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Dans la nuit du 27 au 28 mai, la flotte fut assaillie, à la hauteur de Minorque et de Majorque, par une forte bourrasque d’E.-S.-E. On la conduisit aussitôt sous le vent de ces îles, où elle trouva un abri; depuis quelques jours, la flottille était en relâche à Palma. Le 28 au matin, le temps s’étant remis au beau, toute l’armée reprit sa route sur Alger; le 30, elle était à cinq lieues nord du cap Caxine; un nouveau coup de vent l’obligea à prendre le large. Malgré l’avis contraire de plusieurs officiers de marine, l’amiral Duperré jugea prudent de ramener cette masse de bâtiments sous le vent des îles Baléares, et choisit pour lieu de relâche la baie de Palma. Quelques publicistes ont blâmé cette manœuvre; mais que l’on tienne compte des sinistres prévisions qui avaient précédé le départ de l’expédition, et on verra si le commandant en chef de l’armée navale n’était pas condamné à une excessive prudence.
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Enfin, le 10 juin, après onze jours de temps contraires, la flotte se remit en marche, et se trouva le 12 au matin sur la côte d’Afrique. Un vent d’est nord-est, grand frais, qui s’éleva soudain, l’obligea une seconde fois à prendre le large. Le 13, le vent soufflait encore avec violence de la partie de l’est, mais la mer étant moins agitée que la veille, la flotte put se rapprocher de terre, et, au lever du soleil, elle ne se trouvait plus qu’à deux ou trois lieues d’Alger. On aperçut alors distinctement cette ville, avec ses miaisons éclatantes de blancheur rangées en amphithéâtre sur les bords de la mer, et sa forme triangulaire se détachant des massifs de verdure qui l’environnent. Une longue chaîne de montagnes fort élevées, puis d’autres montagnes d’une teinte bleuâtre, mais plus éloignées (le grand et le petit Atlas), formaient les limites de ce brillant panorama. Au milieu du jour, trois cents voiles, l’amiral en tète, se trouvaient en avant de la rade d’Alger. Le vaisseau la Provence, celui sur lequel les batteries algériennes avaient naguère osé faire feu, était là majestueux, et semblait, avec son innombrable cortège, venir annoncer au dey le châtiment terrible qu’il allait bientôt recevoir pour l’outrage fait au pavillon français. L’armée, en grande tenue, l’enthousiasme au cœur et la joie au visage, était sur le pont des vaisseaux, contemplant le magnifique spectacle qui se déroulait à ses yeux, et témoignant par ses cris le vif désir qu’elle avait de se mesurer avec l’ennemi.
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L’amiral Duperré, après être resté en panne quelque temps dans la rade, comme pour donner au dey le temps de compter les voiles de sa flotte, doubla la pointe de Caxine, mit le cap sur Sidi Ferruch, et se porta dans cette direction avec toute l’armée. Ce fut un imposant spectacle que celui de tous ces vaisseaux de guerre, défilant majestueusement sous les yeux des Algériens, et leur faisant pressentir, par leur noble attitude, tout le danger qu’il y avait pour eux d’avoir osé braver une nation aussi puissante que la France; mais, ceux-ci regardaient avec indifférence ce redoutable déploiement de forces, et s’écriaient :
« Allah et Sidi-Abd-el-Rahman et Tsâalebi sauveront, comme ils l’ont fait déjà tant de fois, Alger la bien gardée ! »
Le 13 au soir, la flotte française jetait ses ancres sur la plage de Sidi Ferruch. Cette baie avait été choisie à cause de son étendue, de sa plage basse et sablonneuse, qui est d’un facile accès, et parce qu’elle est abritée contre les vents d’est, qui, pendant les mois de juin, de juillet et d’août, règnent presque constamment dans ces parages.
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Esseïd-Efroudj, dont nous avons fait, par corruption, Sidi Ferruch, tire son nom d’un marabout dont on vénère en cet endroit le tombeau; c’est un petit promontoire à l’ouest d’Alger, qui s’avance de onze cents mètres dans la mer, et qui forme la pointe occidentale du massif contre lequel cette ville est adossée. Il est relié à la côte par une langue de terre, basse, couverte d’un sable rougeâtre, et où croissent des lentisques, des arbousiers et une multitude de plantes rampantes; sa largeur varie de six à huit cents mètres. En sorte qu’au moyen d’un retranchement d’environ mille mètres, il était possible d’isoler complètement la presqu’île de la terre ferme, et d’en faire une place d’armes inexpugnable. L’extrémité de cette langue de terre se termine en T par un banc de rochers élevés qui se prolonge par des îlots et forme sur les côtés deux abris excellents. Sur le point culminant, on aperçoit une tour blanche, appelée par les marins espagnols Torre-Chica, un minaret et quelques corps de logis qui entourent le tombeau du marabout. Au bas du rocher se trouve un jardin, un puits ombragé par un superbe palmier, et enfin une batterie circulaire, percée de douze embrasures. Les avantages de cette position avaient déterminé le capitaine du génie Boutin à la signaler comme la plus favorable au débarquement ; l’Américain Shaler, dans son excellent ouvrage sur l’Algérie, avait confirmé l’opinion du capitaine Boutin; aussi, depuis longtemps, était-il décidé que, si l’expédition avait lieu, les troupes débarqueraient à Sidi Ferruch. Deux baies s’étendent de chaque côté de la presqu’île l’une à l’est, l’autre à l’ouest. Le vent soufflant de l’est, l’amiral pensa que c’était dans la baie occidentale qu’il fallait débarquer.
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On s’attendait à une vigoureuse résistance; il n’y en eut pour ainsi dire pas; et telle fut l’inconcevable ineptie du dey ou de ses chefs militaires, qu’ils ne songèrent même pas à établir sur quelques points de la côte des batteries, dont le feu bien dirigé, au moment de la concentration de la flotte, nous eût fait un mal considérable. On reconnut que la tour de Torre-Chica, n’était point armée, et que des canons y étaient grossièrement figurés par des pièces de bois. Quand on eut doublé la pointe de Sidi Ferruch, la batterie basse présenta ses douze embrasures; mais pas une seule bouche à feu ne s’y montrait. Le commandant de Sidi Ferruch, au lieu de disputer ce point important, comme il eût pu le faire, se contenta d’établir au-delà de la presqu’île plusieurs mortiers et pièces de canon, et de lancer sur la flotte quelques bombes et quelques boulets; mal dirigés, ils atteignirent peu de monde et ne firent qu’endommager faiblement le Breslaw.
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