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La capitulation, fut rigoureusement exécutée, et les Algériens paraissaient accepter la conquête, avec une calme résignation ; ce qui les satisfaisait surtout, c’était de voir les Français s’interdire complètement leurs habitations particulières. Les seules maisons que l’armée occupa furent celles qui étaient affectées aux différentes administrations publiques, et encore ne les livra-t-on qu’aux généraux et aux officiers d’état-major. Mais si les maisons particulières des Maures et des Turcs furent respectées, les officiers français usèrent largement de celles qui avaient été mises à leur disposition, surtout des terrasses qui en faisaient le principal agrément. A la chute du jour, c’était l’endroit le plus commode à occuper; les appartements sans fenêtres sur la rue sont insupportables pour des Européens; le soir, on ne trouvait de l’air et de la fraîcheur que sur les terrasses. Or, c’était aussi sur les terrasses que les femmes turques venaient respirer; car après le soleil couché elles en ont la jouissance tout à fait exclusive. Comme les officiers ignoraient cet usage, et que d’ailleurs la capitulation n’avait rien statué à cet égard, ils s’y promenaient sans façon, au grand chagrin des dames d’Alger, qui pendant les premiers jours ne s’y montrèrent plus, ou du moins si tard, que la nuit les dérobait presque complètement aux regards indiscrets. Cependant, au bout de quelques jours, elles se décidèrent à paraître à meilleure heure; la chaleur étouffante faisait de la brise de mer un besoin. Il fallait voir alors ces pudiques Algériennes se cacher derrière leurs Négresses, et chercher par tous les moyens possibles à se soustraire à l’indiscrétion des lorgnettes et des longues-vues braquées sur elles. La légèreté presque diaphane de leur costume, qui ne se compose absolument que d’une chemise de laine très fine ou de percale, expliqua bientôt l’habitude qu’ont les maris de s’interdire mutuellement les terrasses pendant les heures ou ils permettent à leurs femmes d’y paraître dans ce négligé. L’indiscrétion des officiers n’en continua pas moins; peut-être même n’en fut-elle que plus active. Cet acte, répréhensible il est vrai, mais le seul dont les Français se soient rendus coupables dans cette ville, irrita les habitants au dernier point, et le général en chef fut obligé d’intervenir pour calmer leur exaspération.
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Toutefois, des soins plus graves préoccupaient en ce moment les hôtes de la Casbah. L’inventaire du trésor public que renfermait cette citadelle était une des opérations les plus délicates qu’eût à remplir le général en chef; aussi avait-il, dès son entrée à Alger, institué une commission, composée de trois personnes d’un rang élevé, en leur recommandant de poursuivre sans relâche leurs investigations. Malgré l’espèce de solennité dont la commission s’efforça d’entourer ses travaux, malgré le grand nombre d’officiers qui y prirent part, des bruits si étranges, si contradictoires, si malveillants, ont été accrédités sur l’importance du trésor d’Alger et sur les dilapidations dont il aurait été l’objet, que nous considérons comme un devoir de rapporter avec détail tous les faits qui se rattachent à cette partie de la conquête.
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M. Firino, payeur général de l’armée, était entré dans la Casbah en même temps que les premières troupes. Au milieu de la confusion qui y régnait, il aperçut sous la galerie où se trouvait l’entrée du trésor le khasnadji (trésorier en chef) seul, impassible, tenant dans ses mains un trousseau de clefs. Dès que M. Firino l’eut instruit des fonctions qu’il remplissait et de la mission dont il était chargé, l’officier du dey s’empressa de lui remettre les clefs; puis, lorsque la commission fut réunie, elle lui adressa quelques questions sur l’état des finances de l’odjak. Le khasnadji déclara que le trésor de la régence était demeuré intact ; qu’il n’avait jamais existé de registres constatant les recettes ni les dépenses; que les versements avaient lieu sans qu’aucun acte en indiquât l’objet ou l’importance; que les monnaies d’or et d’argent étaient entassées pêle-mêle, sans acception de valeur, de titre ni d’origine; que les sorties de fonds, au contraire, ne s’opéraient jamais que sur une décision du divan, et que le dey lui-même n’avait le droit de pénétrer dans le trésor qu’accompagné du khasnadji.
