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Les turcs qui sont dans le royaume d’Alger en sont les maîtres & les souverains, sous un chef qu’ils appellent dey, ou roi ils composent une milice de 12000 hommes, tant infanterie que cavalerie, qui forment une république. Ils sont tous habiles à succéder au Deylik ou Gouvernement, lorsque leurs services ou leurs bonnes qualités les en font juger dignes, ou qu’ils ont le parti le plus fort de leur côté, comme il arrive dans tous les gouvernements républicains.
Les turcs, qui sont tous soldats, possèdent les dignités et emplois du royaume, par rang & par ancienneté. Ils gouvernent despotiquement ce grand royaume, à peu près comme les nobles des républiques d’Italie, ou comme les chevaliers de Malte. Ils sont tous réputés nobles, hauts & puissants seigneurs, quand même ils n’auraient ni biens ni naissance. Le titre de soldat leur suffit & il renferme une portion du gouvernement, la grandeur, la noblesse & la bravoure. Ils traitent les originaires du pays & les habitants du royaume avec tant de hauteur, de mépris & de cruauté, que ces peuples sont plutôt des vils esclaves que des sujets. Les turcs au contraire sont regardés par eux avec tant de respect & de crainte, qu’un seul fait trembler une ville peuplée de maures. Il est étonnant & il paraît presque impossible, qu’y ayant dans ce pays plus de 200 maures ou arabes pour un turc, ils aient subi la domination & le joug d’une poignée de levantins, & qu’ils ne puissent faire aucun effort pour le secouer.
Les chrétiens renégats ont les mêmes privilèges que les turcs, & sont réputés tels. Dès qu’ils ont embrassé la religion mahométane, ils sont reçus à la paye & peuvent parvenir à toutes les dignités, même au Deylik, pourvu que les uns & les autres n’épousent pas des femmes arabes ou maures. Dans ce cas, ils ne parviennent jamais à de grandes dignités, & les enfants qui viennent du mariage d’un turc & d’une femme maure ne sont point réputés turcs & on les appelle Coulouglis. Ils sont même peu estimés, quelques méritent qu’ils aient, à cause que le sang turc est mêlé avec le sang maure.
Il n’y a point de femmes turques dans la royaume d’Alger. Elles ont en abominations les turcs qui y dominent, parce qu’ils font le métier de corsaires & d’écumeurs de mer qui est en horreur parmi les turcs du Levant, lesquels regardent les gouvernements de Barbarie comme des réceptacles de voleurs & de brigands. En effet tous les turcs qui y passent pour s’enrôler dans la milice, sont des misérables ou des proscrits.
Comme les turcs n’aiment pas la continence, les plus vertueux ou ceux que leur rang ou leur âge oblige de paraître tels, épousent des esclaves chrétiennes, qui ordinairement à la suite des temps deviennent mahométanes. Les enfants qui en proviennent sont réputés véritables turcs, & en ont tous les privilèges. Les autres moins scrupuleux ont des concubines du pays, dont les enfants sont réputés maures, & ne sont point admis à la milice.
Les turcs d’Alger sont habillés fort modestement, & sont distingués des maures par plusieurs endroits de leur habillement. Le dey & les principaux portent une chemise de gaze, dont les manches sont extrêmement larges, une culotte de drap fin aussi large, ou de coton fin blanc ou de couleur, pendant les grandes chaleurs, qui se ferme avec un cordon de soie au moyen d’une gaine, le bas est fort étroit & va au gras de la jambe. Ils ont une chemise sans manches de drap ou d’étoffe de soie avec de forts petits boutons, & par dessus une veste de drap de couleur, qui va jusqu’aux chevilles avec de fort petits boutons d’argent fondu, ou de soie, argent ou or, avec une tresse d’argent, d’or ou de soie autour du col & tout le long de la veste , avec des tresses de même qui forment des boutonnières. Leurs manches étroites, comme celles de nos vestes, fer¬ment avec des boutonnières & des boutons comme le devant, mais fort ouvertes pour les retrousser pendant les chaleurs. Ils ont de petites poches en dedans & à chaque côté de cette veste sur le sein, où ils tiennent leurs montres, leurs papiers & autres choses semblables. Une ceinture de soie leur fait plusieurs tours sur les hanches. Ils y passent un ou plusieurs couteaux, dont les manches sont d’agate, de quelque autre pierre précieuse, ou garnis & travaillés en argent. Ils ont par dessus tout une robe aussi longue que la veste, qu’ils appellent caftan.
