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Ce corsaire envoya à Alger 18 galères & 30 barques sous les ordres de son lieutenant, & il marcha lui-même par terre avec tout ce qu’il put trouver de Turcs & de Maures affectionnés. Les Algériens furent transportés de joie en apprenant la diligence de Barberousse, qu’ils regardaient comme un foudre de guerre, & un homme invincible. Selim Eutemi, général d’Alger & tous les principaux de la ville furent le recevoir à près de deux journées. Ils lui rendirent des honneurs extraordinaires, l’amenèrent en triomphe dans Alger aux acclamations du peuple, & le logèrent dans le palais du prince Selim Eutemi, qui les reçut avec toute la distinction possible. Les troupes furent aussi traitées avec beaucoup d’amitié & de générosité ; mais elle en abusèrent bientôt, le besoin qu’on avait d’elles leur ayant inspiré beaucoup de fierté. Le pirate Barberousse s’enfla aussi d’orgueil, & conçut le dessein de s’emparer d’Alger & de son territoire, & de s’en rendre souverain. Il le communiqua à son ministre & à ses principaux officiers, & il fut résolu dans son conseil particulier, qu’on garderait un secret inviolable, & qu’on ne se mettrait pas en peine de réprimer la licence des soldats Turcs. Ceux-ci firent d’abord les maîtres dans la ville & à la campagne, & maltraitèrent fort les bourgeois ; & Barberousse était persuadé, que cette conduite donnerait lieu à des troubles dont il profiterait.
Cependant le pirate, pour faire voir qu’il était de bonne foi, peu de temps après son arrivée, fit dresser une batterie de canons à la porte de la marine, vis à vis le fort des Espagnols construit sur une île éloignée d’environ 500 pas. Il le fi t battre inutilement pendant un mois, parce que le canon était trop petit, & il remit son expédition à un autre temps.
Selim Eutemi ne fut pas longtemps à s’apercevoir de la faute qu’il avait faite, d’appeler au secours d’Alger, le fier Barberousse qui ne faisait aucun cas de lui, & ne prenait jamais son avis. Les habitants traités avec autant de hauteur & de tyrannie par la soldatesque, reconnurent aussi le dessein du pirate, & le publièrent ouvertement.
Barberousse se voyant découvert ne garda plus de mesures, & s’abandonnant à son naturel violent, ils résolut d’ôter la vie au prince Selim, de se faire proclamer roi par ses troupes, & reconnaître de gré ou de force par les habitants.
Voici ce qui contribua à faire hâter l’exécution de cette barbare entreprise. Le pirate ayant été d’abord vivement touché de la beauté & du mérite de la princesse Zaphira, se servit inutilement de toutes sortes de voies de douceur pour se rendre maître de son cœur. Le mépris avec lequel Barberousse en fut reçu, alluma toute sa rage, & lui fit prendre la résolution d’acquérir Zaphira par un crime, dont son ambition avait commencé de lui inspirer. Il se flattait d’épouser la princesse dès qu’elle serait veuve, & qu’il serait souverain du pays. Comme Barberousse était un homme de fortune, né misérable, & dont l’origine était inconnue, il tirait beaucoup de vanité de ce projet ; parce que Zaphira descendait des plus illustres Arabes, & que sa famille était alliée à tous les plus puissants cheikhs de ces nations. Il se flattait aussi, que par ce mariage il deviendrait respectable à ces nations Arabes, & qu’elles ne se ligueraient pas contre lui pour le chasser d’un pays, dont il aurait été l’usurpateur.
Barberousse ne différa pas longtemps l’exécution de ce projet. Il avait observé que le prince Arabe restait ordinairement quelque temps seul dans son bain, avant la prière du midi. Comme Barberousse était logé dans son palais, il eut un jour la commodité d’y entrer sans être vu par le prince. Il le surprit nu & sans armes, & l’étrangla avec une serviette, sans lui donner le temps de se reconnaître. Le pirate sortit sur le champ, & rentra dans le bain peu après avec nombre de personnes qui l’accompagnaient, comme pour se baigner selon la coutume. Il affecta une surprise extraordinaire de la mort du prince. Il fit publier qu’il était tombé en faiblesse, selon toute apparence, & mort faute de secours ; & il ordonna en même temps à ses troupes de prendre les armes.
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Les habitants d’Alger ne se doutèrent point, que ce ne fût un coup du perfi de Barberousse. Chacun d’eux craignant le même sort, ils s’enfermèrent dans leurs maisons, abandonnant la ville aux soldats Turcs, qui profitèrent de cette occasion pour s’en rendre entièrement maîtres. Ils conduisirent Barberousse à cheval & en grande pompe par toute la ville, & le proclamèrent roi d’Alger, en criant : «Vive Aroudj Barberousse l’invincible roi d’Alger, que Dieu a choisi pour gouverner son peuple & le délivrer de l’oppression des chrétiens. Malheur à ceux qui refuseront de lui obéir comme à leur légitime souverain ». Après avoir jeté la terreur & l’épouvante parmi les bourgeois, qui s’attendaient à quelque massacre, ils placèrent Barberousse sur le siège royal dans le palais du prince Selim, environné de gardes bien armés. Les troupes se répandirent dans les principales maisons des habitants, pour leur faire part de ce qui se passait, & les prier fort honnêtement de la part du nouveau roi de lui aller rendre hommage, & de lui prêter serment de fidélité ; on leur promettait beaucoup d’égards & d’avantages de cette démarche, s’ils la faisaient de bonne grâce. Ces bourgeois craignant d’être immolés à la cruauté de Barberousse s’y laissèrent conduire. Il les combla de belles paroles, de pro-messes & de témoignages d’amitié, & leur fi t prêter serment, & signer l’acte de son couronnement.
