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... Savoir raison garder.
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A vingt-quatre heures d'intervalle, des attentats suicide ont frappé le Maroc et l'Algérie. Il y a trois mois, c'est en Tunisie qu'avaient lieu des affrontements armés entre la police et des islamistes. Dès lors une question, source de grande anxiété, s'empare des esprits. Le terrorisme est-il en train d'imposer son agenda au Maghreb ? Les groupes islamistes armés peuvent-ils à terme y établir leur pouvoir par des actions concertées? Cette zone ultra-sensible risque-t-elle de devenir une base arrière d'Al Qaïda aux portes de l'Europe, fragilisant encore un peu plus la sécurité du continent ?
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Face à cette situation, il y a deux erreurs d'analyse à éviter : nier la réalité de la menace en serait une. Oui, la situation est préoccupante, l'inquiétude est légitime. La Tunisie est présentée comme un modèle de stabilité et de victoire policière et politique contre les islamistes. Mais l'inquiétude des responsables grandit. Le Maroc va voter en septembre et chacun s'en félicite. Le pays est considéré comme stable et paisible en transition démocratique. Mais il y a des zones d'extrême pauvreté qui sont une source de recrutement pour des aventures extrémistes. Casablanca avait été durement touchée en mai 2003 et un attentat avait eu lieu en mars 2007. L'Algérie, où des élections législatives auront lieu en mai, semblait sortir progressivement des horreurs de la guerre civile. Le pays pansait ses plaies, semblait se projeter de nouveau vers l'avenir bénéficiant de revenus pétroliers à la hausse, de nature à permettre de satisfaire des besoins sociaux. En frappant le siège du gouvernement au cœur d'Alger et en faisant 33 morts et 222 blessés, les terroristes ont voulu démontrer qu'ils conservaient une grande capacité de nuisance.
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Mais sombrer dans le catastrophisme n'est pas de mise. Le scénario d'un déchaînement de la violence et d'un effet domino qui ferait tomber les uns après les autres les régimes est largement exagéré. Pour autant, il n'y a pas en effet une coordination stratégique des mouvements terroristes. Certes le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) s'est rebaptisé en septembre dernier « mouvement Al Qaïda au Maghreb». Mais il s'agit plus d'échanges de service entre les deux organisations que d'amplification de la menace. Le GSPC bénéficie du prestige de la « marque » Al Qaïda, mondialement connue. Cela donne une plus grande visibilité à son action. Al Qaïda, de son côté, s'attribue des coups d'éclats d'un groupe déjà existant au Maghreb et donne ainsi l'impression d'élargir son champ d'action. Les groupes armés en Algérie se cachent dans les montagnes et sont constitués de combattants aguerris et établis de longue date. Il n'y a pas une apparition soudaine du terrorisme en Algérie, mais une prolongation atténuée d'une onde de choc ancienne. Accompagnée d'une modification des formes opératoires : aux massacres massifs de civils se sont substitués des attentats suicides avec des voitures, comme en Irak. Depuis quinze ans qu'ils mènent des actions armées, ils ont certes créé des dégâts terribles en Algérie, mais ils n'ont jamais fait vaciller le pouvoir. Au Maroc, les salafistes recrutent dans les quartiers déshérités et laissés à l'abandon par l'Etat et de ce fait les liens d'allégeance avec lui sont de plus en plus distendus. Mais les terroristes ont préféré se suicider en dehors de la foule, plutôt que de faire des victimes marocaines civiles. L'appel à un Djihad global est donc la couverture d'actions de groupes différents et dont les racines et le fonctionnement sont purement nationales, au-delà de références idéologiques communes.
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Face au terrorisme, le risque zéro ne peut pas exister. Les services de sécurité des pays du Maghreb sont loin d'être inefficaces mais ne doivent pas relâcher leurs efforts. L'appel à une meilleure coordination des efforts de la police et des services de sécurité des pays du Maghreb est pertinent. A ce titre, il n'est pas sûr que le renforcement du commandement militaire américain, que le Président Bush vient de créer pour l'Afrique, constitue une réponse efficace. On peut, au contraire, penser que cela peut avoir pour conséquence, par effet de réaction et du fait du rejet de la politique extérieure des Etats-Unis, qu'elle attise plus le feu et non qu'elle aide à son extinction. Mais surtout, les régimes de la région commettraient une grave erreur en concluant que l'élévation de la menace terroriste doit les conduire à stopper les réformes en cours, dans le domaine politique et social. Il leur faut au contraire, au nom même de la lutte contre le terrorisme, accélérer les ouvertures démocratiques et renforcer très nettement la lutte contre la pauvreté. Afin de détruire l'un des terreaux dont se nourrit le terrorisme.
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Pascal Boniface |
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