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17 juin 1829, six chaloupes des frégates l'Iphigénie et la Duchesse de Berry, armées en guerre, furent envoyées près le cap Dellys pour s’emparer d’un corsaire algérien mouillé près de la côte. Trois de ces chaloupes accostèrent le navire et le sabordèrent en partie; mais les trois autres furent poussées à terre par la lame; la force du vent ne permit pas de les remettre à flot. Les hommes qui les montaient, au nombre de quatre-vingts, se voyant perdus, saisirent leurs armes, décidés à vendre chèrement leur vie. Le combat fut meurtrier. Cependant la plus grande partie parvint à se sauver à la nage et fut recueillie par les trois autres embarcations. MM. Cassius et Barginac, ainsi que vingt-deux matelots, furent massacrés ! Le matelot Martin, de la Duchesse de Berry, fut seul conduit à Alger. Grièvement blessé à la tête, il ne dut la vie qu’à la bravoure et à la générosité d’un Arabe qui, l’ayant fait prisonnier, le défendit contre la férocité de ses compatriotes, et le présenta au dey. Hussein Pacha, pour récompenser cette bonne action et les rendre plus fréquentes à l’avenir, nous le disons à sa louange, fit donner une gratification de 200 piastres à cet Arabe, tandis qu’il n’en accorda que 100 pour chaque tête qui lui fut apportée.
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Ce désastre jeta quelques germes de découragement parmi les équipages des bâtiments croiseurs. D’un a titre côté, le gouvernement désirait d’en finir avec le dey par une transaction, car le blocus devenait tous les jours plus onéreux à la France. En conséquence, M. de La Bretonnière, conformément aux instructions qu’il reçut, fit demander au dey une entrevue. Le 30 juillet 1829, le vaisseau la Provence, qu’il commandait en personne, et le brick l’Alerte, vinrent mouiller cri parlementaires sur la rade d’Alger. Une embarcation conduisit à terre MM. de La Bretonnière, Gabrié, son secrétaire, Bianchi, son interprète, M. le capitaine de frégate Andréa de Nerciat et une garde d’honneur. Les officiers turent introduits chez le ministre de la marine, qui avait en même temps le portefeuille des affaires étrangères, et on convint que le lendemain le dey les recevrait en audience dans son palais. Le 31, l’envoyé français et sa suite étaient au quai à midi; le consul de Sardaigne et le drogman du dey se trouvèrent au rendez-vous. En attendant leur introduction à la Casbah, le cortège se reposa à l’hôtel de la marine, dans la salle du divan khané (salle du conseil). Cette pièce, construite depuis peu de temps dans le genre mauresque, était très belle, et prouvait que les Algériens n’avaient pas entièrement perdu le goût de l’architecture; des bassins en marbre, des jets d’eau y entretenaient une agréable fraîcheur. A l’entrée de cette salle se trouvait un kiosque élevé, d’où la vue s’étendait sur le port et sur toute la longueur du môle.
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Introduits dans la première cour du palais du dey, M. de La Bretonnière et sa suite y attendirent le retour d’un officier, qui était allé prévenir S. A. de leur arrivée. C’était dans ce lieu, formant un carré long, que le dey donnait quelquefois des audiences publiques. Le trône, espèce de sofa dressé sur une petite estrade en bois, recouvert de drap rouge, s’élevait sous une galerie qui lui servait de dais. Après quelques minutes d’attente, on vint annoncer que S. A. daignait admettre en sa présence l’envoyé du roi de France. M. de La Bretonnière et M. de Nerciat, précédés de leurs gardes, arrivèrent, par un escalier assez large, à une galerie longue et étroite, à l’extrémité de laquelle ils aperçurent le dey, assis et entouré de ses grands-officiers. Autrefois l’étiquette obligeait les consuls et les commandants des navires européens à baiser la main du dey; depuis quelques années ils se bornaient à une simple salutation, et à toucher la main que le pacha avançait en signe d’amitié; mais il était toujours défendu aux étrangers de se présenter devant lui en armes. Quelques observations faites à ce sujet à M. de La Bretonnière ayant été hautement repoussées, il conserva son épée, ainsi que les officiers qui l’accompagnaient. On ne leur permit pas cependant de s'asseoir; et ils furent obligés de rester debout pendant la conférence, qui dura trois heures. Après une discussion très animée, dans laquelle le dey formula des prétentions exorbitantes, on s’ajourna au surlendemain.
