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Quand Al Qaïda vise le Maghreb
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C'est le 11 avril qu'Al Qaïda a frappé en plein cœur d'Alger, à l'entrée du Palais du Gouvernement et dans un poste de police prés de l'aéroport Houari Boumediene. Al Qaïda semble avoir une prédilection pour le chiffre 11. Le 11 septembre à New York et le 11 mars à Madrid… Les attentats d'Alger ont eu lieu dans un contexte marqué sur le plan intérieur par la poursuite d'actions militaires d'envergure à l'Est du pays contre des groupes terroristes et sur le plan maghrébin par la recrudescence des tentatives d'attentats heureusement déjoués à temps par la police marocaine à Casablanca et les suicides de kamikazes.
Les attentats d'Alger sont venus illustrer une triste réalité : les terroristes, même s'ils sont fortement diminués, gardent une capacité de nuisance et peuvent frapper au moment qu'ils choisissent . Pour les Algériens, l'inquiétude est réelle et légitime : celle de voir ressurgir les actions criminelles qui ont endeuillé le pays pendant près d'une décennie. Ces attentats sont porteurs de quelques enseignements qu'il convient de souligner. Le terrorisme est certes résiduel, mais il peut encore réagir et certains observateurs mettent ces actes sur le compte des défaites que subissent les groupes d'Al Qaïda en Algérie sous l'effet des opérations menées par les forces de l'ordre dans les régions où ils sont implantés ; ce serait une réaction de désespoir pour rappeler que les terroristes ne sont pas sur le point d'abandonner leur projet.
Cependant les objectifs de tels attentats sont médiatiques et également politiques ; il s'agit de montrer que la politique d'apaisement du Président Bouteflika n'a pas atteint ses buts, que le pays n'est pas sûr ; ce message s'adresse aux Algériens à la veille des élections législatives du mois de mai prochain et aux investisseurs étrangers attirés par les potentialités énormes de l'Algérie, qui a amorcé un certain décollage économique porteur de grands espoirs de voir ce pays amorcer son développement économique et social. Déjà, en Algérie, on commence à mettre en doute l'efficacité de la politique de réconciliation prônée par le Président Bouteflika ; certains vont même jusqu'à avancer que de nombreux islamistes amnistiés dans le cadre de cette initiative ont rejoint les groupes terroristes. On doit cependant relativiser les choses car la situation de l'Algérie aujourd'hui n'est pas comparable à celle qui prévalait dans les années 90. Depuis, le mouvement islamiste a été profondément affaibli et l'on peut dire que la majorité des Algériens lui ont tourné le dos. D'autre part, à l'époque de la montée en force des islamistes, le pays était confronté à une grave crise économique et sociale due à l'héritage de décennies de blocages économiques et à la baisse des prix du pétrole - qui constitue la principale ressource de l'Algérie -. Aujourd'hui, le pays dispose de plus de 70 milliards de dollars de réserves, la confiance est revenue, les investisseurs étrangers arrivent et s'implantent dans un pays auquel ils accordent un intérêt évident et les signes de la croissance sont bien réels. C'est un nouveau climat que les terroristes d'Al Qaïda veulent torpiller car ils savent que c'est la crise économique et les problèmes sociaux qui sont le meilleur terreau pour leur action. La menace est sérieuse, non point que le terrorisme puisse déstabiliser le régime mais il peut annuler les effets positifs de la situation politique et de la conjoncture économique et engager le pays dans des combats marginaux dont il n'a nullement besoin.
L'attentat d'Alger - fortement médiatisé en raison du nombre de ses victimes et de son caractère spectaculaire - survient quelques semaines après les évènements de la fin de l'année dans la banlieue de Tunis et au moment où le Maroc fait face à des menées terroristes ; il porte une signification importante qui doit être soulignée et dont on doit tirer les conclusions qui s'imposent : la menace est devenue maghrébine et ce n'est pas un hasard si le G.S.P.C a choisi de se dénommer Organisation d'Al Qaïda pour le Maghreb islamique. Dorénavant, le champ d'action de ces groupes est le Maghreb et subsidiairement les pays limitrophes de l'Afrique du Sud du Sahara. Cette dimension maghrébine du terrorisme explique l'intérêt manifesté par des pays comme la France ou Espagne, qui craignent des attentats sur leur propre territoire et surtout les Etats-Unis qui veulent conduire la lutte contre le terrorisme dans le monde et tiennent à renforcer leur présence dans la région, surtout qu'ils envisagent une coopération plus étroite notamment avec l'Algérie sur les plans économique et également sécuritaire.
Tous les pays du Maghreb sont visés par le terrorisme à des degrés divers, certes, mais aucun d'entre eux n'échappe aux projets des islamistes d'Al Qaïda. Les situations dans les trois pays sont différentes et les raisons de l'émergence du phénomène islamiste le sont également. La situation en Tunisie présente des risques inférieurs à ce qui pourrait se passer en Algérie et au Maroc, même s'il y a une vraie inquiétude de l'opinion publique pour des raisons qui tiennent à la fois de l'histoire, du modèle de développement et des progrès réalisés en matière de développement social et humain : scolarisation, promotion de classes moyennes ouvertes au progrès et à la tolérance, acquis sociaux qui ont réduit la fracture sociale. En quelque sorte, la manière dont la Tunisie a géré le problème islamiste depuis le Changement du 7 Novembre a réduit les risques d'expansion de l'islamisme radical et de sa composante terroriste ; mais tout cela ne signifie nullement que notre pays est à l'abri d'attentats terroristes dont le propre est de frapper là où l'on s'y attend le moins et aussi parce que le terrorisme, avec ses ramifications et ses réseaux, dépasse les frontières et peut être importé.
Face à ce terrorisme qui se place au niveau maghrébin, les pays de la région doivent dépasser leurs différends et adopter une riposte commune contre ces organisations qui menacent leurs acquis, leur stabilité et leur avenir. L'objectif prioritaire est de neutraliser ces groupes et de prévenir leurs actions ; pour cela et dans l'immédiat, les pays maghrébins doivent intensifier la coordination de leurs services de sécurité car dans ce genre de situations l'information est essentielle. Cependant le côté sécuritaire doit s'accompagner d'une stratégie en profondeur qui vise les racines du phénomène terroriste et elle ne peut avoir d'effet notable que dans le cadre de l'Union du Maghreb arabe qui doit être réactivée au plus tôt et le problème du Sahara occidental impérativement résolu; c'est là un objectif qui ne saurait attendre davantage. Le Maghreb est la meilleure antidote contre le terrorisme et ses causes. Pour au moins deux raisons. La première est qu'il constitue pour nos jeunesses un idéal pour lequel on doit militer, surtout que ces jeunesses sont en manque d'idéal et se laissent ainsi tenter par les aventures les plus extrêmes. La deuxième est que le “Non Maghreb” coûte cher en matière de points de croissance pour nos pays et retarde ainsi leur développement économique et social ; ces points perdus sont autant de points marqués par l'extrémisme qui se nourrit du sous-développement, des écarts sociaux et de l'absence de perspectives d'avenir.
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Taieb ZAHAR | |
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