... et de l'armée
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De tous les officiers généraux ralliés par conviction à la révolution de juillet, le général Clausel était sans contredit l’un des plus capables de commander une armée. Vieux soldat de la république et de l’empire, il avait conquis tous ses grades sur les champs de bataille; sincèrement dévoué aux idées d’ordre et de progrès, il avait énergiquement combattu la restauration dans ses écarts; homme de guerre expérimenté, il avait conduit plusieurs fois les armées à la victoire, gouverné des provinces, et fait preuve, durant sa longue carrière militaire, de courage, d’habileté et de prudence. Aussi sa nomination au poste de général en chef de l’armée d’Afrique fut-elle accueillie avec plaisir en France, et saluée à Alger par d’unanimes applaudissements (Né à Mirepoix, en 1772, Bertrand Clausel s’enrôla comme volontaire en 1791, et servit dans l’armée des Pyrénées-Orientales de 1792 à 1795; c’est là qu’il gagna ses premiers grades et devint aide de camp du général Pérignon. De 1796 à 1799, il suivit la fortune aventureuse de Bonaparte au-delà des Alpes; il prit part aux combats de Dégo, de Mondovi, d’Arcole, de Rivoli, de Neumark, de Novi, et sur ces champs de bataille célèbres s’éleva au grade de général de brigade. De 1800 à 1804, il fait partie de l’expédition de Saint-Domingue, et est promu au grade de général de division. De 1805 à 1809, les campagnes d’Autriche, de Prusse, de Pologne, d’Allemagne, le voient à la tête de nos colonnes. De 1810 à 1812 il passe en Espagne, et remplace le maréchal Marmont blessé à Salamanque. De 1812 à 1815 il dirige divers corps d’armée, en Russie, en Saxe, et en France. Après les Cent Jours, il est exilé et reste cinq années éloigné de la France; en 1827, il est appelé à siéger à la chambre des députés.). L’arrivée du général Clausel releva le moral de l’armée, qu’une longue inaction et l’incertitude de l’avenir avaient ébranlé. Cependant ses débuts ne furent pas heureux. Par un ordre du jour, daté du vaisseau l’Algésiras (3 septembre 1830), il se borna à annoncer aux troupes la chute de Charles X et l’établissement de la nouvelle dynastie, qui réunissait, disait-il, la double légitimité du « choix et de la nécessité; » mais de la campagne, mais de la prise glorieuse d’Alger, pas un mot. Cet oubli indisposa tout le monde. Instruit de ce mécontentement, le lendemain, à la suite d’une brillante revue, il répara son erreur par quelques mots d’éloge adressés à cette brave armée qui de sa victoire n’avait encore recueilli que des dédains.
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Les premiers soins du nouveau général en chef furent consacrés à l’administration du pays et à la réorganisation de l’armée. Il avait amené avec lui quelques anciens fonctionnaires de l’empire dont il forma un conseil de gouvernement, subdivisé, pour l’exécution, en trois départements: les finances, la justice, l’intérieur. Les généraux Desprez, d’Escars et Berthézène étaient rentrés en France; ils furent remplacés par les généraux Delort, Boyer et Cassan, anciens compagnons d’armes du général Clausel. L’armée fut renforcée de deux bataillons d’indigènes, placés sous le commandement des capitaines Maumel et Duvivier. Ces troupes de nouvelle formation reçurent le nom de zouaves, des Zouawas, tribus kabyles indépendantes des environs de Constantine, qui composèrent en majeure partie leur effectif. Pendant deux mois consécutifs, on vit le général Clausel, de concert avec son conseil, présider à l’établissement des différentes administrations financières, à l’installation de la municipalité, à l’inauguration des divers tribunaux; enfin, le 30 octobre, il institua la ferme modèle de Haouth-Hassan-Pacha. Certes, ce furent là des créations utiles; mais pendant ces deux mois employés à régler l’intérieur, l’extérieur était devenu chaque jour plus menaçant.