Ensuite les officiers de Barberousse accompagnés de soldats, menèrent avec eux les principaux bourgeois, & furent de maison en maison exhorter les autres habitants à faire la même démarche, & ils se rendirent sans résistance. L’usurpateur fit ensuite publier par un crieur public son couronnement & les promesses qu’il faisait à son peuple de bien le traiter, & de le défendre contre les chrétiens & tous ses autres ennemis. Il fit un règlement pour l’ordre et la discipline, qui ne fut pas observé. Il ordonna que tous les habitants sortiraient de leurs maisons & vaqueraient à leurs affaires comme auparavant, sans crainte d’être inquiétés ; il leur faisait espérer au contraire sa protection comme à ses sujets & à ses enfants.
Le fils du prince Selim, encore jeune, craignant pour lui-même le sort de son père, prit la fuite secrètement avec l’aide d’un Arabe officier de sa maison, & d’un esclave affectionné. Il se réfugia à Oran sous la protection de l’Espagne, & sur la parole du marquis de Comarez gouverneur de cette place, qui le reçut avec honneur, & le traita avec beaucoup de distinction.
Barberousse ayant été déclaré roi, & reconnu de gré ou de force, fit réparer les fortifications de l’Alcaçave, y plaça beaucoup d’artillerie avec une bonne garnison Turque, & y fit battre la monnaie en son nom.
Le peuple na resta pas longtemps sans ressentir le poids de la tyrannie, & de l’oppression de son nouveau roi. Ce prince fit étrangler tous ceux qu’il soupçonnait d’être ses ennemis, ou pour mieux dire, tous ceux qu’il craignait ; car ils étaient tous ses ennemis. Il s’empara de leurs biens, & exigea des amendes considérables de tous ceux qui avaient de l’argent. On conçut tant d’horreur pour lui & pour ses soldats, que lorsqu’il sortait pour se faire voir en public, tous les habitants se cachaient & fermaient les portes de leurs maisons.
Pendant que la désolation régnait dans Alger, la princesse Zaphira devenue la proie d’un perfide, fit éclater sa constance & sa vertu, & se fit admirer malgré les rigueurs du sort qui l’accablait. De souveraine qu’elle était, elle se vit sujette & esclave du meurtrier de son mari, & de l’usurpateur du royaume. La douleur que son état lui causait, & le souvenir des déclarations de tendresse que Barberousse avait osé lui faire, lui donnaient lieu d’appréhender que ce tyran qu’elle avait traité avec mépris, ne voulut s’en venger, & user à son égard de tout son pouvoir. Ces frayeurs troublèrent son esprit : elle devint furieuse, & s’armant d’un poignard, elle résolut de le plonger dans le sein du tyran, ou de se tuer elle-même, si elle manquait son coup. Mais ses fidèles compagnes s’opposant à son dessein, la désarmèrent & l’enfermèrent jusqu’à ce que la douleur, & l’agitation où l’avaient mise ses malheurs, furent un peu calmées.
Barberousse de son côté toujours amoureux de l’infortunée princesse, ne douta point qu’il ne fût maître de l’épouser, après que la douleur, disait-il, & la bienséance auraient joué leur rôle, & résolût de donner tout le temps nécessaire à l’une & à l’autre. Il ne parut pas devant la princesse, & ne lui envoya aucun compliment de condoléances, pour ne pas l’irriter. Il ordonna seulement dans son palais, qu’on lui fournit tout ce qui serait nécessaire ou qu’elle pourrait désirer ; & sous prétexte qu’elle fût mieux servie, il lui fit présent de deux belles esclaves, qui avaient ordre d’informer le tyran de tout ce qui se passerait dans l’appartement de cette veuve affligée. Zaphira revint bientôt de son trouble, & sa fureur se changea en une douleur muette & tranquille, qu’elle sentait plus vivement que la première. Elle donna encore quelques jours à ses larmes & à ses regrets ; & étant revenue peu à peu à elle-même, elle fit les réflexions convenables à son état. Elle considéra qu’il n’y avait plus de remède à son malheur ; que Barberousse était trop puissant pour combattre son parti, & pour pouvoir venger sur lui la mort du prince Selim Eutemi : & après avoir consulté parmi les femmes de sa suite ; celles qui étaient les plus raisonnables & les plus fidèles, elle résolut de faire ses efforts pour obtenir du tyran la liberté de retourner dans son pays avec sa suite.
Barberousse agité de pensées bien différentes, ayant appris que Zaphira se portait beaucoup mieux, prit cette occasion pour lui écrire, n’osant paraître devant elle, sans l’avoir adoucie par quelque endroit. Il lui envoya la lettre, dont voici la traduction.