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Après avoir donné ces premiers renseignements, l’ex-trésorier conduisit la commission à l’extrémité de la galerie, où il ouvrit les portes d’une salle basse qui était coupée vers le milieu par une cloison de trois pieds de haut, divisée en deux compartiments contenant des boudjoux (monnaie algérienne de la valeur de 3 fr. 60 c.). Cette porte ayant été refermée, et les scellés apposés, il en ouvrit une autre formant équerre avec la première et située également sous la galerie. Après avoir traversé trois salles de plain-pied, le khasnadji ouvrit une troisième porte donnant entrée dans une salle transversale éclairée par une fenêtre garnie de barreaux en fer elle avait en longueur vingt à vingt-quatre pieds, sur huit de largeur, et renfermait trois coffres formant banquettes; deux de ces coffres contenaient des boudjoux, de la monnaie de billon, et le troisième des lingots d’argent. Trois portes à égale distance l’une de l’autre, s’ouvrant au moyen d’une même clef, fermaient trois pièces obscures, coupées comme la première salle par des compartiments en bois celle du milieu renfermait les monnaies d’or jetées pêle-mêle, depuis le roboa soltani (3 fr. 80 c.) jusqu’à la double quadruple mexicaine. Les deux caveaux latéraux contenaient, l’un des mokos ou piastres de Portugal, l’autre des piastres fortes d’Espagne.
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Après s’être assurée qu’il n’y avait d’autre issue que les portes principales, la commission y apposa de triples scellés, et fit placer dans la galerie un poste permanent de gendarmerie commandé par un officier. M. le général Desprez ajoute à ces détails les observations suivantes « il n’aurait pas suffi, dit-il, pour qu’une soustraction criminelle eût lieu, que les gendarmes eussent cédé à la corruption. La porte du trésor s’ouvrait sur la cour principale, qui était le lieu le plus fréquenté de la Casbah; des soldats et des officiers s’y trouvaient jour et nuit ainsi l’armée exerçait une sorte de surveillance et de contrôle sur les opérations de la commission.»
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Le khasnadji indiqua ensuite aux commissaires le lieu où se fabriquait la monnaie; la valeur des lingots qui s’y trouvaient était de vingt-cinq à trente mille francs. Les scellés furent mis sur la porte, et on y plaça une sentinelle; mais une ouverture pratiquée, pendant la nuit du 5 au 6, dans un mur en maçonnerie, rendit inutiles ces précautions, et les lingots disparurent. Les recherches que l’on fit pour découvrir les auteurs de ce délit restèrent sans résultat.
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Parmi les objets de toute espèce abandonnés dans la cour principale, on trouva une petite caisse dont la paroi supérieure avait été enfoncée elle contenait encore deux sacs de monnaie. On porta cette caisse à M. Firino, qui la déposa au trésor après avoir constaté que les sacs renfermaient des sequins en or pour une somme d’environ trente mille francs. La rupture (le l’une des parois fit présumer qu’une soustraction avait été commise : devait-on l’imputer à des soldats français ou aux individus qui avaient fui à notre approche ? Des Maures et des Nègres avaient été aperçus emportant de l’or, mais par respect pour la capitulation on n’y avait pas mis d’obstacle. Nous avons appelé l’attention sur ce fait, parce que plus tard une réclamation de l’aga fit présumer que cette caisse lui appartenait.
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En parcourant les pièces de l’appartement du dey pour procéder à l’inventaire des objets précieux qui s’y trouvaient, les membres de la commission reconnurent aussi qu’on y avait laissé une petite caisse pleine de sequins d’or : elle contenait trente mille sequins d’Alger, c’est-à-dire, en monnaie française, une somme d’environ deux cent soixante-dix mille francs. Quoique cette caisse fût évidemment la propriété particulière du dey, M. Firme la fit transporter au trésor. Nous verrons plus tard qu’elle fut réclamée et restituée à Hussein Pacha.
