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Dans le Royaume d'Alger ...
le corps de la marine est très considérable & très puissant dans la république. Quoi qu’il n’y ait que les capitaines des vaisseaux qui soient officiers fixes, & qu’ils ne puissent se mêler en rien des affaires du gouvernement, néanmoins comme c’est par leurs avis que se règlent toutes les affaires concernant la marine tant du royaume que les étrangères, il est bon de ménager ce corps dans toutes les occasions ; d’autant plus que c’est la course qui apporte le plus grand profit au gouvernement, & qui le fait ménager par les princes chrétiens à cause du commerce maritime de leurs sujets.
Il est assez étonnant que dans un pays, où il y a fort peu de bois de construction, & où il y a ni mâture, no cordages, ni voiles, ni goudron, ni ancres, ni aucune des choses nécessaires pour soutenir une marine, on puisse entretenir un si grand nombre de bâtiments, sans faire presque aucune dépense.
Lorsque les algériens construisent un vaisseau, il suffit qu’ils puissent trouver du bois neuf qu’ils font venir de bougie, pour le fonds du navire : tout le dedans & l’œuvre morte se font des débris des bâtiments pris qu’ils dépècent avec beaucoup de ménagement & d’adresse,; & ils font ainsi des vaisseaux bons voiliers & à très bon marché.
Le seul vaisseau, commandé par l’amiral, appartient à la république qui en fait les armements de la même manière que les autres armateurs. Il a ses magasins particulier & il est appelé le vaisseau du deylik. Depuis l’année 1722 Mehemed dey a fait armer pour le gouvernement une flûte prise sur les hollandais.
Tous les autres bâtiments appartiennent à des particuliers, & chacun a ses armateurs & ses magasins assez bien munis de ce qui est nécessaire, par le soin que prennent les capitaines de dépouiller les prises de tout ce qui peut leur convenir.
Les capitaines ont la liberté d’armer quand il leur plait, & d’aller du côté que bon leur semble. Mais ils sont obligés de servir la république, lorsqu’elle en a besoin, pour le transport des garnisons & des provisions pour Alger, ou d’aller en course lorsque c’est la volonté du dey, & même d’aller au service du grand seigneur, quand le dey les nomme, & toujours aux frais des armateurs.
Lorsqu’un vaisseau périt ou est pris, les armateurs sont obligés d’en acheter ou d’en faire construire un autre de pareille force, la république ne pouvant perdre ni diminuer ses forces.
La république jouit du huitième des prises, tant des esclaves dont le dey a le choix, que des marchandises & des bâtiments. Le reste est partagé entre les armateurs & les équipages, comme il sera expliqué. Les bâtiments de mer appartiennent souvent aux capitaines qui les commandent ou au moins ils y sont intéressés. Ils observent de céder le commandement à un autre, lorsqu’ils ne sont pas heureux à la course.
Outre le nombre de 20 vaisseaux tant grands que petits, qui ne diminue jamais & qui augmente plutôt, suivant que le temps est favorable pour la course, les particuliers armant pendant l’été plusieurs barques latines, & au moins douze bâtiments à rames chaque année, dont il ne revient pas ord¬nairement la moitié. Ces petits bâtiments armés de misérables maures, qui vont chercher fortune, qui sont fort ignorants dans le métier de la mer, & qui se laissent guider par le hasard plus que par tout autre chose, échouent , sont pris ou font naufrage en mer.Quoi que dans la liste des vaisseaux, il y en ait plusieurs qui ont des canons de 12, de 8 & de 6 dans leur bord ; ce n’est pas à dire qu’ils aient toute le première batterie de 12. il n’y a que le vaisseau du deylik qui a sa première batterie de 12, la seconde de 8 & de 6 sur les gaillards. La plupart des autres n’ont que quelques pièces de 12 à la première batterie, les uns plus les autres moins. Ils s’en munissent à mesure qu’ils en trouvent sur les bâtiments ennemis qu’ils prennent, & ils postent leur artillerie sans en faire la comparaison avec la grandeur ni la force du bâtiment.