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AROUDJ BARBEROUSSE, Roi d’Alger, à la princesse ZAPHIRA.
« Belle Zaphira, image du soleil, & plus belle par tes rares qualités que par l’éclat radieux qui environne ta personne, le plus fier & le plus heureux conquérants du monde, à qui tout cède, ne cède qu’à toi & est devenu ton esclave. Je suis extrêmement touché de ton affliction & de tes malheurs ; mais mon cœur ressent encore plus vivement l’effet de tes charmes, qui seraient dignes de l’attention de notre grand prophète, s’il revenait sur la terre. J’ai une joie inexprimable de ce que tu as persisté au torrent d’affliction, qui semblait devoir te faire succomber, & de ce qu’on me donne espérance d’un prompt rétablissement de ta santé. J’en loue Dieu seul & tout puissant, par lequel tout est réglé de toute éternité. Adore ses décrets & ne l’irrite point par un excès de douleur, puis-qu’il est le maître de la vie des hommes, & que ce qu’il a ordonné depuis le commencement qui n’a point de commencement, doit arriver, soit le bien, soit le mal. Ne crains pas que j’use de mon droit de souveraineté pour te forcer d’être à moi ; mais je te conseille de me donner ton cœur de bonne grâce. Ton sort, belle Zaphira, fera envie à toutes les femmes du monde. Tu règneras, non comme tu as fait, mais en véritable souveraine de ton roi & de tes sujets, avec une autorité pleine & absolue. J’espère qu’en peu de temps, ma valeur secondée par mes invincibles troupes, mettra toute l’Afrique à tes pieds. En attendant ce glorieux sort, sois maî¬tresse dans mon palais, fais, défais, tout sera bon venant de ta part : & malheur à ceux ou à celles qui auront l’insolence de te désobéir ; & qui ne rampe¬ront pas en baisant la poussière de tes pieds, après l’auguste commandement que j’en fais à tous mes sujets. »
Une des esclaves de Barberousse avait données à la princesse fut chargée de lui rendre cette lettre, & de la prévenir en lui représentant la ten¬dresse du roi, & le sort glorieux qui l’attendait si elle savait en profiter. Ces discours & la vue d’une lettre du meurtrier de son mari, jetèrent cette princesse infortunée dans son premier trouble. Elle ne répondit que par des larmes & des soupirs, & fut pendant quelques temps dans l’incertitude, si elle devait recevoir cette lettre. Elle la prit pourtant, & s’étant enfermée avec ses plus fidèles suivantes pour délibérer sur la conduite qu’elle devait tenir, on lui conseilla se ménager le tyran, & de lire sa lettre. Quel fut son désespoir, lorsqu’elle l’eut lue ! Peu s’en fallut qu’elle n’expirât de douleur. Elle ne revint à elle-même que par l’espérance, que lui donneront ses fidèles compagnes, qu’elle pourrait revoir avec elles sa chère patrie, en dissimulant sa haine pour Barberousse. Après avoir fait de sérieuses réflexions, elle répondit en ces termes à Barbe¬rousse.
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L’infortunée ZAPHIRA, au Roi d’Alger.
« Seigneur, tout autre que moi, plus sensible à la gloire, à la grandeur, & aux richesses, qu’à la réputation qui est la véritable gloire, la suprême grandeur & la plus grande richesse, s’estimerait heureuse de se donner à toi, & de partager l’éclatante fortune que tu m’offres si généreusement. Je ne puis l’accepter, sans me rendre à jamais un objet d’horreur & d’abomination à tous les vrais croyants. Permets, seigneur, que je te représente, que mon époux a péri depuis peu d’une mort violente, comme tous ceux qui ont vu son respectable cadavre ont été convaincus. A peine était-il expiré ; que tu t’es emparé de la ville par la force : tes soldats ont commis des cruautés qui font frémir. Ils ont tué, violé & se sont tout approprié. Enfin tu règnes par la force, n’ayant ou régner autrement, & toutes tes violences ont persuadé le public, que tu es coupable de la mort de mon époux. Si je me donne à toi, n’aurait on pas raison de dire, que je suis aussi complice de ce crime, & que de concert nous lui avons donné la mort pour nous unir & régner ensemble ? Pour moi, seigneur, je ne te crois pas capable d’un tel crime, mais ce n’est pas assez. Je ne puis vivre, si je ne prouve que je suis innocente ; ni les supplices, ni la mort n’ont rien d’assez effrayant pour me faire changer de sentiment. Il faut que je me justifie, seigneur, & il est de ta grandeur de me laisser pour cet effet la maîtresse de ma conduite pour ton honneur & pour ta justification. Il est naturel de vouloir régner quand on le peut; mais pour faire voir que tu ne veux pas régner par un crime si énorme, que celui d’avoir ôté la vie & le royaume à un prince qui t’avait reçu dans sa maison comme son frère, pour lui aider à conserver l’une et l’autre, & pour convaincre le public que je suis pure & innocente comme un agneau que sa mère allaite, fais un grand & généreux effort sur toi, s’il est vrai que tu aimes l’infortunée Zaphira. Donne moi la liberté d’aller dans la plaine de Mitidja avec mes femmes & mes esclaves, pour mêler mes regrets avec les leurs. Dans un si grand malheur permets que je tâche de me consoler avec ceux qui m’ont donné la vie, après Dieu seul & tout puissant ; & laisse moi donner carrière en liberté à mes justes & innocentes larmes. Je te le demande, seigneur, au nom du maître de l’univers, à qui rien n’est caché, qui ordonne la pratique de la vertu, la droiture & la générosité, & qui est ennemi de tout mal. Puisse le Saint prophète, son bien-aimé Mahomet, t’inspirer de m’accorder ce que je te demande, & te guérir d’une passion qui me rendrait trop criminelle, si je la favorisais, & qui ne pourrait avoir que des suites funestes. »
La même esclave qui avait porté à Zaphira la lettre du roi, remit entre ses mains celle de la princesse. Il sentit en la lisant mille remords ; & ne pouvant sans injustice condamner les sentiments de Zaphira, il résolut d’attendre du temps qu’il désirait avec tant d’ardeur. Plus elle témoignait de fermeté & faisait paraître sa vertu, plus il en était épris. Comme il trouvait dans cette veuve une illustre naissance, de la beauté, beaucoup de grandeur d’âme, & toutes les bonnes qualités & les vertus rassemblées dans sa personne, il jugea à propos d’employer les voies de la douceur pour se l’acquérir, sans user d’aucune violence. Il laissa la princesse à ses réflexions pendant quelques temps, après quoi il lui écrivit de la manière suivante.