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Dans les différentes salles qui renfermaient le trésor, M. l’intendant Denniée avait été frappé de la grande quantité d’or et d’argent qui s’était offerte à sa vue, et avait estimé que la valeur totale de ces richesses pouvait s’élever à quatre-vingts millions. Le payeur général, que ses fonctions habituelles rendaient plus apte à ce genre d’appréciation, écrivit au ministre des finances que le trésor contenait une somme d’environ cinquante millions. Cependant le général en chef qui, d’après les suppositions de M. Denniée et sur l’assertion du consul anglais, confirmée par le témoignage du juif Ben-Durand, regardait comme trop faible l’évaluation de M. Firino, écrivit au président du conseil que la conquête du trésor, de l’artillerie et des magasins de toute espèce que renfermait Alger, équivalait pour la France à une somme de quatre-vingts millions. Ce chiffre lui servit de base pour proposer au roi de consacrer cinquante millions au paiement des frais de la guerre, trois millions en gratification à l’armée expéditionnaire, et d’affecter le reste à l’arriéré des traitements de la Légion d’Honneur noble inspiration, qui, si elle eût été écoutée, aurait établi une liaison intime entre l’ancienne et la nouvelle armée; la récente conquête des jeunes soldats eût servi à réparer envers leurs devanciers une injustice que les malheurs de la France avaient presque consacrée.
La répartition des trois millions demandés pour l’armée devait être réglée de la manière suivante :
Pour les lieutenants généraux 24,000 fr.
Pour les maréchaux de camp 16,000
Pour les colonels 8,000
Pour les lieutenants-colonels 6,000
Pour les chefs de bataillon 4,000
Tous les autres officiers, les sous-officiers et soldats, devaient recevoir trois mois de solde.
Le président du conseil, préoccupé de ses coups d’état, ne répondit même pas à ces propositions. ( Voici un fragment d’un Mémoire judiciaire qui fut publié à propos de cette enquête, et que nous croyons devoir rapporter, pour démontrer à quelles subtilités l’imagination se rattache pour s’imposer à elle-même. « Les matières d’or et d’argent entassées depuis longues années dans le même lieu avaient laissé sur la muraille des traces très visibles de leur présence: on mit à profit ces fugitives indications; on pensa qu’en prenant toutes les hauteurs et en les cubant, on parviendrait à déterminer l’importance des valeurs concentrées à la Casbah. M. Guy, capitaine du génie, procéda à cette opération, et constata que l’or avait pu occuper un espace de quatre mètres quatre cent soixante sept millimètres cubes, et l’argent, trente-quatre mètres quatre cent soixante-quatre millimètres cubes. D’après ce volume et le poids spécifique des métaux, le trésor de la Casbah aurait contenu plus de trois cents millions de francs. Pour arriver à la vérité, il fallait défalquer les interstices vides qui existent toujours dans une réunion de pièces détachées de corps multiples; c’est ce que l’on fit, et, après de longs calculs géométriques, on établit qu’en déduisant quarante pour cent pour la différence du plein au vide, et dix pour cent pour l’alliage des monnaies, on ferait une large part à l’inconnu. Le véritable résultat fut donc que le nombre de mètres cubes qui étaient remplis d’espèces monnayées d’or et d’argent représentait, toute compensation faite, au-delà de cent cinquante millions ; « chiffre, ajoute le Mémoire, qui est en parfait accord avec les déclarations du consul d’Angleterre, sur l’importance du trésor d’Alger, reçues par M. de Bourmont, le jour de la capitulation; avec le document historique publié par M. Schoeler, consul général d’Amérique près la régence d’Alger; avec le rapport que M. Deval, consul de France près de ladite régence, avait envoyé au gouvernement le ‘26 février 1828 et enfin avec la déclaration du premier ministre du bey de Tunis, reçue par M. le chef de bataillon du génie Guy, le même <lui a procédé à l’opération matérielle du cubage. »)
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Cependant tous ces projets de distribution avaient circulé dans l’armée, et, comme ils ne se réalisaient pas, de sourdes rumeurs s’élevèrent contre le général en chef et les habitants de la Casbah. La mauvaise humeur des militaires dont les espérances avaient été déçues les disposait au soupçon; beaucoup de ceux qui campaient hors des murs d’Alger s’imaginaient qu’une pluie d’or tombait sur les hôtes du quartier général, et dans les lettres qu’ils écrivaient en France, ils faisaient part à leurs parents, à leurs amis, de leurs craintes et de leurs suppositions. Ainsi, dès les premiers jours, l’importance exagérée du trésor d’Alger et sa dilapidation se trouvaient simultanément accréditées en France et en Afrique. Les révélations de quelques agents consulaires, qui se disaient bien informés, corroboraient encore ces bruits. Un Mémoire, adressé en l’an VIII au gouvernement français, portait les richesses de l’odjak à cent millions; et d’autres rapports aussi peu véridiques les évaluaient à deux cent cinquante millions. Ainsi, par une étrange fatalité, les bonnes intentions de M. de Bourmont furent une des principales causes des accusations portées non contre l’armée, mais contre ses principaux chefs.
