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Instruit par ses agents de ce qui se passait en France, Hussein faisait de grands préparatifs de défense. Il venait d’appeler à son aide les chefs qui relevaient de son pachalik. Hassan, bey d’Oran, lui était parfaitement dévoué; mais, cassé par l’âge, il ne pouvait se mettre en personne à la tête des troupes destinées à se réunir aux forces algériennes. Achmet, bey de Constantine, et Mustapha, bey de Titery, nourrissaient depuis longtemps contre le pacha des projets de révolte; de son côté celui-ci, qui connaissait leurs desseins, se proposait de les destituer; mais dans ce moment critique, il jugea prudent de remettre sa vengeance à des temps meilleurs, et leur fit même de brillantes promesses. Séduits par ces offres, les deux beys s’engagèrent à lui amener tous leurs contingents. Enfin, Hussein avait entamé des négociations avec le Maroc, Tunis et Tripoli, pour en obtenir des secours. Tunis et le Maroc se contentèrent de répondre par des protestations de dévouement, et par des vœux fort stériles pour le succès de la cause algérienne. Le bey de Tripoli ne fit pas mieux; mais il écrivit une lettre qui mérite d’être conservée, car on trouve dans ce type de chancellerie musulmane quelques faits curieux sur la part que Mehemet-Ali devait prendre à la lutte qui se préparait, coopération dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs.
« TRÈS EXCELLENT SEIGNEUR,
Louange à Dieu ! Puissent ses bénédictions s’étendre sur la plus parfaite des créatures, la lumière qui vivifie les ténèbres, le Prophète après lequel il ne viendra plus de prophète, notre seigneur Mahomet, sa famille et ses compagnons !
Que Dieu conserve le souverain fort, victorieux sur terre et sur les mers, dont la puissance est redoutée de toutes les nations au point de les remplir de terreur, le chef des guerriers qui combattent pour la foi, celui qui retrace les vertus des califes, dont le génie est élevé et l’aspect gracieux, notre frère Sidi Hussein, pacha d’Alger la bien gardée, et le séjour des ennemis des Infidèles ! L’assistance de Dieu soit toujours avec lui ! Que la victoire et la prospérité guident ses pas !
Après vous avoir offert nos salutations les plus sincères et les plus parfaites (que la miséricorde de Dieu et ses bénédictions vous visitent soir et matin), nous avons l’honneur de vous exposer que nous sommes, et Dieu en soit loué! dans une situation satisfaisante, et que nous demeurons fidèle aux sentiments d’amitié et d’affection qui depuis longtemps ont uni d’une manière si étroite, en toutes circonstances, les deux souverains des deux odjaks d’Alger et de Tripoli, sentiments dont nous ne nous écarterons jamais.
Votre lettre nous est arrivée, nous en avons rompu le cachet, et nous avons lu les bonnes nouvelles que vous nous y donnez relativement à votre personne. Vous nous informez aussi qu’il était venu à votre connaissance que nous faisions des préparatifs sur terre et sur mer, et que nous nous disposions à marcher à la rencontre du maître des pachaliks de l’Orient. Votre Excellence s’en étonne et nous demande à lui expliquer cette circonstance, non pas d'une manière succincte, mais avec détails.
Avant la lettre que nous écrivons aujourd’hui, vous savez que nous vous en avons écrit une autre, dans laquelle nous vous faisions connaître que les nouvelles qui ont donné lieu à nos préparatifs étaient venues de tous côtés, qu’elles se trouvaient dans les journaux reçus par les consuls, et elles sont assez justifiées par l’événement, que les Français, ces ennemis de Dieu, étaient, disait-on, les instigateurs de Mehemet-Ali dans cette affaire; qu’ils l’avaient excité à s’emparer du pachalik de l’Occident, lui avaient persuadé que les chemins étaient faciles, lui avaient promis de l’aider à accomplir les projets d’indépendance qu’il poursuit, et à devenir roi de toute l’Afrique des Arabes; qu’ils s’étaient engagés à l’appuyer par l’envoi d’une expédition qui irait mettre son fils Ibrahim Pacha en possession d’Alger.