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Le Roi d’Alger à la princesse ZAPHIRA
« Incomparable Zaphira, j’ai frémi d’horreur en lisant dans ta lettre écrite de ta précieuse main, qu’on me soupçonnait d’être le meurtrier du prince Selim. Dieu seul le sait, & puis que ce faux bruit t’empêche de te donner à moi, je ferai si bien que je m’en laverai, m’en dût-il coûter mon royaume. Il y va de ma gloire & de mon bonheur : & s’il est nécessaire, je ferai couler un torrent de sang innocent pour découvrir le coupable. Je vais ordonner qu’on le cherche, & malheur à lui & à tous ces complices s’il en a eu. Je me suis emparé du royaume, il est vrai, belle Zaphira, après la mort du prince Selim, n’y ayant point de sou¬verain plus légitime que moi ; tout le pays était exposé à devenir la conquête des chrétiens, sans mon courage, & les troupes que j’ai amenées à mes dépends. Je me flatte qu’avec le temps tu me croi¬ras aussi innocent que je t’ai paru criminel ; & que tu te résoudras à jouir d’une gloire éclatante, & à être adorée de tes sujets, comme je t’adore ».
Pour venir à bout de son dessein & faire cesser le soupçon de son crime, ou plutôt afin d’ôter à la princesse tout prétexte de na pas l’épouser, Barberousse communiqua la même jour, tout ce qui se passait entre Zaphira & lui à Ramadan Choulak son vieux ministre, qui avait perdu un bras à son service, & qui lui avait aidé à se défaire du prince Selim & à se rendre maître d’Alger. Il dit à ce confident, qu’il fallait lui trouver quelques victimes pour laver & satisfaire à la princesse, & ils convinrent de la scène tragique qui se passa bientôt à ce sujet.
Ramadan fit publier par un crieur public, que le roi ayant appris que le prince Selim avait péri de mort violente, & qu’il était injustement accusé d’en être l’auteur, il était commandé à celui ou ceux qui connaîtraient ou soupçonneraient le meurtrier & les complices de les déclarer, à peine de la mort la plus cruelle pour ceux qui les connaissant ou en ayant soupçon, les cèleraient & qu’on donnerait un récompense considérable en or ou en argent aux délateurs. Il parut bientôt un accusateur gagné à cet effet, disant qu’en Arabe serviteur du Prince Selim, lui avait déclaré avant sa fuite, les complices qui étaient au nombre de trente ; & qu’il avait ajouté qu’ils s’étaient promis de souffrir la mort plutôt que de révéler le secret, si Barberousse n’avait pas eu le dessus ; mais qu’étant maintenant le maître, ils n’avaient rien à craindre quand même on le saurait. Ce misérable, qui avait été au service du prince, reçut en or la récompense, & en même temps le roi lui fit arracher la langue, sous prétexte qu’il ne l’avait pas déclaré plus tôt, mais en effet afin qu’il ne peur révéler la trahison. On fit venir devant lui les trente prétendus complices, qui étaient les plus mauvais soldats des troupes de Barberousse, qui avaient aussi été gagnés. Ramadan les avait fait consentir, pour sauver l’honneur du roi, d’avouer publiquement qu’ils étaient complices. Il leur promit que quoi qu’on les fit mettre en prison avec grand bruit & pour la forme, on les ferait sauver, & qu’on les comblerait de biens, pour aller vivre à leur aise en Egypte d’où ils étaient originaires. Sur cette promesse, ces misérables s’avouèrent complices dans les interrogatoires ; & dans le moment des Chiaoux postés à cet effet, les saisirent & les étranglèrent. Il y en eut un parmi eux, qui pour se venger de Ramadan qui les trahissait, ou gagné par le roi dont il espérait sa grâce, cria tout haut avant d’être saisi, que c’était par ordre de Ramadan que le prince Selim avait été étouffé. Barberousse ordonna en même temps qu’on étranglât Ramadan, qui fut exécuté sans avoir le loisir de se reconnaître, de de se reconnaître, de même que son accusateur. Ainsi ce malheureux ministre, confident du crime de l’usurpateur, subit la peine que méritaient se mau¬vais conseils ; & Barberousse, sur qui les remords semblaient ne faire plus aucune impression, crut que rien ne s’opposerait plus à la conquête du cœur de la princesse. Pour faire éclater davantage sa prétendue justice, il fit attacher les têtes de tous ceux qui avaient été étranglés, aux murailles de son palais, & traîner leurs corps ignominieusement hors la ville, & fit courir là-dessus tel bruit qu’il jugea à propos pour sa justification. Les habitants d’Alger furent extrêmement sur¬pris, que le tyran eût fait mourir son ministre & son plus cher confident, pour se laver d’un crime qu’on lui imputait, & cet acte prétendu de justice, sembla désabuser le public. Il n’y eut que Zaphira, qui pleine de jugement & de pénétration, ne donna point dans ce piège. Elle prit une ferme résolution de mourir plutôt, que de devenir l’épouse d’un tyran qui lui était en horreur.