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Au reste, on paraissait si convaincu de l’existence de ces sommes fabuleuses, que le gouvernement de Juillet, pour calmer l’opinion générale, se crut obligé de nommer une commission d’enquête, chargée d’étudier dans les caveaux vides de la Casbah quelle avait pu être l’importance primitive du trésor. La commission se livra aux supputations les plus minutieuses, et en définitive, se reconnaissant impuissante à rien constater, elle rendit un verdict des plus honorables en faveur des inculpés »
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En effet, toutes ces supputations ne reposaient sur aucune appréciation positive, sur aucun document digne de foi. Les caissiers de l’odjak ne tenaient aucun livre d’entrée ni de sortie; le dey et ses ministres ignoraient complètement l’importance de leur trésor; comment les consuls étrangers auraient-ils pu avoir des indications plus positives ? Tous ces prétendus chiffres officiels n’étaient que des fables auxquelles la crédulité donna cours et que l’évidence eut peine à détruire. N’a-t-on pas cru pendant trois siècles à l’existence de l’Eldorado, et pendant tout ce laps de temps n’y a-t-il pas eu constamment des expéditions très sérieusement formées pour aller à la découverte du pays où la terre et les montagnes étaient d’or ? C’est à cet amour aveugle du merveilleux que l’on doit attribuer les exagérations dont le trésor d’Alger a été l’objet.
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M. le lieutenant général Desprez, dans son excellent Journal sur la campagne d’Alger, dit que les lingots d’or et d’argent enlevés par effraction dans la fonderie, et les quatre mille sequins d’or soustraits d’une cassette qui appartenait à l’aga, furent les seules valeurs dérobées soit par le vainqueur, soit par le vaincu. En définitive, si des soustractions considérables avaient eu lieu à la Casbah, des plaintes sérieuses se seraient propagées et maintenues dans l’armée; bien au contraire, après les premières irritations du moment, on oublia les largesses qui avaient été promises, et M. de Bourmont ayant ordonné la distribution de quelques armes de prix entre les principaux officiers, tout le monde parut satisfait. Ces armes se trouvaient dans le salon d’audience du dey et n’étaient pas sa propriété particulière; M. de Bourmont crut devoir les faire distribuer aux officiers généraux et supérieurs de l’armée, comme un souvenir glorieux de leur coopération à la conquête algérienne. La répartition de ces armes fut réglée de la manière suivante on remit aux lieutenants généraux un fusil, un sabre, un yatagan et une paire de pistolets; aux maréchaux de camp, un fusil, un yatagan et deux pistolets; aux officiers supérieurs, un yatagan. Tel fut, pour les officiers d’une armée qui avait fait une si riche conquête, le seul fruit matériel de la victoire.
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Certes, lorsque l’on rapproche ces minces trophées de ceux que tous les généraux de Rome rapportèrent de l’Afrique, de ces richesses prodigieuses que Salluste, Marins, Sylla, Bélisaire lui-même recueillirent dans leurs expéditions de Numidie et de Mauritanie; lorsqu’on les compare au butin que de nos jours les armées russe et anglaise se sont approprié dans leurs expéditions contre les Asiatiques La conquête seule du Mysore fit la fortune de tous les officiers généraux qui composaient l’armée anglaise. Chaque soldat reçut pour sa part 100 livres sterling [2,500 fr.]), on ne pourra s’empêcher de reconnaître que si, dans la conquête d’Alger, il y a eu quelques malversations partielles, la masse de l'armée n’obéissait du moins qu’à ces sentiments de gloire et d’honneur.
