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La Casbah, que le général en chef venait de choisir pour sa résidence, n’était point un palais, ni même, dans les habitudes européennes, une habitation tolérable; c’était une enceinte informe, fermée par de hautes murailles crénelées à la mauresque, et d’où s’échappaient, par de profondes embrasures, de longs canons dont l’embouchure était peinte en rouge. Deux ruelles étroites et tortueuses conduisaient à l’entrée principale de cette espèce de citadelle. Un porche, fermé du côté de la ville par une porte à deux battants au-dessus de laquelle étaient peints deux lions, emblème de la puissance d’Alger, en formait l’entrée: c’était dans l’intérieur de ce porche que se tenaient les nègres qui dans les derniers temps formaient la garde fidèle du dey. Sous la voûte, on voyait une fontaine jaillissante, dont les eaux limpides tombaient dans une vasque de marbre; à droite du jet d’eau, on apercevait dans un réduit obscur plusieurs monceaux de têtes empilées les unes sur les autres, comme des boulets de canon: il s’en exhalait une odeur repoussante.
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Après avoir franchi le porche, on parvenait à une allée découverte qui conduit au palais du dey et aux batteries de ta forteresse ; à gauche, était la poudrière, dont la voûte avait été mise à l’épreuve de la bombe par une double couche de terre et de balles de laine; sur la droite s’ouvrait une cour assez spacieuse, dallée en marbre, où se trouvaient un jet d’eau et quelques citronniers. C’est dans cette cour que les négociants étaient obligés de venir déposer la cargaison de leurs navires, afin que le dey pût prélever la part qui lui convenait sur les marchandises importées ; c’était sous une galerie voisine et de plain-pied, que se trouvaient les salles renfermant le trésor.
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Le premier étage se composait de quatre galeries, dans l’une desquelles était placé une espèce de palanquin sous lequel le dey venait entendre la musique ou donner des ordres à la milice assemblée dans la cour. C’était là qu’avait eu lieu la fatale scène du chasse-mouche. Cette galerie communiquait à une batterie qui commande la ville, ainsi qu’à un escalier tournant qui conduisait aux appartements du dey. Cinq pièces, dont la plus grande n’excédait pas la dimension d’un salon ordinaire, composaient la résidence privée du chef de l’odjak; la partie inférieure des murs était revêtue de carreaux en faïence; la partie supérieure était blanchie à la chaux ou ornée de dessins très grossiers. Le mobilier consistait en coussins et divans recouverts de riches étoffes de Lyon; il y avait aussi des coffres en Lois précieux, des pendules anglaises à cadrans arabes, des miroirs, de grands vases en cristal ou en porcelaine. Le salon où le dey donnait ses audiences, et une pièce voisine, contenaient des objets plus riches : c’étaient des fusils d’un travail curieux, et dont la plupart avaient été fabriqués en Espagne; des sabres de Damas de différentes formes, puis des yatagans, des pelisses doublées de martre zibeline, des brides couvertes de nacre et d’or; des pistolets rehaussés par de belles ciselures on trouva encore dans ces deux pièces une lunette astronomique et des appareils représentant le mouvement des planètes, objets provenant des cadeaux faits par le gouvernement anglais.
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En sortant de l’appartement du dey, on traversait une galerie éclairée par une rotonde vitrée; et qui conduisait à une porte extrêmement basse: c’était la porte du harem ou du quartier des femmes, subdivisé en plusieurs appartements distribués le long de la galerie. Une grande salle pavée en marbre établissait une communication intérieure entre toutes les chambres des odalisques. Le harem ne recevait le jour que par une cour intérieure, dont le sol était à la hauteur du premier étage. Cet étroit espace, transformé en une espèce de jardin, était encaissé par de hautes murailles d’une blancheur éblouissante; un berceau de jasmin et quelques arbustes formaient toute la décoration de ce parterre, seul endroit où il fût permis aux femmes de prendre l’air. Dans quelques chambres privilégiées on avait pratiqué des fenêtres en forme de meurtrières qui donnaient sur la galerie supérieure où le dey venait parfois se promener. Les appartements du harem n’étaient ni mieux décorés, ni plus amplement pourvus de meubles que ceux du pacha ; on y trouva confondus, sans ordre, des tapis, des étoffes de soie, des robes et des voiles ornés de riches broderies, des coffres en bois de rose incrustés de nacre et d’écaille; puis des lits à colonnes auxquels étaient attachés des rideaux de gaze appelés moustiquaires, pour soustraire les belles dormeuses aux piqûres des insectes. L’odeur des essences, dont les femmes de l’Orient font un usage immodéré, était répandue à profusion dans toutes les parties de ce mystérieux sanctuaire.
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L’enceinte de la Casbah renfermait encore d’autres bâtiments de moindre importance : c’était une mosquée d’une très belle ordonnance architecturale, des magasins ou se trouvaient enfermées pêle-mêle les dîmes que le dey prélevait sur les négociants qui fréquentaient le port d’Alger, des écuries entièrement vides, quelques cabanons infects ou des tigres et des lions se débattaient contre la faim et la vermine; puis des salles d’armes, une boulangerie délabrée; enfin, des cours où croissaient sans ordre des citronniers, des vignes, des platanes, des sycomores. Telle était la résidence ou plutôt la prison qu’Hussein Pacha venait de quitter, et dans laquelle, comme nous l’avons déjà dit, il fut obligé de se tenir renfermé pendant douze ans pour échapper aux poignards de ses janissaires. Les terrasses qui forment la partie supérieure de la Casbah étaient armées de bouches à feu parmi lesquelles il s’en trouvait quelques-unes aux armes de France ces dernières avaient été prises par Charles-Quint sur François 1er à la bataille de Pavie; et l’empereur, à son tour, avait été obligé de les abandonner en Afrique, lors de sa malheureuse expédition. Hussein Pacha était fier de la possession de ces canons; il les montrait avec orgueil aux consuls et aux envoyés des puissances européennes, comme un témoignage glorieux de la puissance algérienne. Le jour de l’arrivée de notre flotte devant Alger, croyant que l’armée allait débarquer dans la baie, le dey fit apporter dans toutes les batteries un approvisionnement considérable de poudre et de boulets, et, appuyé sur l’une de ces pièces, il dit aux officiers qui l’entouraient : « C’est d’ici que doivent partir les premiers coups qui détruiront la flotte des infidèles. » Vingt jours s’étaient à peine écoulés depuis cette rodomontade, que la Casbah était la première à donner aux Algériens le signal de la soumission .
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