Barberousse tout glorieux de cette cruelle expédition, écrivit ainsi à la princesse.
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Le Roi d’Alger, à la princesse ZAPHIRA.
« Me voilà lavé, belle & incomparable Zaphira, du crime affreux qu’on a osé m’imputer. J’ai fait mourir les complices qui l’ont eux-mêmes avoué. Leur prompt aveu a épargné bien du sang, car j’aurais plutôt fait périr tous mes sujets, que de ne pas satisfaire à mon honneur & à tes scrupules. Rien ne peut à présent t’empêcher de me donner la main. Hâte toi de régner avec plus d’éclat & d’empire que tu n’as fait, & tâche de redonner par moi à tes illustres aïeux, les vastes pays qu’ils avaient conquis par leur courage & la force de leurs armes ».
La princesse qui s’attendait à de pareils discours, & qui s’était fortifiée dans la résolution de résister, répondit sur le champ.
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L’infortunée ZAPHIRA au Roi d’Alger.
« Seigneur, mes scrupules n’ont point cessé par le trépas de ces misérables, qui viennent d’expirer par tes ordres. L’ombre de mon mari me poursuit. Elle m’est apparue en songe cette nuit, par ordre du Prophète, & m’a dit que tu avais immolé des victimes innocentes, excepté Ramadan, lâche conseiller de la mort du prince Selim. Ainsi, seigneur, pour ne pas te tromper, je dois te dire que j’accepterai plutôt la mort que ta main, & que je m’estimerai heureuse d’être bientôt délivrée de ma misérable vie, si tu veux m’y contraindre & agir en tyran. Mais si tu es véritablement juste, ne me retiens pas comme une esclave ; au contraire ouvre moi à ma patrie avec toute sûreté, & accorde à mon illustre naissance & à mon rang la justice que je mérite. »
Barberousse fut au désespoir des sentiments de la princesse. Il entra en fureur, & résolut d’employer toute sorte de moyens pour la réduire de gré ou de force. Elle s’attendait à une telle visite, en étant avertie par les esclaves que le roi avait mis auprès de cette princesse. Elle le vit entrer avec mépris, & lui dit d’un ton ferme, quoi qu’af-fligé : Eh bien seigneur, viens-tu m’annoncer la mort ? J’y suis préparée. Epargne toi la peine de vouloir me séduire par des promesses ou par des menaces. Elle serait inutile, & je te demande moimême la mort ou la liberté. C’est le seul moyen de me plaire ; & puisque tu as été assez inhumain & assez perfide pour m’ôter mon mari & la gloire qui l’environnait, ce ne sera plus qu’un demi crime, de m’ôter la vie.
Barberousse fut saisi de ce discours, prononcé avec toute la fierté d’une personne qui ne ménage plus rien, qu’il demeura pendant quelques temps confus, interdit & sans pouvoir proférer une seule parole : mais revenant à lui il employa les termes les plus doux pour apaiser la princesse. Ses soumissions ne servirent qu’à irriter Zaphira, qui pleine d’une noble & généreuse audace, l’accabla des reproches les plus sanglants, & lui fit perdre toute espérance de la gagner.
La passion du tyran irrité n’eut plus de frein, & son amour se changeant en fureur, il accabla Zaphira d’injures & de menaces, & se retira en lui accordant encore vingt-quatre heures pour se résoudre à l’épouser.
L’affligée princesse fut plus troublée par la hauteur avec laquelle son tyran lui avait parlé, que la crainte que ses mauvais traitements pouvaient lui inspirer. Elle jugea bien qu’il fallait absolument se rendre ou périr, & c’est sur ce sujet qu’elle eut un terrible combat à livrer à ses femmes, qui firent tout ce qu’elles purent pour la porter, au moins, à feindre pour gagner du temps ; non seulement toute son éloquence fut inutile, mais encore, le courage & la ferme résolution de Zaphira leur firent changer de sentiment. Elles auraient toutes voulu mourir pour leur maîtresse, & il ne leur restait plus qu’un léger espoir de voir le tyran radouci.