Eh bien ! Lorsque nous avons eu connaissance de ces nouvelles, nous avons levé et équipé des troupes, et préparé tout ce qui est nécessaire pour faire la guerre. Nous avons en même temps envoyé aux habitants de toutes les parties de notre odjak l’ordre de se tenir prêts à entrer en campagne, et d’être bien sur leurs gardes.
Maintenant, si Dieu permet que Mehemet-Ali se présente, nous le recevrons à la tête de nos troupes, sans sortir toutefois des limites de nos possessions, et nous le ferons repentir de son entreprise. S’il plaît à Dieu, il retournera sur ses pas avec la honte d’une défaite; avec la grâce du Tout-Puissant, nous lui donnerons le salaire qu’il mérite pour sa conduite. Les trames perfides tournent toujours contre ceux qui les ourdissent.
Ce n’est pas que nous ne fussions content que Mehemet-Ali, se bornant à ses états, renonçât à ses projets de porter la guerre dans les nôtres; car nous n’avons rien de plus à cœur que d’épargner le sang des musulmans, et de voir l’islamisme dans une paix complète. La guerre entre fidèles est un feu, et celui qui l’allume est du nombre des misérables.
Si Votre Seigneurie désire avoir des nouvelles concernant notre personne, nous lui dirons que nous avons été fort ennuyé et fort affligé que les Français (que Dieu fasse échouer leur entreprise !) rassemblaient leurs troupes, et allaient se diriger contre votre odjak. Nous n’avons cessé d’en avoir l’esprit en peine et l’âme triste, jusqu’à ce qu’enfin, ayant eu un entretien avec un saint de ceux qui savent découvrir les choses les plus secrètes, et celui-là a fait en ce genre des miracles évidents qu’il serait inutile de manifester, je le consultai à votre sujet; il me donnât une réponse favorable qui, je l’espère de la grâce de Dieu, sera plus vraie que ce que le ciseau grave sur la pierre. Sa réponse a été que les Français (que Dieu les extermine ! ) s’en retourneraient sans avoir obtenu aucun succès. Soyez donc libre d’inquiétude et de soucis, et ne craignez, avec l’assistance de Dieu, ni malheur, ni revers, ni souillure, ni violence. Comment d’ailleurs craindriez-vous ? N’êtes-vous pas de ceux que Dieu a distingués des autres par les avantages qu’il leur a accordés? Vos légions sont nombreuses, et n’ont point été rompues par le choc des ennemis; vos guerriers portent des lances qui frappent des coups redoutables, et ils sont renommés dans les contrées de l’Orient et de l’Occident; votre cause est en même temps toute sacrée, vous ne combattez ni pour faire des profits, ni dans la vue d’aucun avantage temporel, mais uniquement pour faire régner la volonté de Dieu et sa parole.
Quant à nous, nous ne sommes pas assez puissant pour vous envoyer des secours; nous ne pouvons vous aider que par de bonnes prières, que nous et nos sujets adresserons à Dieu dans les mosquées. Nous nous recommandons aussi aux vôtres dans tous les instants. Dieu les exaucera par l’intercession du plus généreux des intercesseurs et du plus grand des prophètes.
Nous demandons à Votre Seigneurie de nous instruire de tout ce qui arrivera; nous en attendons des nouvelles avec la plus vive impatience; elle nous obligera de nous faire connaître tout ce qui l’intéressera. Qu’elle vive éternellement en bien, santé et satisfaction ! Salut.
Le 24 del kaadi de l’an 1245 (1830).
Youssef, fils d’Ali, pacha de Tripoli.
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Ainsi, dés le début de la campagne, le dey d’Alger ne pouvant compter sur aucun allié, se trouvait réduit à ses propres forces.
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