Ils en portaient autrefois d’étoffes d’or, d’argent ou de soie ; mais à présent leurs plus beaux sont de drap fin de couleur verte, bleue, jaune, rouge ou gris clair. Ils rejettent toute autre couleur. Ces caftans ont les manches larges & jusqu’au coude, & sont ornés de chaque côté d’agrafes ou de bro¬deries d’or & d’argent. Ils ne portent point de bas, à moins que leurs infirmités le demandent, étant honteux à un turc de la milice d’en avoir. Ils ont de petites pantoufles pointues de maroquin jaune ou rouge, sans talons avec un petit fer à cheval à la place du talon. Ils les laissent à la porte, lors qu’ils entrent dans les appartements. Leur turban est très différent de ceux des levantins. Ils ont une petite calotte fine de laine rouge & entortillent autour fort adroitement une pièce de mousseline de quelques aunes de long, qu’on appelle tulbend, d’où vient le mot turban. Tout le monde convient, que cette manière de turban est la plus agréable & du meilleur goût que les turbans des turcs du Levant, qui ont une toque large, plate au dessus, piquée ou matelassée, avec un tour d’une largeur étonnante.
Les turcs âgés ou dans les charges du gouvernement portent le barbe entière, coupée en pointe. Ils se font raser le poil qui est sur les joues pour la rendre plus régulière, & sur la tête à cause que le turban les chauffe assez. Ce serait une folie aux gens âgés ou ayant un caractère, de n’en point porter.
Les jeunes turcs ne portent ni barbe, ni turban, mais seulement une moustache, dont ils ont beaucoup de soin, & un petit bonnet ou calotte de laine fort fine. Il y en a plusieurs, & principalement ceux qui vont en mer, qui ne portent pour tout habillement qu’une grande culotte de coton ou d’étoffe de laine, une veste fort courte, une ceinture entortillée sur les hanches & un petit caban qu’ils appel-lent capotin, qui ne va que jusqu’au dessous des culottes.
Les femmes qui habitent les villes vont habillées à peu près comme les hommes. Leurs caleçons vont jusqu’à la cheville ; les unes portent des bas ou bottines de cuir & des pantoufles, & la plupart ne portent que les pantoufles sans bas. Les vestes & les caftans de celles qui ont du bien, sont d’étoffes de soie, d’or ou d’argent avec des tres¬ses de même. Elles portent leurs cheveux tressés, entrelacés de perles, de diamants, de turquoises, d’émeraudes ou d’autres pierres précieuses. Elles ont des pendants d’oreille, des colliers qui font quelquefois cinq ou six tours, & qui pendent sur la gorge, des bracelets & des bagues suivant leur opulence. Les pauvres portent à la place des pierreries, du corail, de l’ambre jaune, des brace¬lets & des bagues d’argent. Lorsqu’elles sortent, elles se couvrent le visage d’un mouchoir blanc, depuis le menton jusqu’au dessous des yeux, & s’enveloppent tout le corps depuis la tête jusqu’au pieds, d’une pièce d’étamine blanche fort fi ne & fort claire, à travers de laquelle, lorsqu’on y fait attention on voit les cheveux, les bijoux & quelque chose des habits ; mais on ne saurait les reconnaître n’ayant rien de découvert que les yeux.
Les petits enfants des personnes riches ont des bonnets ou calottes d’étoffes piquées, garnies de sultanins d’or cousus tout autour. Il y en a qui en sont remplis. C’est là une grande distinction ; mais à mesure que les pères ou mères ont besoin d’argent, ils dégarnissent les bonnets, en attendant qu’ils aient d’autres sultanins pour les remplacer.
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