.
Le choix du commandant supérieur d’une si formidable expédition, l’une des plus considérables qui soit jamais sortie des ports de la France, était d’une grande importance. On pensait généralement que dans une campagne lointaine, où l’autorité devait avoir beaucoup de force, il était nécessaire que le chef fût revêtu du grade militaire le plus élevé.
.
Charles X fit cesser toutes les hésitations, en se prononçant formellement pour son ministre de la guerre en faveur du Comte de Bourmont; choix impopulaire, mais que justifiait aux yeux de la cour.
.
M. de Bourmont jeta les yeux sur le vice-amiral Duperré pour le seconder, alors préfet maritime à Brest: de beaux faits d’armes environnaient d’éclat ce nom déjà populaire dans la marine. Le vice-amiral Duperré s’était distingué dans plusieurs rencontres avec les Anglais, et leur avait lait essuyer dans l’Inde des pertes considérables; c’était lui qui, en 1812, avait mis l’Adriatique dans un état de défense formidable; enfin, en 1823, il avait dirigé les préparatifs de l’attaque par mer projetée contre l’île de Léon, attaque que prévint la capitulation de Cadix. M. de Bourmont, qui commandait les troupes destinées au siége de cette place, avait passé plusieurs jours à bord de l’amiral Duperré, et le souvenir des bons rapports qu’il avait entretenus avec lui dans cette circonstance le décida à se l’adjoindre. L’amiral, lorsqu’on lui apporta les ordres du roi, ne présenta d’abord aucune objection; plus tard, il témoigna moins d’assurance, soit que des influences dont il ne s’était pas bien rendu compte eussent victorieusement agi sur lui, soit qu’un examen plus attentif de l’entreprise lui en eût mieux révélé les obstacles et les dangers. Il accepta pourtant; mais, comme son attitude et ses relations inspiraient à la cour quelque défiance, le général Bourmont emporta secrètement une ordonnance qui lui donnait pleins pouvoirs et sur l’armée de terre et sur l’armée de mer.
.
A ces deux chefs principaux furent adjoints des lieutenants d’un mérite reconnu depuis longtemps. Ainsi, dans l’armée de terre, se trouvait le général Valazé, qui a dirigé plusieurs siéges mémorables, entre autres ceux de Saragosse et d’ Astorga; le lieutenant général Loverdo, né dans l’île de Céphalonie, mais depuis 1791 associé à toutes les gloires de la France, et qui a fait une étude spéciale de l’Afrique septentrionale; le baron de Berthezéne, dont les états de service remontent au siége de Toulon, et dont tous les titres et tous les grades datent d’un champ de bataille; le lieutenant général Desprez, major général de l’armée, qui a déjà rempli ces fonctions en Catalogue, auprès du maréchal Moncey. Dans l’armée navale, on compte le contre-amiral Rosamel, commandant en second, illustre par ses combats dans l’expédition d’Irlande et sur l’Adriatique; le contre-amiral Mallet, major général ; le baron Hugon, dont la prudence ne fut jamais en défaut; Villaret-Joyense, issu d’une famille de marins célèbres; Cosmao Dumanoir, noble débris de Trafalgar. Nous aurons plus tard d’autres noms à signaler à la reconnaissance de la France.
.
Seize régiments d’infanterie de ligne et deux régiments d’infanterie légère devaient composer la force principale de l’armée expéditionnaire. On décida que ces corps auraient deux bataillons, comptant chacun sept cent cinquante hommes, sous-officiers et soldats. L’organisation de ces bataillons à un tel effectif présentait de graves difficultés: les corps avaient été considérablement affaiblis dès le commencement de l’année par le départ d’un grand nombre de soldats, envoyés dans leurs foyers avec des congés d’un an; aussi doutait-on généralement qu’il fût possible de réunir, avant la fin de mai, des forces suffisantes pour l’expédition. Le signal d’une guerre aventureuse avait réveillé une ardeur qui semblait s’être éteinte au milieu de la paix. La mer à franchir, des Turcs à combattre, des esclaves chrétiens à délivrer, c’en était assez pour enflammer l’imagination des jeunes soldats; tous quittaient avec joie le foyer paternel; les malades seuls ne répondirent pas à l’appel. Un grand nombre de militaires qui avaient atteint le terme de leur service contractaient de nouveaux engagements; les sous-officiers renonçaient à leurs galons pour être incorporés dans les bataillons de guerre; et on vit des officiers de tout grade solliciter la faveur de faire la campagne à leurs frais. Parmi ces derniers se trouvait un jeune lieutenant du génie, alors ignoré, et qui depuis est devenu une des gloires les mieux éprouvées de l'armée d’Afrique:M. de Lamoricière.