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VAISSEAUX CAPITAINES
La Fontaine, Vaisseau du deylik. Bekir Raïs Amiral.
Le grand Oranger. Mahmet Raïs ben Mustapha Hoja.
Les grandes Gazelles. Hagi Hali Raïs dit Danzick.
Le Soleil d’or. Mahmet Raïs dit Barbe
Le Tournesol. Mustapha Raïs ben Spahi.
Le Cheval blanc. Soliman Raïs dit Portugal.
La rose rouge. Bekir Raïs Hoja.
Le Lion blanc. Mustapha Raïs Chakmaëgi.
La Perle. Assan Raïs.
La Fortune. Ahmet Raïs.
La demi-Lune. Soliman Raïs de la Pantelerie.
Les petites Gazelles. Mahmet Raïs dit Cazas.
Le Lièvre. Hussen Raïs.
La Caravelle Génoise. Hali Raïs dit Sevillano.
La Galère. Mahmoud Raïs.
La Porte de Neptune. Mustapha Raïs Chérif.
La galère de Porto, Flûte du deylik. Mahmet Gayatou.
La Caravelle Anglaise. Seraf Raïs dit Caïd.
La Marie. Abdulkader Raïs.
La Rose d’or. Mustapha Raïs dit Cartero.
La Ville de Mataron. Nootoula Raïs.
La petite Caravelle. Nems Raïs.
La Polacre. Hagi Mossa Raïs.
La Gabarre. Osman Raïs.
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CROISIÈRES DES ALGÉRIENS
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dans la Méditerranée.
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Détroit de Gibraltar.
Cap de Moulin.
Cap de Gatte.
Cap de Palos.
Cap de St. Martin.
Cap de St. Sébastien.
Cap de Creux.
Mayorque.
Minorque.
Cap Corse.
Cap de la Casse.
Iles de St. Pierre.
Rivière de Gènes.
Côte de Naples.
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Côte de Naples.
Côte Ecclésiastique.
Sicile.
Trapano.
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Golfe Adriatique.
Dans l’Océan.
Cadix.
Lagos.
Cap St. Vincent.
Cap de la Roque.
Cap Finistère.
Les Iles Canaries.
Les Iles Madères.
Les Iles Açores.
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Il y en a eu qui ont été jusqu’en terre Neuve, & l’on assure même qu’il y en a eu d’assez hardis pour venir au Texel, où ils ont pris des bâtiments.
Lorsqu’il y a des vaisseaux de leurs ennemis, qui croisent sur eux dans la méditerranée, leurs croisières sont seulement à la côte de Portugal & aux îles Canaries.
Lorsqu’un capitaine veut aller en course, il en demande la permission au dey qui ne la refuse jamais, à moins que le gouvernement ait besoin de son vaisseau pour transporter quelques troupes dans les garnisons.
Le permission étant accordée, le capitaine travaille à mettre le vaisseau en état , avec ses esclaves, ceux des armateurs, & ceux de plusieurs particuliers qui les font embarquer, afi n qu’ils gagnent leur part aux prises, dont les patrons ou maîtres des esclaves retiennent la plus grande proportion. Le vaisseau étant radoubé & agréé, les provisions y sont embarqués pour deux lunes ou trois par extraordinaire. Ces vivres ne consistent qu’en du biscuit, de l’eau, du bourbou, du courcous & un peu de riz. Le capitaine fait alors mettre pavillon en flamme & tirer un coup de canon. C’est le signal qu’il doit mettre à la voile le lendemain, afin que tous ceux qui veulent s’embarquer pour faire la campagne, viennent à bord, soit turcs, soit maures, & on en refuse aucun. Chaque capitaine a seulement quelques turcs de ses amis, qui lui sont attachés, & qui vont ordinairement avec lui en mer. Ceux-là cherchent à entraîner d’autres, parce que les turcs font toutes leurs forces, les maures étant désarmés & n’étant propres qu’à très peu de chose.
Chaque turc porte son fusil, son sabre & sa couverture pour dormir & ils n’embarquent ni lits, ni coffres. Quelques-uns portent en leur particulier quelques rafraîchissements, ce qui dépend de la volonté de chacun.
