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Une vigoureuse razzia, dirigée d’Oran contre les tribus qui avaient fourni des contingents à l’émir, dérangea tous ses projets. En apprenant que leurs troupeaux avaient été enlevés, que leurs femmes et leurs enfants étaient prisonniers des Français, les Zmélas et les Douers abandonnèrent leurs postes pour s’occuper de leurs intérêts privés. Les Zmélas surtout demandèrent la paix, s’engageant à ne plus obéir à Abd-el-Kader et à s’établir, sous la protection de la France, dans la belle plaine de Miserghin, à douze kilomètres d’Oran; ils laissèrent même des otages pour garantie de leur bonne foi. Les autres tribus, craignant le même sort que les Zmélas, abandonnèrent également la cause de l’émir, qui se vit contraint de rentrer à Mascara.
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Profitant de cette trêve forcée, les tribus, qui depuis longtemps n’avaient plus de débouchés pour leurs produits, se mirent à fréquenter les marchés français; à Mostaganem, on vit arriver les Medjar ; à Arzew, les Bordjia; à Oran, les Zmélas et même les Douers. Toutes se disputaient le privilège d’approvisionner les villes dont elles étaient le plus rapprochées. Le général Desmichels s’applaudissait de ce résultat, lorsque tout à coup Abd-el-Kader, quelque désireux qu’il fût de faire la paix, car il en avait grand besoin pour constituer sa puissance, ordonna aux indigènes de cesser tous rapports avec les chrétiens. Les razzias recommencèrent de part et d’autre, avec des succès toujours balancés; mais durant ces escarmouches Oran souffrait de la disette, et les tribus agricoles laissaient leurs récoltes périr sur pied, faute de consommateurs. Enfin une rencontre entre les troupes françaises et celles de l’émir, en un lieu appelé Teme-zourar, amena les premiers pourparlers de cette paix tant désirée par les Français et les Arabes. Le général Desmichels fit faire secrètement des ouvertures auxquelles Abd-el-Kader répondit que sa religion lui défendait de demander la paix aux chrétiens, mais qu’elle ne lui interdisait pas de l’accorder ; c’était, comme on voit, prendre de prime abord la meilleure position. Il éluda une entrevue; mais il envoya sous les murs d’Oran Miloud-ben-Harach et un autre de ses officiers, afin que le général leur fit connaître sur quelles bases il voulait traiter. Cette démarche enchanta le général Desmichels, car si d’un côté il avait fait les premières ouvertures, de l’autre on pouvait dire qu’Abd-el-Kader était allé au-devant de ses propositions. Tout était bien jusque-là; mais lorsqu’il fut question de poser les bases du traité, d’en discuter les articles, la diplomatie arabe, tortueuse et ambiguë, triompha de la franchise et du laisser-aller du général français. Le 26 février 1834, après bien des discussions, le traité fut définitivement signé.
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Cet acte important doit être ici transcrit en entier, car il est la première consécration de l’autorité d’Abd-el-Kader, consécration impolitique qui aura valu à la France dix années de guerre. L'ignorance des usages de l’Algérie et des différentes révolutions dont elle avait été le théâtre depuis la domination arabe,fit accepter Abd-el-Kader comme un prince légitime, tandis qu’il ne faisait que renouveler le rôle de ces imposteurs marabouts que nous avons vus tant de fois dans le cours de cette histoire s’appuyer sur quelques tribus fanatiques pour fonder leur puissance, et se maintenir lorsque les circonstances les favorisaient. On commit une faute grave en prenant celui-ci au sérieux. Le rang suprême, auquel Abd-el-Kader ne craignait pas d’élever ses prétentions, ne lui était alors reconnu par aucun de ses coreligionnaires: la khoihbah, cette prière que le khâtib prononce le vendredi dans les mosquées cathédrales, au nom du souverain, ne se faisait nulle part au nom d’Abd-el-Kader, nulle part il n’était battu monnaie en son nom; on n’entendait dans la bouche des kbâtibs, on ne voyait sur les monnaies courantes, ici que le nom du sultan de Constantinople, là que celui du sultan de Maroc ; tous deux légitimes princes des fidèles, l’un pour les populations restées soumises à un joug étranger, l’autre pour la nationalité arabe qui se reconstituait. Quoi qu’il en soit, voici le texte du traité qui fut conclu entre lui et la France :
Le général commandant les troupes françaises dans la province d’Oran, et l’émir Abd-el-Kader, ont arrêté les conditions suivantes :
ART. 1. À dater de ce jour, les hostilités entre les Arabes et les Français cesseront. Le général commandant les troupes françaises et l’émir ne négligeront rien pour faire régner l’union et l’amitié qui doivent exister entre deux peuples que Dieu a destinés à vivre sous la même domination, et à cet effet des représentants de l’émir résideront à Oran, Mostaganem et Arzew; de même que, pour prévenir toute collision entre les Français et les Arabes, des officiers français résideront à Mascara.
ART. 2. La religion et les usages musulmans seront respectés et protégés.
ART. 3. Les prisonniers seront immédiatement rendus de part et d’autre.
ART. 4. La liberté du commerce sera pleine et entière.
ART. 5. Les militaires de l’armée française qui abandonneront leurs drapeaux seront ramenés par les Arabes; de même les malfaiteurs arabes, qui, pour se soustraire à un châtiment mérité, fuiraient leurs tribus et viendraient chercher un refuge auprès des Français, seront immédiatement remis aux représentants de l’émir résidant dans les trois villes maritimes occupées par les Français.
ART. 6. Tout Européen qui serait dans le cas de voyager dans l’intérieur, sera muni d’un passeport visé par le représentant de l’émir à Oran et approuvé par le général commandant.
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La convention que nous venons de rapporter est celle qui fut envoyée en France, et que l’on regarde comme officielle; mais le général Desmichels et Abd-el-Kader signèrent en outre des articles secrets qui réglaient d’une manière spéciale les intérêts des Arabes et leur concédaient de nombreux avantages. L’existence de ces articles, non avoués par le général Desmichels, ignorés même du gouvernement français, donna naissance à des récriminations sans nombre qui, de prime abord, rendirent intolérables nos rapports avec Abd-el-Kader. En voici le texte :
1° Les Arabes auront la liberté de vendre et d’acheter de la poudre, des armes, du soufre, enfin tout ce qui concerne la guerre.
2° Le commerce de la Merza (Arzew) sera sous le gouvernement du prince des croyants, comme par le passé, et pour toutes les affaires. Les cargaisons ne se feront pas autre part que dans ce port. Quant à Mostaganem et Oran, ils ne recevront que les marchandises nécessaires aux besoins de leurs habitants, et personne ne pourra s y opposer. Ceux qui désirent charger des marchandises devront se rendre à la Merza.
3° Le général nous rendra tous les déserteurs et les fera enchaîner. Il ne recevra pas non plus les criminels. Le général commandant à Alger n’aura pas de pouvoir sur les musulmans qui viendront auprès de lui avec le consentement de leurs chefs.
4° On ne pourra empêcher un musulman de retourner chez lui quand il le voudra.
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