/
Plusieurs personnages de distinction obtinrent aussi la faveur de prendre part à cette campagne: le prince de Schwarzenberg, fils aîné du feld-maréchal, qui commandait en 1815 les armées de la coalition; le prince de Carignan; le prince Poniatowski; le fils d’un magnat de Hongrie; le baron Leclerc de Berlin; le colonel Filosof, aide de camp du grand-duc Michel de Russie; sir W. Mansell, capitaine de vaisseau de la marine anglaise, qui avait fait partie de l’expédition de lord Exmouth en 1816, brave officier qui, dans toutes les affaires, fit preuve du plus grand courage.
.
La difficulté du transport, l’incertitude où l’on était de trouver des fourrages sur les côtes d’Afrique, décidèrent le gouvernement à réduire la cavalerie au plus petit effectif possible. On pensa que trois escadrons, forts chacun de cent cinquante chevaux seraient suffisants pour une guerre dont un siége devait être la principale opération. Deux mille cinq cents chevaux furent affectés au service de l’artillerie et à celui du train des équipages.
.
Avant la fin de mars, plusieurs des régiments d’infanterie qui devaient faire partie de l’expédition avaient quitté leurs garnisons et se dirigeaient vers la Provence. Les habitants des contrées méridionales de la France voyaient avec un vif intérêt ces préparatifs : les uns, poussés par l’exaltation religieuse, les autres par la haine contre les Barbaresques, haine qu’avaient ranimée les entraves que le commerce éprouvait depuis trois ans. Ils pensaient qu’un établissement français sur le littoral algérien leur offrirait de précieux avantages. La perte de l’Égypte, celle des concessions africaines, avaient causé de grandes perturbations dans les fortunes; le moment de les réparer leur paraissait venu: jamais les ports de la Provence n’avaient vu se déployer un appareil plus imposant !
Le 30 avril toutes les troupes de l’expédition étaient réunies dans leurs cantonnements. On les exerça aussitôt à rectifier leur tir, à prendre des dispositions convenables contre la cavalerie; on leur apprit à se former rapidement en carré, et a couvrir leur front et leurs flancs avec des espèces de chevaux de frise, formés de lances assemblées trois à trois. Enfin, l’héritier présomptif de la couronne, qui, en sa double qualité de grand amiral et de généralissime, aurait dû peut-être prendre le commandement supérieur de cette brave armée, vint la passer en revue. Les régiments, dans une tenue magnifique, manœuvrèrent avec une précision admirable sur les glacis de la place de Toulon et au Champ de Mars. De son côté, la flotte, entièrement pavoisée, exécuta un simulacre de débarquement dont la réussite fit concevoir les plus heureuses espérances pour le succès de l’expédition. L’indifférence flegmatique du prince, en présence de l’enthousiasme qui éclatait chez les soldats et sur toutes ces physionomies provençales, si animées, si expressives, produisit un douloureux contraste: on eût dit qu’il pressentait déjà la tempête qui menaçait sa famille, et qui devait bientôt engloutir dans le même abîme trois générations de rois !
.
Le 10 mai, toutes les dispositions étant prises pour l’embarquement des troupes, la première division s’ébranla, et le lendemain elle était réunie autour de Toulon avec plusieurs détachements d’artillerie et du génie.
.
.
.
.
.
Les commentaires récents