Cependant la princesse qui s’attendait à avoir une rude scènes à soutenir le lendemain, mit un poignard sous sa robe, & prépara une dose de violent poison, pour ne pas survivre à l’affront qu’elle craignait de Barberousse, ou pour le prévenir. Le roi qui avait pris une violente résolution de la posséder à quelque prix que ce fût, se rendit dans sa chambre le lendemain, à la même heure que le jour précédent. Avant que de se faire voir à la princesse, il fit appeler toutes ses femmes, sous quelque prétexte, & les ayant fait mettre sous clef, il entra & ferma la porte de la chambre où la princesse était assise, sur son sofa, les larmes aux yeux & le cœur pénétré de douleur. Barberousse employa encore la douceur pour la porter à se rendre ; mais elle lui ayant répondu dans les termes que la rage et le désespoir sont capables d’inspirer à une femme outragée, il ne garda plus aucune mesure & se jeta sur elle pour s’en rendre maître. Cette héroïne se saisit du poignard qu’elle tenait prêt, & voulut le lui enfoncer dans le cœur. Mais le tyran ayant paré le coup, ne reçut qu’une blessure au bras dont-il fut fort irrité. Il la laissa un moment pour bander sa plaie, dans la résolution de s’en venger en se rendant maître de sa personne : mais comme il se préparait à faire entrer un de ses satellites, qui était de garde à la porte de la chambre, afin de désarmer Zaphira qu’il ne ménager plus que pour la déshonorer, elle avala le poison qu’elle avait préparé, & qui la fit expirer peu de temps après.
Barberousse se vengea contre les femmes de la princesse, qu’il fit toutes étrangler. Il les fit enterrer secrètement avec leur maîtresse, & fit courir le bruit qu’elles s’étaient évadées de son insu & déguisées.
Cependant les soldats de Barberousse, qui l’avaient fait roi, & qui faisaient sa force, & soutenaient sa puissance, s’abandonnaient au libertinage & vivaient avec toute sorte de licence. Ils maltraitaient les bourgeois & les chargeaient d’injures & de coups. Ils prenaient ce qui leur convenait dans les villes & à la campagne ; & le malheureux peuple fut obligé d’abandonner les maisons de campagne & les jardins, parce que les Turcs les volaient & faisaient toute sorte d’outrages aux hommes, aux femmes & aux enfants.
Telle était la désolation de ce peuple infortuné, qui avait appelé Barberousse comme un protecteur capable de le délivrer des Espagnols. Le joug de ces derniers était plus supportable pour lui, & il avait cherché les moyens de s’en affranchir plutôt pour l’honneur de la religion que pour le mal qu’il en recevait. Son désespoir fut si grand qu’il chercha le remède de ses maux, chez ceux-là même qu’il regardait auparavant comme ses plus formidables ennemis.
Les principaux algériens envoyèrent secrètement une ambassade aux arabes de la plaine de Mitidja, où le prince Selim Eutemi avait été cheikh de la nation qui y habitait, & d’où il l’avaient tiré pour se soumettre à sa conduite. Le motif de cette ambassade était de porter cette province à s’unir à eux, afin de venger la mort du prince Selim, qui était également aimé des uns & des autres & se délivrer du tyran, qui opprimait Alger & qui pourrait avec le temps se rendre aussi maître de la fertile plaine de Mitidja. Les algériens trouvèrent en même temps le moyen d’entretenir une correspondance secrète avec le commandant du fort des espagnols, bâti sur une île vis à vis d’Alger ; & il fut résolu entre eux de massacrer Barberousse avec tous les turcs, & qu’Alger payerait encore tribut au roi d’Espagne. on fixa un jour pour cette grande expédition, & il fut arrêté qu’un grand nombre de Maures viendraient au marché vendre leurs fruits & leurs herbes comme à l’ordinaire, avec des armes cachées sous leurs burnous ; que d’autres maures iraient mettre secrètement le feu à plusieurs bâtiments à rames qui étaient tirés à terre de chaque côté de la ville, & que lors que les turcs sortiraient pour y remédier, les bourgeois fermeraient les portes de la ville, & qu’en même temps la garnison du fort viendrait avec des bateaux armés pour incommoder les turcs, dans le temps qu’on tirerait de la ville sur eux. Mais cette conspiration fut découverte par la vigilance de Barberousse, qui s’attendait bien que les algériens feraient leurs efforts pour secouer son joug. Il dissimula avec beaucoup de prudence, & ayant mis une bonne garde tant aux portes de la ville qu’aux bâtiments à rames, sous prétexte qu’il craignait les espagnols, l’entreprise ne pût réussir ; & les algériens ne croyant pas être découverts, remirent l’ex-pédition projetée à un temps plus favorable.