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Dans cette seconde conférence, qui eut lieu le 2 août, le dey ne voulant rien rabattre de ses prétentions, le négociateur français s’excusa dignement sur l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de conclure un arrangement aux conditions proposées, et prit congé dé S. A. Hussein s’écria alors : « J’ai de la poudre et des canons; puisque nous ne pouvons nous entendre, vous êtes libre de vous retirer. Vous êtes venu sous la foi du sauf-conduit, je vous permets de sortir sous la même garantie. »
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A midi, M. de La Bretonnière, de retour sur son vaisseau, ordonna au brick l’Alerte d’appareiller et de sortir de la baie, couvert du pavillon parlementaire. Quoique forcé par le vent de passer sous les batteries de la ville et à portée du canon, M. le capitaine de Nerciat exécuta ce mouvement avec habileté, et prit le large sans être troublé dans sa manœuvre A une heure, la Provence suivit la même route, portant pavillon parlementaire au mât de misaine, le pavillon blanc à la corne et le guidon de commandement au grand mât. Elle naviguait pour sortir de la baie lorsqu’un coup de canon à poudre partit de la batterie du Fanal; un instant après on entendit un second et un troisième coup; puis toutes les batteries de la ville et du môle firent feu simultanément, en prenant le vaisseau pour point de mire.
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La Provence essuya, impassible, pendant une demi-heure le feu de l’artillerie algérienne. Onze boulets l’atteignirent; trois entrèrent dans la coque; un brisa la grande vergue; les autres causèrent des dommages à la voilure et au gréement; enfin, des bombes tombèrent à une petite distance de l’arrière. Heureusement, personne ne fut atteint; mais sites hommes de l’équipage avaient été placés au poste du combat, plusieurs d’entre eux y auraient trouvé la mort; car des boulets pénétrèrent dans la batterie de 18. Le vaisseau eût infailliblement péri si l’on avait eu le malheur de perdre un mât. M. de La Bretonnière pouvait répondre par une bordée, mais il sentit que ce serait compromettre, sans utilité et sans gloire, son caractère de parlementaire, l’existence des braves placés sous ses ordres, et le beau vaisseau qui lui avait été confié: conduite d’autant plus admirable, qu’il eut besoin d’une grande énergie pour commander à la fois à sa propre indignation et à celle de son équipage. Si, dans le premier moment d’exaltation, quelques marins voulurent se jeter sur les pièces et faire feu, tous, il faut le dire, écoutèrent la voix de leurs chefs, et se bornèrent à lancer sur leurs agresseurs des regards qui exprimaient à la fois le mépris et l’espoir d’une prompte et éclatante vengeance ! La corvette anglaise Pilorus et la goélette espagnole Guadaletta, mouillées dans la baie, furent témoins de cette infraction aux lois de la guerre.
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Pour s’excuser, Hussein prétendit que les canonniers du môle avaient tiré sans ordre sur le vaisseau français; afin même de donner plus de poids à son assertion, il destitua le commandant du môle et fit donner la bastonnade aux canonniers qui avaient servi les pièces. Mauvaise défaite. La canonnade dura près d’une demi-heure; or, si le dey n’en avait pas été sinon l’ordonnateur du moins le complice, il lui eût été très facile de l’arrêter plus tôt.
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Le Maure Sidi-Hamdam, qui jouait un rôle important sous le gouvernement de la régence, a donné sur cet événement les explications suivantes, qui ne contribueront guère à réhabiliter son maître: « A l’occasion des malheureux coups de canon qui furent tirés sur le vaisseau la Provence, je puis certifier, dit-il, « qu’ils l’ont été à l’insu d’Hussein Pacha; mais nous disons en arabe que le maître est responsable des fautes de son serviteur. » Si le dey avait nommé à la charge de ministre de la marine un homme digne de cet emploi, le droit sacré de parlementaire n’aurait pas été violé. Ce ministre fut destitué... Pour laver cette tache, qui devait nous être imputée, il fallait que le pacha envoyât immédiatement un ambassadeur en France pour exposer les faits, avouer publiquement nos torts et faire connaître la destitution du ministre et la disgrâce du chef des canonniers. Cet envoyé aurait dû déclarer que le dey était persuadé que le gouvernement serait satisfait des réparations qu’il était chargé de lui faire, et qu’il espérait pouvoir s’entendre sur l’affaire majeure, que M. Deval avait compliquée en compromettant son gouvernement par ses actes de corruption, et en interceptant les dépêches du dey. Ce conseil ne fut pas suivi. »
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