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En effet, l’esprit d’insurrection n’étant plus comprimé, les diverses parties du pays tendirent à se constituer selon les influences locales ou les prépondérances de race. Presque partout avaient surgi, dans les villes et au sein des tribus, des chefs ambitieux, qui aspiraient au partage des lambeaux de l’ancienne régence. Les uns semblaient rechercher le patronage de la France; les autres sollicitaient l’appui de l’empereur de Maroc, que les musulmans de la côte africaine considèrent comme le second chef de l’islamisme; quelques-uns enfin, se confiant en leurs propres forces, travaillaient à s’assurer une complète indépendance. Les principaux de ces chefs étaient, dans les provinces d’Alger et de Tittery, à l’est, le marabout Ben-Aïssa; Ben-Zamoun, chef des puissantes tribus de Flissa; les chefs des Koulouglis de l’Oued-Zeitoun ; pour l’ouest, à koléah, la famille de M’barek; à Cherchell, le marabout El-Barkani ; à Médéa, le bey Bou-Mezrag et son fils. Dans le beylick de Constantine, Ahmed Bey demeurait en pleine possession de la province et se considérait, par l’occupation française, comme affranchi de toute suzeraineté. Dans celui d’Oran, l’autorité chancelante et contestée du vieux Hassan allait bientôt faire place à l’influence exclusive de la race arabe, jusque-là soigneusement écartée par les Turcs du commandement et des affaires publiques.
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L’absence complète de pouvoirs reconnus permit à l’anarchie de se produire sous toutes les formes. Autour d’Alger, les fermes et les jardins furent démolis et pilles; les fermiers de la plaine cessèrent de payer leurs propriétaires; les biens domaniaux furent envahis et dévastés; les milices régulières ou auxiliaires, employées naguère par le dey au recouvrement des impôts, repoussées par les Arabes, qui ne les craignaient plus, en étaient venues à guerroyer entre elles. La régence entière était en proie à toute espèce d’exactions et de violences. A la faveur de ces désordres, l’audace des Arabes et des Kabyles s’accrut tellement, qu’embusqués à portée de fusil de nos retranchements, ils se livraient avec une audace toujours croissante à ces actes de barbarie qui nous ont enlevé sans gloire tant de braves soldats
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Telle était la situation à la fin d’octobre 1830; position intolérable et pour l’honneur de la France et pour la sécurité de l’armée. On résolut enfin d’entreprendre une vigoureuse expédition dans l’intérieur du pays. De tous les chefs d’insurrection, le plus redoutable et le plus audacieux était le bey de Tittery, Bou-Mezrag, que nous avons vu défier le maréchal Bourmont. A la tête de plusieurs tribus très belliqueuses et qui lui étaient entièrement dévouées, on le voyait paraître partout où il pouvait surprendre nos détachements, puis, au moindre danger pour lui à tenir la plaine, se réfugier dans les montagnes de l’Atlas, où il se croyait inexpugnable. Ce fut précisément contre Bou-Mezrag que le général Clausel voulut diriger sa première expédition, et, pour porter un coup décisif, ce fut au centre même de ses forces qu’il résolut de l’attaquer; entreprise hardie, mais qui était parfaitement à la hauteur de la capacité militaire de celui qui l’avait conçue.
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Le corps expéditionnaire, fort de huit mille hommes, placé sous le commandement immédiat du lieutenant général Boyer, qui avait appris à combattre les Arabes sur les rives du Nil et au milieu des sables de la Syrie, fut composé de douze bataillons pris dans chacun des régiments de l’armée, de deux escadrons de chasseurs, d’un bataillon de zouaves, de deux compagnies de sapeurs, d’une batterie de campagne et de six pièces d’artillerie de montagne. Il était divisé en trois brigades de quatre bataillons chacune, ayant à leur tète les généraux Achard, Monck d’Uzer et Hurel; le lieutenant-colonel Admirant commandait l’artillerie. Le général Clausel dirigeait en personne les opérations.
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