Dès que Barberousse trouva l’occasion de s’en venger il ne le négligea point. Etant allé bientôt après à la mosquée accompagné de ses courtisans, plusieurs des principaux habitants d’Alger y entrèrent après lui pour faire leurs prières. Les portes de la mosquée furent d’abord fermées, selon les ordres qu’il en avait donné, & les soldats turcs entourèrent la mosquée pour la garder des approches des habitants. Barberousse reprocha alors aux algériens leur conspiration, & fit couper la tête à vingt des plus distingués de la bourgeoisie, fit jeter leurs cadavres dans les rues, pour servir d’exemple aux habitants, & confisqua leurs biens à son profit.
Cette action jeta une si grande épouvante dans cette ville, que personne n’osa plus rien entreprendre contre l’usurpateur.
Cependant le fils de Selim Eutemi, que nous avons laissé à Oran, animé par son désespoir & se croyant aussi capable de se venger de l’usurpateur, qu’il en avait envie, proposa au marquis de Comarez gouverneur de la place, des moyens pour rendre le roi d’Espagne maître d’Alger. Il offrit d’y aller lui¬même, si on voulait lui confier des troupes, répondant du succès de cette entreprise. Il pressa tant ce gouverneur, qu’il l’envoya au cardinal Ximenez. Ce ministre fit approuver le projet du jeune roi arabe au roi d’Espagne, qui envoya en 1517 une flotte avec dix-mille hommes de débarquement, commandée par Don Francisco de Vero, dans le dessein de chasser Barberousse & tous les turcs qui étaient à Alger, & de s’en emparer en faveur du prince arabe. Celui-ci devait conduire cette expédition, secondé par quelques arabes expérimentés, qui étaient à sa suite, & par ceux avec qui il entretenait correspondance dans la campagne d’Alger. Mais cette flotte infortunée ne fut pas plus tôt aux environs d’Alger qu’une tempête la dispersa & la brisa presque entièrement sur les rochers. La plus grande partie des espagnols fut noyée, & presque tous ceux qui échappèrent aux ondes, furent massacrés par les turcs ou souffrirent un esclavage plus dur que la mort.
Le triste succès de cette entreprise enfla beaucoup le cœur de Barberousse, qui se voyant secondé par la fortune crût être invincible, & augmenta ses cruautés & sa tyrannie sur la habitants de la ville & de la campagne.
Les cheikhs des différentes nations ou tribus arabes firent une assemblée générale dans laquelle il fut résolu d’envoyer une ambassade à Hamidalabdes roi de Ténès, pour lui demander sa protection & du secours contre Barberousse & lui offrit un tribut, s’il les délivrait des turcs. Quatre arabes des plus habiles furent députés au roi de Ténès & traitèrent avec lui conformément au pouvoir qu’ils en avaient. Hamidalabdes craignant de son côté la trop grande puissance de Barberousse, fut charmé des propositions des arabes. Il résolut de profiter de l’occasion, & il promit aux ambassadeurs de se joindre à eux pour chasser les turcs du royaume d’Alger ; à condition que s’il en venait à bout, lui & ses descendant posséderaient ce royaume. Les arabes ne jugèrent pas à propos de rien contester, & accordèrent au roi de Ténès tout ce qu’il demandait. Hamidalabdes ne perdit point de temps pour faire cette conquête, & dans la même année 1517, il marcha vers les frontières d’Alger avec une armée de dix-mille maures à cheval. A son arrivée les arabes de la campagne se déclarèrent hautement contre le tyran, & cette armée grossit considérablement.
Barberousse averti de ce qui se tramait, se prépara tout de bon à la guerre & s’en promit un heureux succès à cause des armes à feu de ses troupes turques, les arabes & les maures n’aient que des sagaies & des flèches. Il partit d’Alger, qu’il confia à son frère Kaïr-ed-Din avec une faible garnison. Et pour le garantir de la haine des habitants, il mena avec lui les principaux bourgeois. Il n’avait que mille turcs avec des arquebuses, & cinq-cents maures grenadins. Avec ce peu de monde, il marcha vers Hamidalabdes & battit ses troupes qui furent bientôt dissipées. Ce roi prit la fuite & se retira à Ténès. Mais Barberousse animé par sa victoire s’avançant vers Ténès, le roi se réfugia vers le mont Atlas. Barberousse prit Ténès, pilla le palais, abandonna entièrement la ville à ses troupes pour la piller, & se fit par force déclarer roi par les habitants.
Le bruit de la victoire, & de la réputation de Barberousse se répandit dans toute l’Afrique, où on se le représentait comme un autre Hercule. Les habitants du royaume de Tlemcen, voisin de celui de Ténès, & au couchant, étant très mécontents de leur roi Abuzijen résolurent pour s’en vanger d’appeler Barberousse, à qui ils promirent de lui livrer le royaume & de l’en rendre maître.
Barberousse profitant de si belles dispositions pour agrandir son pouvoir, manda à Kheïr-ed-Dinn son frère à Alger de lui envoyer incessamment quelques pièces d’artillerie avec des boulets, de la poudre & tout l’attirail nécessaire pour son expédition, ce qu’il reçut en peu de temps. Il laissa à Ténès son troisième frère d’Isaac Bemi, pour y commander avec deux cents mousquetaires turcs & quelques maures grenadins. Il marcha lui-même à grandes journées vers Tlemcen, avec un grand nombre de chevaux chargés de provisions. Ses troupes grossirent en chemin, & plusieurs nations maures s’y joignirent dans l’espérance d’un gros butin.