Les maures ne portent ordinairement qu’un burnous, & qui leur sert d’habit & de couverture. Leur service est d’être aux canons dans un combat pour tirer les palans & servir les canonniers, & ils tirent la manœuvre sur le pont.
Dans chaque vaisseau il s’embarque un ayabachi, ou quelque ancien soldat qui est reçu en qualité d’aga. Il est le chef de la milice, & rend la justice aux turcs. Le capitaine ne peut sans son avis donner chasse, combattre ni disposer de son retour. A l’arrivée du vaisseau, cet aga rend compte au dey de la conduite du capitaine, lequel est châtié s’il est accusé par l’aga & le plus grand nombre des soldats, d’avoir manqué à son devoir, & à pren¬dre quelque bâtiment faute de le combattre assez longtemps, ou d’avoir laissé aller quelque bâtiment ami, dont le passeport est douteux. Le raïs Mezomorto, qui fut depuis dey d’Alger, fut dans le cas. Il fut accusé par l’aga & la milice de son vaisseau de n’avoir pas fait son devoir; le dey lui fi t donner 500 coups de bâton sous les pieds, & le renvoya en même temps en course.
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Le dey, ou plutôt le deylik, a le huitième de toutes les prises tant des esclaves que des marchandises, l’équipage la moitié du restant, & l’autre moitié est pour les armateurs.
État-major.
L’aga, ou chef de la milice, a 3 parts aux prises.
Le raïs, ou capitaine, a sa part seulement comme armateur.
Le premier soute-raïs, ou lieutenant, a 3 parts.
Le hoja ou écrivain a 3 parts.
Le maître bombardier, ou capitaine de l’artil-lerie, a 3 parts.
Le vekilardgy, ou commis aux vivres, a 3 parts.
Officiers Subalternes. Chacun 2 parts
Trois Soute-raïs. Chacun 2 parts
Trois aides d’artillerie. Chacun 2 parts
Huit timoniers. Chacun 2 parts
Les esclaves chrétiens, dont on embarque un bon nombre, servent d’officiers mariniers & de matelots, & ont chacun 3, 2 ou une part & demi, selon qu’ils sont reconnus pour être entendus dans la navigation, manœuvre, ou autres services d’un vaisseau.
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Les officiers nommés ci-dessus sont tous turcs ou coulouglis. Ils ne se mêlent jamais avec les maures, lesquels non plus que les esclaves ne peuvent monter sur le gaillard d’arrière, ni entrer à la sainte-barbe, si le capitaine turc ne les demande.
L’État-major est toujours destiné lors de l’armement; mais pour les officiers subalternes, on les choisit ordinairement parmi les plus anciens de la paye de ceux qui sont embarqués, lorsque le bâtiment est sous les voiles. Comme chacun est libre de s’embarquer, les vaisseaux ont plus ou moins d’équipage selon le bonheur & la réputation du capitaine, qui n’en sait le nombre que lorsque le vaisseau est à la mer. Alors l’écrivain fait un rôle de tous ceux qui s’y trouvent. Les turcs servent à la mousqueterie & à commander les pièces de canon, suivant l’occasion & le bon plaisir de l’aga.
Lorsque les prises sont fréquentes, les capitaines sont quelquefois obligés de débarquer du monde, avant que de partir, tous ne pouvant contenir à bord, & alors ils gardent tous les turcs & débarquent que les maures tels qu’ils se trouvent sans aucun choix. Mais lorsque les prises sont rares, qu’ils ont à craindre les vaisseaux ennemis, ou que les capitaines qui vont en course ne sont pas heureux ou n’ont pas bonne réputation, les équipages sont assez faibles, surtout pendant l’été que les armées sont en campagne.
Ce qu’il y a de particulier, c’est que s’il y a dans un vaisseau d’Alger, dans le temps qu’il fait prise, des passagers de quelque nation & religion qu’ils soient, ils y ont part, parce que, disent-ils, que ce sont peut-être ces passagers qui ont causé ce bonheur, par un effet inconnu de la providence.
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