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Maintenant que nous avons fait la part de l’exagération, occupons-nous de la reconnaissance exacte du trésor algérien. La commission fit d’abord le tri des pièces et des lingots qui se trouvaient dans les différentes salles; puis elle procéda à leur pesage. Cette opération délicate et qui dura plusieurs jours eut lieu par les soins des officiers d’état-major et de la trésorerie, sous la surveillance de la commission des finances. Ses résultats donnèrent :
7,212 kilogrammes d’or, à 3,434 fr. le kilogramme. . fr. 24,768,000
108,704 kilogrammes d’argent, à 220 fr. le kilogramme. 23,915,000
115,916 kilogrammes représentant ensemble r. 48,683,000
Huit sous-officiers d’artillerie furent chargés d’emballer ces matières. A mesure que les caisses étaient clouées, ficelées et cachetées, elles recevaient un numéro d’ordre et on les plaçait méthodiquement dans l’un des caveaux, d’où elles ne sortaient que pour être transportées à bord des vaisseaux de l’état par des militaires de corvée, commandés par des officiers, et sous la conduite du payeur général et des agents de la trésorerie. Quarante-trois millions seulement furent envoyés en France. Le Marengo et le Duquesne reçurent à leur bord les matières d’or; celles d’argent furent réparties entre le Scipion, le Nestor et la Vénus. Les cinq millions restant, qui se composaient d’espèces monnayées, ayant cours dans la régence, furent employés au service des dépenses publiques.
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Après que cette reconnaissance minutieuse fut achevée, les membres de la commission, toujours sous l’influence des bruits exagérés qui circulaient, pensant encore que la Casbah devait renfermer quelques casemates, quelques souterrains, quelques lieux secrets, où d’autres valeurs se trouvaient cachées, mandèrent le khasnadji et ses employés. On les questionna séparément; on les menaça de punitions sévères, s’ils ne révélaient pas ce qu’ils savaient à l’égard du trésor; rien ne fit. On ne put obtenir d’eux aucun renseignement, car ils n’en avaient aucun à donner; ils offrirent tous de jurer sur le Coran que les valeurs reconnues par la commission étaient tout ce qui composait le trésor ; et ils consentirent à perdre leur tête si on parvenait à découvrir dans toute la Casbah la moindre cachette, une seule pièce murée qui contînt de l’or ou de l’argent soit monnayé, soit en lingots. Ils firent de nouveau observer que depuis quinze ou vingt ans les dépenses de l’odjak excédaient les recettes de plusieurs millions; que les constructions nouvelles que l’on avait faites au port depuis l’expédition de lord Exmouth, avaient coûté des sommes considérables; que le blocus par les navires français avait rendu nul, pendant trois ans, le produit des douanes; qu’en un mot, les revenus de la régence subissaient depuis longtemps un dépérissement progressif, et que l’état était en décadence, lorsque l’armée française entra triomphante dans Alger. Ces raisons étaient justes et on ne peut mieux fondées. La piraterie avait rempli les caisses de la Casbah; elles s’étaient vidées pour subvenir aux besoins des pirates dès que leurs déprédations furent rendues impossibles. Au reste, voici comment les Maures, ennemis naturels des Turcs, et qui les observaient de près, s’exprimaient sur les changements que le trésor de l’odjak avait éprouvés pendant ces dernières années : « Dans les puits de la Casbah, disaient-ils, l’or coulait jadis par-dessus la margelle; ensuite il a fallu pencher le corps et bien enfoncer les mains pour y puiser; enfin, dernièrement on n’y pouvait atteindre qu’avec le secours d’une échelle. »
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Ainsi, par un hasard heureux, la conquête d’Alger, loin de grever la France, couvrit ses propres dépenses et fit rentrer plusieurs millions dans les caisses publiques ; car, outre le trésor, la Casbah contenait encore des quantités considérables de laine, de peaux, de cuirs, de cire, de plomb et de cuivre; dans les magasins de la marine on trouva aussi du blé, du sel, de la toile, des cordes, des ferrures et du chanvre en abondance.
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En résumé, voici l’état des recettes et des dépenses de l’expédition jusqu’à l’époque du retour des forces navales à Toulon :
Le trésorier de la Casbah, à Alger, consigna à la commission française des finances, en juillet 1830 48,684,527 fr.
Valeur des laines et denrées diverses : 3, 000,000 fr
Idem, des pièces d’artillerie de bronze : 4, 000,000 fr
Total : 55,684,527 fr.
Les dépenses de tout genre pour l’expédition, celles de la marine et de la guerre réunies, se sont élevées à 48,500,000 fr.
Excédant des recettes 7, 184,527 fr.
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