Le roi de Tlemcen ignorait l’infidélité de ses sujets, mais sachant que Barberousse s’avançait dans son pays avec ses troupes, il marcha pour s’y opposer avec les siennes, qui consistaient en six mille chevaux & 3000 hommes de pied. Les ennemis se rencontrèrent dans la plaine d’Aghad des dépendances d’Oran, & donnèrent la bataille avec beaucoup de courage & de fermeté de part & d’autre : mais l’artillerie & la mousqueterie de Barberousse lui donna bientôt la victoire sur le roi de Tlemcen, qui fut contraint de se retirer. Ses sujets lui firent trancher la tête & l’envoyèrent au vainqueur avec les clefs de la ville, & lui prêtèrent serment de fidélité par leurs députés. Barberousse fit fortifier cette place, jugeant bien que le pays d’Oran n’aimerait pas son voisinage. Il fit alliance avec Muley-Ahmed, roi de Fès, qui était en guerre avec celui de Maroc.
Pendant le mois de septembre 1517, Charles V étant arrivé en Espagne avec une grande armée navale, pour y prendre possession du royaume, le marquis de Comarez, gouverneur d’Oran, se rendit auprès de sa majesté, pour lui rendre compte de ce qui se passait en Afrique, & lui donna les avis qu’il crut nécessaires. Il avait mené avec lui le prince Abuchenmen, hêritier légitime du royaume de Tlemcen, qui s’était réfugié à Oran, pendant la révolution arrivée dans le royaume, & qui sollicita fortement Charles V de lui accorder des troupes pour chasser l’usurpateur. Le roi d’Espagne se rendit aux instances du prince arabe, & jugeant à propos de s’opposer à la puissance & à la rapidité des conquêtes de Barberousse, il confi a dix-mille hommes au gouverneur d’Oran. Celui-ci y étant arrivé, marcha vers Tlemcen guidé par Abuchenamen, auquel le jeune prince Selim & plusieurs arabes & maures de la campagne se joignirent.
Barberousse aux premières nouvelles de cette expédition, somma le roi de Fès de lui envoyer le secours dont ils étaient convenus. Mais voyant qu’il ne venait point, & sachant le marquis de Comarez arrivé à Oran avec ses troupes, il crut qu’il était mieux de sortir avec 1500 turcs armés d’arquebuses & 5000 maures à cheval. A peine fut il sorti hors les portes de la ville, que son conseil fut d’avis d’y rentrer & de s’y retrancher. Mais pour son malheur, à l’approche des troupes espagnoles, s’apercevant que les habitants de Tlemcen avaient quelques mauvais desseins contre lui, il prit le parti de se retirer à la faveur de la nuit avec tous ses soldats turcs seulement, & de prendre la route d’Alger.
Le général espagnol, averti de son évasion, lui coupa le chemin & le joignit au passage de la rivière Huexda à 8 lieues de Tlemcen. Barberousse se voyant perdu fit semer sur dans le chemin tout son or & son argent, ses bijoux & sa vaisselle, pour amuser les chrétiens & avoir le temps de passer la rivière avec ses troupes. Mais les espagnols méprisant ces richesses, chargèrent vigoureusement les turcs qui faisaient l’arrière-garde. Le pirate repassa aussitôt la rivière avec son avant-garde, & après avoir tous combattus comme des lions, ils cédèrent au nombre ; & Barberousse fut massacré avec ses troupes.
Le marquis de Comarez après cette victoire marcha vers Tlemcen & y entra ; faisant porter la tête du tyran au bout d’une pique pour preuve de sa victoire. Il mit Abuchenmen en possession du royaume, sans trouver aucune opposition.
Quelques jours après la bataille, le roi de Fès arriva au voisinage avec 20 000 maures à cheval pour secourir Barberousse son allié ; mais ayant appris sa défaite & sa mort, il se retira en toute diligence, craignant d’être attaqué. Le marquis de Comarez retourna dans son gouvernement, & renvoya en Espagne les troupes qui lui avaient été confiées.
La nouvelle de la mort d’Aroudj Barberousse étant arrivée à Alger, les soldats turcs & les capitaines des bâtiments corsaires élurent Kheir-ed-Din son second frère pour roi d’Alger & général de la mer. Il régna avec assez de tranquillité pendant la première année ; mais au commencement de l’année 1519, ayant conçu du soupçon contre les habitants d’Alger qui conspiraient toujours de concert avec les arabes & les maures de la campagne contre le gouvernement & la tyrannie des turcs, il eut recours à Selim premier empereur ottoman de ce nom. Keir-ed-Din de concert avec sa milice, chargea l’ambassadeur de faire part au grand seigneur des conquêtes, & de la mort d’Aroudj son frère, & de lui offrir de mettre le royaume sous sa protection, en lui payant un tribut ; à condition que sa hautesse lui fournirait les forces nécessaires pour s’y maintenir. En cas de refus Keir-ed-Din offrit de céder la souveraineté du royaume d’Alger, pourvu qu’il en fût nommé Pacha ou vice-roi.
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