foule les tobjis, qui, se détachant des batteries de terre, venaient charger les canons de la Marine, et répondre par des volées régulières àux derniers bâtiments. Pendant cet échange peu meurtrier de boulets, les soldats, moins harcelés, purent donner une plus grande activité à leurs travaux. Le 3, M. Duperré, son vaisseau amiral en tête, renouvela la même manœuvre et obtint des résultats encore plus satisfaisants; en effet, la Bellone de concert avec un détachement de l’armée de terre, parvint à s’emparer de trois batteries où se trouvaient trente-trois canons.
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Le feu dirigé contre les travailleurs cessait ordinairement après le coucher du soleil, car en bons musulmans les tobjis du fort de l’Empereur ne se souciaient ni de veiller ni de combattre au milieu des ténèbres. L’imminence du danger les fit pourtant déroger à cet usage pendant la nuit qui précéda la ruine de Sultan-Calassy. Ayant aperçu les travailleurs sur plusieurs points, ils y dirigèrent un feu terrible de mitraille, accompagné de bombes et d’obus, en même temps qu’une troupe de miliciens braves .et dévoués se précipitait sur une de les batteries qui n’avait pas encore été démasquée. Assaillis impétueusement et à l’improviste par les Arabes et les Turcs, qui, après avoir escaladé les gabions et les sacs à terre, déchargeaient sur eux à bout portant leurs pistolets et leurs fusils ou les égorgeaient à coups de yatagan, nos soldats furent obligés de se défendre avec leurs instruments de travail. On combattit corps à corps; un sergent d’artillerie assomma d’un coup de levier un Bédouin ; les officiers d’artillerie mirent le sabre à la main; l’un d’eux, le lieutenant Daru, reçut une légère blessure; le capitaine du génie de Villalier, moins heureux que lui, succomba. Après avoir déchargé ses pistolets sur les Arabes, ne pouvant plus leur opposer que sa frêle épée, assailli par le nombre, il reçut un coup de yatagan au cœur, et sa tête alla augmenter le nombre de celles qui se trouvaient déjà à la Casbah. Mais bientôt l’infanterie, qui s’était formée en bataille, ouvrant un feu de deux rangs bien nourri, força les Arabes et les janissaires à une prompte retraite.
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Une demi-heure après cette alerte, les premières lueurs de l’aube mirent à découvert les embrasures du château. Aussitôt une fusée lancée du quartier général donna à l’artillerie française le signal de commencer le feu. Au même instant six batteries lancèrent leurs terribles projectiles contre la place. Sultan-Calassy riposta vigoureusement àux premières volées; les deux étages de ses batteries s’éclairent d’une vive lumière, et les tobjis, comprenant que c’est une lutte décisive qui va s’engager, redoublent d’activité à défaut de précision. Mais leurs coups portaient presque toujours à faux. Du côté français, au contraire, le tir des pièces était d’une justesse remarquable; presque tous les boulets atteignaient les embrasures et faisaient voler la pierre en éclats. La direction des bombes était moins régulière; le général La Hitte s’empressa de la rectifier. Une heure après l’ouverture du feu, toutes les bombes, sans exception, éclatant dans l’intérieur du fort, répandirent la terreur et la mort parmi les Turcs qui s’y trouvaient rassemblés. A huit heures, le feu de l’artillerie ennemie se ralentit. Dans quelques parties des fronts attaqués, la chute presque entière des parapets laissait les canonniers à découvert; néanmoins ils gardaient leur poste et remplaçaient par des balles de laine et des blindages les pans de murailles ruinés: inutiles efforts ! A dix heures, le feu du château avait entièrement cessé. Aussitôt le général La Hitte donne l’ordre de battre en brèche les deux faces du bastion de l’ouest.Les boulets déterminent bientôt partout de nombreux éboulements. Épouvantée à la vue des rapides progrès de l'artillerie, la garnison veut se retirer; mais le dey lui ordonne de se défendre. Alors les janissaires et les tobjis, ne consultant que leur désespoir, se précipitent furieux vers la ville, en maudissant mille fois Hussein, qui voulait, disaient-ils, les sacrifier sans utilité. Quelques hommes seulement furent laissés au milieu des décombres pour accomplir un dernier devoir..., mettre le feu aux poudres.
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En effet, quelques instants après cette évacuation forcée, une détonation épouvantable se fait entendre. Un épais nuage de poussière et de fumée s’élève au-dessus du fort et s’étend avec rapidité dans toutes les directions; des masses de maçonnerie, des quartiers de rempart, d’énormes pierres, des affûts de canon, et des lambeaux de cadavres sont lancés dans les airs et retombent en pluie effroyable sur les batteries françaises. L’obscurité plus encore que cette horrible grêle ébranle quelques courages; des travailleurs et des sentinelles abandonnent leurs postes; mais les canonniers impassibles restent à leurs pièces, et les coups de canon qui partent des batteries rassurent l’armée sur les effets de l’explosion. La continuation du feu était cependant inutile. Lorsque le vent eut dissipé le voile lugubre qui recouvrait le fort de l’Empereur, on reconnut que toute la face ouest s’était éboulée, et qu’elle n’offrait plus qu’une immense brèche. Aussitôt le général Hurel, qui commandait la garde de la tranchée, donna l’ordre de se porter en avant. Une compagnie du 17e régiment de ligne franchit rapidement t’espace qui la séparait de l’enceinte du fort, en escalada sans résistance les ruines, et arbora le drapeau blanc. Les carabiniers du 9e léger, ayant à leur tête le général Hurel, suivirent ce mouvement; et un quart d’heure après l’explosion, les troupes françaises, ainsi que le général en chef, occupaient l’inexpugnable château de l’Empereur.
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Dès que les Arabes, qui s’étaient tenus en dehors d’Alger pour harceler l'armée, virent que leur palladium, Sultan-Calassy, n’existait plus, s’enfuirent en tumulte vers la Mitidja. Presque tous ceux qui faisaient partie des contingents de Constantine et d’Oran s’éloignèrent ce jour-là même. Cependant, la Casbah et le fort Bab-Azoun n’avaient pas ralenti leurs feux; c’était contre le fort l’Empereur qu’ils le dirigeaient maintenant. Placée derrière le front sud -ouest du château, la garde de la tranchée ne pouvait être atteinte par les boulets de la Casbah; mais ceux du fort Bab-Azoun arrivaient jusqu’à elle, quoique leur point de départ fût de 200 mètres plus bas. Le général La Hitte fit tourner contre ce fort deux pièces de campagne, et trois des bouches à feu que l’explosion avait laissées sur leurs affûts. Ces pièces, bien dirigées, surfirent pour réduire au silence l’artillerie ennemie. De son côté, le général Valazé s’occupa activement de faire ouvrir une nouvelle tranchée devant la ville, afin de ne pas donner à l’ennemi le temps de se reconnaître.
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